Appel à rassemblement : dévoilement de la plaque Maurice Audin
Toulouse : un parvis pour Maurice Audin, martyr anticolonialiste ?
par Philippe Emery, publié par La Dépêche le 8 février 2023. Source
Le dévoilement symbolique d’une plaque « Parvis Maurice Audin » aura lieu le 25 février devant la Médiathèque Grand M, à Bellefontaine, en hommage au militant anticolonialiste mort en Algérie en 1957.
Depuis 2019, la mairie de Toulouse renâcle à donner un nom de rue ou de place en souvenir du martyr de Maurice Audin en Algérie, en 1957. Ce qu’on déjà fait de nombreuses villes en France, comme Rennes ou Saint-Etienne. Une plaque sera dévoilée symboliquement à Bellefontaine, le 25 février.
Le souvenir de Maurice Audin, ce jeune militant anticolonialiste arrêté et torturé à mort, par l’armée française, à Alger en 1957, divise toujours à Toulouse. En 2019, quelques mois après que le président de la République Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de l’Etat et de l’armée française dans la disparition du jeune mathématicien, mort à l’âge de 25 ans et dont le corps ne fut jamais retrouvé, un collectif de personnes et les élus écologistes et communistes proposent le nom de Maurice Audin pour une rue ou une place dans le quartier de la Cartoucherie. La plaque proposée pour le parvis de la méditathèque Grand M sera dévoilée par le fils de Maurice Audin, Pierre. Proposition refusée par la municipalité : « Nous cherchons toujours le consensus », expliquait alors Jean-Michel Lattes, en charge de la commission des noms de rues. L’élu précise aujourd’hui : « Le maire voulait jouer l’apaisement et ne pas créer de clivage ».
Rien n’a bougé depuis 4 ans
« Maurice Audin n’est pas écarté. Il est dans la liste d’attente », avait alors avancé Jean-Luc Moudenc lors du conseil municipal du 14 juin 2019. Un « engagement » de réexaminer la demande sur lequel un groupe d’élus de l’opposition municipale, de citoyens et d’associations toulousaines s’appuie : « Depuis bientôt quatre ans cet engagement est resté sans suite et aucune proposition n’a été faite ». Les demandeurs souhaitent « interpeller le maire de Toulouse et l’ensemble du conseil municipal afin qu’il puisse proposer dans sa séance du 10 mars 2023 que la place de la médiathèque Grand M puisse être dénommé Parvis Maurice Audin ». C’est ce qu’on peut lire dans l’appel à citoyens que le collectif entend distribuer et tracter à Toulouse pour expliquer qui était Maurice Audin et justifier leur demande. Maurice Audin avait 25 ans lorsqu’il a été torturé et tué à Alger. Une plaque commémorative sera dévoilée symboliquement le 25 février 2023, en présence de Pierre Audin, fils de Maurice Audin, sur le parvis de la médiathèque Grand M à Bellefontaine. Interrogé par La Dépêche du Midi, Jean-Michel Lattes joue la surprise : « Je n’ai pas eu de nouvelle demande », ajoutant, sur le fond : « C’est trop clivant les plaies ne sont pas refermées ». Pour Ali Téhar, secrétaire de la section PS Toulouse Sud, qui cosigne avec les deux élus municipaux Régis Godec (EELV) et Luc Ripoll (PCF) l’appel à pétition : « 67 ans après, il serait temps de rendre hommage à ce jeune défenseur des libertés, d’autres villes comme Rennes l’ont déjà fait. La communauté algérienne est la plus importante de Toulouse ».Dans toute la France :
S’organiser pour la riposte contre l’extrême droite !L’exemple de la ville de Toulouse :
une lettre au maire pour un parvis Josette et Maurice Audin
par Philippe Emery, publié dans La Dépêche le 8 mars 2023.
