Longtemps retardé, un mémorial aux Tziganes déportés par les nazis est inauguré à Berlin
C’est un large bassin rond, rempli d’une eau aux reflets sombres. Au centre, une stèle, sur laquelle repose une fleur fraîchement coupée. De ce mémorial, que la chancelière allemande Angela Merkel devait inaugurer mercredi 24 octobre dans le parc de Tiergarten, au centre de Berlin, émane une impression de désolation, surtout lorsque l’eau de ce vaste puits reflète le gris d’un ciel d’octobre.
Œuvre de l’artiste israélien Dani Karavan, ce monument doit rappeler, à quelques centaines de mètres de la porte de Brandebourg et du Reichstag, l’extermination de 500 000 Tziganes européens pendant le IIIe Reich.
Telle une nouvelle pièce dans le puzzle rappelant l’horreur des crimes nazis, l’ouvrage est situé tout près du mémorial dédié aux juifs d’Europe assassinés, ce champ de stèles conçu par Peter Eisenman et inauguré en 2005, et non loin de celui consacré à la déportation de 50 000 homosexuels.
Mme Merkel l’a déjà dit, les lieux du souvenir doivent permettre aux générations futures de se confronter au passé de leur pays lorsque les derniers témoins auront disparu. Mais pour le représentant des communautés tziganes outre-Rhin, ce monument est avant tout la reconnaissance par l’Etat allemand d’un « Holocauste oublié ».
« L’Allemagne place désormais sa responsabilité dans l’extermination des Roms européens au coeur de ses lieux de pouvoirs, commente Romani Rose, le président du conseil central des Sintis et Roms. Aucun homme d’Etat invité à Berlin, qu’il vienne d’Europe centrale ou d’ailleurs, ne pourra l’ignorer. Les Européens dont les pays avaient collaboré avec les nazis prendront mieux conscience que les crimes commis contre les Roms durant la guerre sont une partie de leur histoire. Nous avons dû attendre longtemps, mais cette inauguration marque une césure. »
L’Allemagne aura mis du temps, en effet. Il faut remonter à 1982 pour qu’un chancelier, Helmut Schmidt, reconnaisse officiellement le génocide des Tziganes européens perpétré par les nazis. Dix ans plus tard, le gouvernement d’Helmut Kohl décidera de l’opportunité d’un mémorial.
Racisme persistant
En 1997, les Roms sont reconnus comme une minorité nationale. Dans un discours souvent cité depuis, le président de la République, Roman Herzog, évoquera un génocide « exécuté avec le même motif de folie raciale, […] la même volonté d’extermination planifiée et définitive que celui des juifs. Ils ont été assassinés dans la zone d’influence du national-socialisme, systématiquement, par familles, du bébé au vieillard. »
L’élaboration du mémorial, elle, prendra vingt ans, ralentie entre autres par une querelle sémantique – le conseil central des Sintis et Roms ne voulait pas voir inscrit près du monument le mot « tzigane », jugé discriminatoire – et par les hésitations de son concepteur. « Le travail de mémoire n’est pas le seul devoir des historiens ou des écrivains, il doit être ancré dans la conscience collective, explique le président du Bundestag, Norbert Lammert (CDU). Et il n’est jamais achevé une fois pour toutes. »
De fait, les tensions en Hongrie, les violences au quotidien en Roumanie, en Bulgarie ou en Italie, rappellent que, tout comme en Allemagne, où vivent 70 000 Roms, le racisme n’a pas disparu à l’égard d’une communauté qui cristallise toujours les préjugés.
Récemment, le ministre de l’intérieur allemand, Hans-Peter Friedrich (CSU), a dit vouloir limiter l’afflux vers son pays de ressortissants serbes ou macédoniens, en levant l’exemption de visa dont ils bénéficient depuis 2010. Il entend ainsi limiter le nombre de ces demandeurs d’asile, dont beaucoup sont des Roms.