Source
Après l’initiative symbolique d’inauguration à Toulouse d’un parvis Maurice Audin le 25 février 2023
Le collectif toulousain Josette et Maurice Audin a écrit au maire de Toulouse pour qu’il propose au conseil municipal du 10 mars que le parvis de la médiathèque Grand M porte le nom de Josette et Maurice Audin, au nom de la paix en Algérie. Le collectif toulousain Josette et Maurice Audin a envoyé par mail une lettre au maire, ce mercredi 8 mars, lui demandant de proposer au conseil municipal de vendredi 10 mars que le parvis de la médiathèque Grand M, dans le quartier de Reynerie-Bellefontaine porte le nom de Josette et Maurice Audin. « Toulouse, ville tolérante et ouverte sur le monde pourrait être, avec vous, la 32e ville de France à honorer le combat pour la paix et le vivre ensemble de Josette et Maurice Audin», écrit notamment Jean-François Mignard, au nom du collectif, à Jean-Luc Moudenc, soulignant son « attachement aux valeurs républicaines ».Torturé à mort par l’Armée française
Le collectif rappelle dans son courrier au maire : « Maurice Audin était un jeune mathématicien français résidant à Alger pendant la guerre d’Algérie, militant communiste anticolonialiste, il a été arrêté le 11 juillet 1957 par l’Armée Française. Josette Audin, sa femme, se battra toute sa vie pour obtenir toute la vérité sur sa disparition et à demander que l’Etat français reconnaisse sa responsabilité et donne accès aux archives ». Ce qui fut fait « en juin 2014, le président de la République François Hollande reconnaîtra officiellement que Maurice Audin est mort pendant sa détention par les forces françaises. Le 13 septembre 2018, le président Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de la France (et) demandé une dérogation spéciale pour permettre l’accès aux archives (…) sur les milliers de disparitions intervenues durant la Guerre d’Algérie », écrit le collectif.Rien n’a été fait depuis 2019
Le collectif, qui souhaite remettre au maire une pétition signée par 600 personnes, ajoute : « En 2019, (il avait été) proposé que le nom de Maurice Audin soit donné à une place dans le quartier de la Cartoucherie. Vous vous étiez engagé à ce que cette proposition soit examinée par la commission municipale de dénomination des noms de places et de rues. (…) Depuis bientôt 4 ans cet engagement est resté sans suite ».
Pour une ville de Toulouse inscrite dans une histoire apaisée
La passion commune pour les mathématiques, l’Algérie et l’engagement politique ont permis à Josette et Maurice Audin de construire leur amour dès 1952. Cinq ans, un mariage et trois enfants plus tard, en pleine guerre d’Algérie, leur vie est bouleversée. Le mathématicien et militant Maurice Audin, alors âgé de 25 ans, est embarqué par des militaires français venus le chercher dans son domicile d’Alger où il vit avec sa famille. Il ne donnera plus jamais de nouvelles. Josette Audin sera, tout au long de sa vie, une militante aux convictions indéfectibles. Mère dévouée de trois enfants., épouse déterminée, et surtout femme d’exception, Josette Audin cumulait les responsabilités et les engagements. Pendant plus de 60 ans, cette femme s’est battue pour faire reconnaître la responsabilité de l’État français dans la mort de son mari, Maurice, pendant la guerre d’Algérie. C’est finalement en 2018 qu’elle a obtenu gain de cause après des années d’un engagement inconditionnel. Le 13 septembre 2018, le président de la République, Emmanuel Macron, est venu demander pardon à Josette Audin au nom de la Nation et a ainsi reconnu officiellement la responsabilité de l’État. Le 24 juillet 2020, Benjamin Stora a remis, au président de la république, Emmanuel Macron, ses conclusions et recommandations sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Le président de la République avait d’ailleurs salué la qualité de ce travail conduit dans un esprit d’ouverture, d’écoute et de respect de tous. Il avait également souhaité que notre pays porte un regard lucide sur les blessures du passé, et construire, dans le temps long, une réconciliation des mémoires qui soit tournée vers la jeunesse en France et en Algérie, dans une démarche d’éducation et de transmission. Notre collectif poursuit une même approche des questions mémorielles : regarder l’histoire en face, de façon à construire une mémoire républicaine, qui puisse être partagée par toutes et tous en France. Force est de constater à ce jour que sous l’autorité de ses responsables actuels, l’horloge municipale toulousaine affiche quelques décennies de retard quant à construction d’une Histoire partagée, à partir de mémoires aujourd’hui apaisées. Il ne suffirait, pour cela, qu’un peu de courage politique et pas mal de lucidité citoyenne. Il semble, hélas, que ce ne soit pas le cas. Il appartient pourtant au maire et au conseil municipal de notre ville de s’inscrire dans le sens de l’Histoire, celui de la réconciliation des mémoires et du dépassement des passions entretenues par quelques extrémistes. Ce sont les valeurs humanistes, admirablement portées par ces deux militants de la paix et du vivre ensemble, que notre collectif entend véhiculer en donnant au parvis de la médiathèque grand M le nom de « Parvis Josette et Maurice Audin ». C’est une proposition porteuse de sens pour les toulousain(e)s tant les valeurs d’humanisme et de liberté résonnent dans le nom de Josette et Maurice Audin. Le collectif, toujours demandeuse d’un dialogue avec le maire de Toulouse, envisage dans les prochaines semaines des actions en direction des toulousaines et des toulousains, particulièrement à l’occasion de la date anniversaire de l’arrestation de Maurice Audin le 11 juin prochain. Contact pour le collectif, Jean-François Mignard.
Collectif toulousain JOSETTE & MAURICE AUDIN – 06 77 78 22 23 cp j m audin pour une ville de toulouse inscrite dans une histoire apaise e 20 03 2023
A Clermont-Ferrand
Présentation de l’éditeur
À l’occasion du soixantième anniversaire des Accords d’Evian marquant la fin de la guerre d’Algérie, ce livre revient sur les années de combat menée pour faire reconnaitre le crime perpétré contre le jeune mathématicien, militant du parti communiste Algérien ; Maurice Audin le 21 juin 1957. Il a fallu plus de 60 ans pour que la France reconnaisse un crime commis en son nom. Cet ouvrage retrace notamment le combat mené par ce qui a été baptisé « l’appel des douze* » lancé le 31 octobre 2000 par L’Humanité. Le chef de l’Etat a remis, le 13 septembre 2018, « au nom de la République », à Josette Audin, à laquelle il a demandé « pardon », une déclaration encourageant les recherches sur les disparus. Pourquoi ce « travail de vérité », ne s’engage-t-il officiellement qu’aujourd’hui ? Qu’est-ce qui fait de cet événement, non le miracle d’une sorte de grâce présidentielle, mais une étape dans un long combat devenu, de fait, irrésistible, et trop mal connu ? Ce livre contribue aux réponses à ces questions. Eclairé par une introduction de Charles Silvestre coordinateur de « l’appel des douze », par un point d’histoire de Gilles Manceron, de la Ligue des droits de l’Homme et d’une contribution inédite de Pierre Audin, fils de Maurice et Josette Audin il enrichira vos connaissances sur cette période et ses évolutions.
Lire l’Appel des Douze à la condamnation de la torture pendant la guerre d’Algérie, signé par Henri Alleg, Josette Audin, Simone de Bollardière, Nicole Dreyfus, Noël Favrelière, Gisèle Halimi, Alban Liechti, Madeleine Rebérioux, Laurent Schwartz, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet.
Extraits de l’introduction par Charles Silvestre
Après soixante années de mensonge d’Etat, le président de la république a enfin reconnu, le 13 septembre 2018, pour Maurice Audin, puis le 2 mars 2021, pour Ali Boumendjel, que le mathématicien communiste et l’avocat indépendantiste avaient bien été torturés et exécutés, à Alger, en 1957. Avec le rapport Stora sur la guerre d’Algérie et la colonisation, s’ouvre un « travail de vérité ». L’Humanité qui en a été un acteur, particulièrement en 2000, avec « l’Appel des douze », propose une réédition augmentée de « La torture aux aveux » qui rassemble des témoignages d’une grande portée. En écho à la formule de Zola « La vérité est en marche, rien ne l’arrêtera » dans l’Affaire Dreyfus. Pierre Audin, le fils de Maurice et de Josette Audin, dans un texte inédit pour cette réédition, appelle à la levée du Secret Défense permettant les recherches sur les disparus.
[…] Comment en est-on arrivés là ? Le 20 juin 2000, dans Le Monde, une Algérienne, Louisette Ighilahriz, se confie à Florence Beaugé, et accuse nommément les chefs parachutistes de l’avoir fait torturer à Alger, en 1957, du 28 septembre au 26 décembre « presque tous les jours ». Deux jours plus tard, le 22 juin, dans le même journal, le général Bigeard qualifie ces accusations de « tissu de mensonges ». Mais le général Massu valide en partie ce récit et avoue dans une certaine mesure ses regrets : « La torture n’est pas indispensable en temps de guerre ». Le 29 juin, dans l’Humanité, Louisette confirme à Hassane Zerrouky ses accusations. Le 16 septembre 2000, à la Fête de l’Humanité, Lila, c’est son nom de combattante de l’ALN, témoigne pour la première fois en public, en France, et révèle qu’elle a été violée. Quatre cents personnes sont au rendez-vous, dont une bonne moitié d’anciens soldats pétrifiés par ce qu’ils entendent de la bouche de cette femme, appuyée sur des béquilles, déjà âgée, tendue, les nerfs à vif. Cette femme qui n’est plus simplement des mots dans un journal mais un être de chair et d’os, dont on voit bien que la chair et l’os portent l’empreinte de ce que la France lui a infligé. Que fallait-il faire de ce face-à-face qui ne se limitait pas au périmètre de la Courneuve ? Se taire ? Attendre le prochain épisode ? Une Algérienne aux portes de la « Ville lumière » portait de graves accusations, invitait la France à recouvrer sa dignité, à retrouver ses esprits, et la France n’aurait rien eu à lui répondre ? Elle n’aurait, au-delà du cas Ighilahriz, rien à ajouter, toute honte bue ? Ainsi est né ce que les médias ont nommé « l’appel des douze ». Il s’est en effet trouvé douze personnes pour ratifier, ensemble, un texte demandant au président de la République et au Premier ministre de condamner la torture pendant la guerre d’Algérie. Le texte a été mis au point et arrêté avec les signataires consultés, un par un, sur la base d’une proposition, en commençant par Germaine Tillion, personnage emblématique de l’après seconde guerre mondiale, et en assumant la suite au titre de coordinateur de l’Appel. Ce n’est pas le nombre de signataires qui a compté, mais leur qualité. Six femmes, six hommes, tous à l’époque au premier plan du refus de l’innommable : Alleg, le communiste, indomptable ; Germaine Tillion, admirable figure de l’humanisme ; Josette Audin, le nom même de la douleur et du courage, compagne du jeune mathématicien assassiné en juin 1957 par ses tortionnaires ; Simone de Bollardière qui, au tribunal, fixe le général Aussaresses dans les yeux et lui lance : « Dites enfin comment est mort Maurice Audin ! » ; Nicole Dreyfus et Gisèle Halimi, jeunes avocates tenant tête à Alger à des tribunaux militaires qui avaient la guillotine facile ; Alban Liechti, quatre ans de prison pour refus de porter les armes contre un peuple « qui ne lui avait rien fait » ; Noël Favrelière, le déserteur à l’aube qui sauve son prisonnier promis au pire ; Madeleine Rebérioux et Pierre Vidal-Naquet, historiens accomplis et artisans inlassables du Comité Audin ; Jean-Pierre Vernant, figure de la Résistance ; Laurent Schwartz, mathématicien, professeur à l’Ecole polytechnique, révoqué pour avoir refusé le mensonge, ou l’honneur fait homme. Douze témoins, mais il aurait pu y en avoir bien d’autres, qui ont mis leur poids humain, moral, politique dans la balance. Le texte répondait à la fois au souci de Germaine Tillion de ne pas « réveiller les démons de la guerre », d’« exiger simplement la vérité, toute la vérité », et à la préoccupation d’Henri Alleg de caractériser la torture, non comme un excès, mais comme « fille de la colonisation et de la guerre ». Souvent séparés par les événements, particulièrement pendant la guerre froide, ces deux acteurs du XXe siècle, incarnant chacun une résistance, se sont retrouvés. Il y a dans l’histoire des moments de grâce. L’appel a été publié le 31 octobre 2000 par l’Humanité. Il est présenté le même jour sur France Inter par Madeleine Rebérioux invitée de Stéphane Paoli. Dans Radiocom, avec les auditeurs, les questions fusent, souvent virulentes : « enfin on crève l’abcès ! » « Parlez aussi des horreurs du FLN ! ». L’historienne qui débat en public depuis bientôt un demi-siècle manifeste une remarquable compréhension pour les souffrances et autant de fermeté dans les idées. Le ton est donné. On devine déjà que s’engage l’une de ces controverses dont la France n’est pas avare lorsqu’elles touchent à des événements qui l’ont déchirée. […] Le 23 de ce même mois de novembre 2000, un coup de tonnerre donne à cette « campagne » l’allure d’une affaire : à la une du Monde s’affichent les « aveux des généraux », en l’occurrence ceux de Jacques Massu et de Paul Aussaresses. Le second fait dans la révélation cynique. Vidal-Naquet qualifiera son livre, paru le 3 mai 2001, de « mémoires d’un assassin ». Aussaresses s’y délecte à raconter comment a été pendu un chef historique, Larbi Ben M’hidi, que l’on dit l’un des plus ouverts parmi les fondateurs du FLN, et le meurtre d’un grand avocat, Ali Boumendjel. Une véritable bombe pour « la grande muette ». Mais l’armée sera prise sous un autre feu, bien plus dangereux pour elle, celui du général Massu qui non seulement reconnait la torture mais en approuve la condamnation, comme le demande l’Appel des Douze, ce qui serait, dit-il, « une bonne chose », se faisant ainsi d’une certaine manière, dira-t-on, avec un brin d’humour noir, le treizième signataire de l’Appel.La France rattrapée par son histoire
Rien de tout cela n’aurait été décisif si ne s’était produit – réactions en chaîne – un troisième événement, peut-être encore plus capital. Si selon les enquêtes d’opinion alors réalisées, deux Français sur trois exigent des autorités la condamnation de la torture, toutes les générations ne sont pas également représentées. Quand les plus de 65 ans sont encore partagés, les 18-49 ans, souvent qualifiés de « générations droits de l’homme », sont massivement pour la condamnation. On ne peut indéfiniment exalter les droits de l’homme contre le communisme à l’Est, contre les nationalismes arabes au Moyen-Orient, sans que la question soit un jour posée à domicile. Des tortionnaires tels qu’on en poursuit à travers le monde, n’y en aurait-il pas eu chez nous, dans notre histoire récente, sans remonter aux croisades ? On ne peut plus juger, au sens pénal du terme et jusqu’à preuve du contraire, les faits ayant trait à la guerre d’Algérie. Ils ont été amnistiés. Mais ce ne sont pas les tribunaux qui sont invités à juger de la politique de la France passée, présente et à venir. Particulièrement dans un domaine comme celui de la torture. C’est à l’autorité de répondre de ses actes. C’est à elle que les Douze se sont adressés, soutenus par des milliers de signatures. C’est elle que l’opinion interpelle. Quant à renvoyer la balle aux historiens, plusieurs de ces derniers ont déjà répondu : nous ne vous avons pas attendus pour faire notre travail, et si nous entendons bien le poursuivre, c’est à vous, responsables politiques, de faire désormais le vôtre ! A fuir sa responsabilité, on est toujours, un jour ou l’autre, rattrapé par l’histoire. En avril 2002, candidats à l’élection présidentielle, le président de la République, Jacques Chirac, et le Premier ministre, Lionel Jospin, sont saisis par une nouvelle démarche des Douze. On leur demande de se prononcer sur la responsabilité des gouvernants, avant d’avoir à exercer la magistrature suprême, renouvelée dans le premier cas, et nouvelle dans le second. Ils en resteront au constat des horreurs. Il faut lire, plus loin, leurs prises de position dans ce moment de la vie politique pour mesurer à quel point les enjeux électoraux, personnalisés, peuvent étouffer des premiers accents de sincérité. Et, dans ce pays toujours pas clair sur son histoire, on découvre au soir du 21 avril, que le personnage qualifié pour le second tour n’est autre que Jean-Marie Le Pen, lui-même accusé d’avoir torturé en Algérie ! Le malaise demeure, écrivions-nous en 2004, il ne pourra plus se dissiper. Au premier accroc, la France est observée avec sévérité. L’armée américaine a torturé en Irak ? Les guerres d’occupation sont des fabriques de tortionnaires. Mais la France peut-elle à juste titre s’en indigner sans balayer devant sa porte ? Pinochet pourrait être jugé au Chili pour le Plan Condor, système d’assassinat de militants de gauche mis au point avec le parrain nord-américain : « l’école française de la torture » en Amérique latine est aussitôt citée. Alger, l’Alger de la guerre « par tous les moyens » a infecté Buenos Aires, Rio et Santiago. Qu’un tel vocable ait pu être en usage, ici, et dans le monde, « l’école française de la torture », devrait en conscience empêcher ceux qui ont en charge ce pays de dormir. Mais il faut croire que la conscience pèse moins lourd à leurs yeux, que les cours en Bourse de l’euro ! Les dirigeants d’un pays sont une chose, ses citoyens en sont une autre. Pour ces derniers, même s’ils ne sont pas au bout de leur peine, un impératif s’imposait fort de la relance de l’Appel des douze : le crime de guerre, le crime d’État, s’ils sont établis, doivent être reconnus et condamnés. Même et surtout s’il s’agit de son propre pays, même et surtout s’il s’agit d’une république, même et surtout si un gouvernement dit de gauche, en l’occurrence le gouvernement socialiste de Guy Mollet, a été un temps aux postes de commande, même et surtout s’il s’agit de la France. Ce « même et surtout », expression de Germaine Tillion, est décisif. On sait bien qu’en 1914 contre les « Boches », en 1947 en Indochine contre les « Viets », en 1954 en Algérie contre les « Fells », on a tendance à tout pardonner, même le pire, quand le pire est commis par les siens. Il existait, au début des années 2000, des drôles de républicains, et il en existe encore aujourd’hui, pour qui ce travail de vérité est malfaisant parce qu’il entacherait une certaine idée de la France. Comme si on ne savait pas, depuis l’affaire Dreyfus, que la République n’a de pire ennemi que la dissimulation ! […]
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