Vendredi 11 juin 2004 à l’Assemblée nationale
Les députés sont réunis en séance publique pour examiner en première lecture le projet de loi « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ».
Dès le matin, Jacques Bascou, député socialiste de l’Aude, annonce la couleur :
« Ce projet de loi, dont l’intention de réhabiliter l’œuvre de la France outre-mer est louable, doit aller plus loin. […]
Les associations de rapatriés ne perçoivent pas, dans ce texte, des réponses à leurs attentes qui, depuis quarante-deux ans, demeurent en souffrance. »
Kléber Mesquida, député socialiste de l’Hérault, lui emboite le pas, après avoir salué « tous nos compatriotes provenant de ces contrées où ils ont, tout comme leurs ancêtres, contribué à l’œuvre civilisatrice de la France » :
« Monsieur le ministre, comment pourrons-nous encore expliquer aux rapatriés et aux harkis qu’il faille attendre une quatrième loi d’indemnisation ? »
Au tour du député communiste de Sète (Hérault), François Liberti :
« En défendant nos amendements, nous ne faisons que soutenir les propositions défendues par le Comité de liaison des associations nationales de rapatriés, celles de la Confédération des Français musulmans et rapatriés d’Algérie, ou encore de l’Union syndicale de défense des intérêts des Français repliés d’Algérie, qui souhaitent que d’autres articles, bien plus ambitieux et volontaires, soient intégrés au projet de loi afin de l’enrichir. »
Au cours de l’après-midi, les trois députés de gauche laissent passer sans moufter ce qui deviendra l’article 4 de la loi 1.
Arrive le vote sur l’ensemble du projet. La gauche vote contre … pour protester contre les insuffisances du texte, et pas pour exprimer son opposition. Kléber Mesquida l’a clairement déclaré au nom du groupe socialiste :
« Quand l’unité nationale est en jeu, ce qui est le cas pour le problème des rapatriés et des harkis, le groupe socialiste ne ménage pas son soutien. Il l’a apporté aujourd’hui par mon intermédiaire. Pragmatique, j’ai voté toutes les avancées mais je les estime aujourd’hui insuffisantes. Même si je me réjouis de celles qui ont été obtenues, je ne peux accepter de voter le texte en l’état. À ce stade de la première lecture, le groupe socialiste votera contre. »
Jeudi 10 février à l’Assemblée nationale
Au cours de la seconde lecture du texte, François Liberti et Kléber Mesquida joindront leurs efforts à ceux de Rudy Salles (UDF, Alpes Maritimes) et de Louis Giscard d’Estaing (UMP, Puy de Dôme) pour obtenir que les victimes de la rue d’Isly 2 soient reconnus comme « morts pour la France » 3.
François Liberti :
« Il est regrettable que la commission ait rejeté notre amendement qualifiant de “morts pour la France” les victimes de la rue d’Isly le 26 mars 1962, comme il est regrettable que la France n’assume pas toutes ses responsabilités dans ce qu’elle n’a pas su ou voulu faire jusqu’à présent en présentant un projet de loi de réparation enfin définitive. »
Kléber Mesquida :
« Concernant le drame de la rue d’Isly, les civils sur lesquels l’armée a tiré sont assurément des victimes de violences de guerre et la qualité de “morts pour la France” doit leur être attribuée. Sinon, certains pourraient être amenés à penser qu’ils sont morts “par la France”, et ce serait regrettable. »
Les deux élus de l’Hérault n’obtiendront pas gain de cause, mais tous les espoirs leur sont permis, puisque le ministre, Hamlaoui Mekachera, leur a répondu :
« Vous avez évoqué, messieurs Kert, Mesquida et Liberti, le drame de la rue d’Isly. Vous le savez, la qualité de “mort pour la France” répond à une définition précise, encadrée par des textes juridiques. J’ai demandé aux services du ministère de la défense, en liaison avec les plus hautes juridictions administratives, d’étudier la question avec la plus grande attention. Vous serez bien entendu informés des suites qui seront données. »
Néanmoins, au moment des explications de vote, François Liberti, au nom de son groupe, exprimera sa déception :
« Ce mardi, à l’initiative de la Fédération française des rapatriés d’Afrique du Nord et d’outre-mer, un congrès extraordinaire de la communauté rapatriée s’est tenu à la Maison de la Chimie auquel j’étais convié avec de nombreux élus, de toutes sensibilités politiques. Durant ma rencontre avec ces congressistes venus de la France entière, je n’ai entendu que doléances, contestations, dénonciations des insuffisances et du manque de concertation ; pire : sentiment d’être méprisés eu égard au travail qu’ils ont fourni, et beaucoup d’amertume. Leur attente est forte et ils demandent à chacun d’entre nous un solide engagement. Telle est la situation devant laquelle chacun devra prendre ses responsabilités. […]
« Vous ne l’avez pas voulu puisque nos amendements sur le volet indemnisation ont été rejetés au titre de l’article 40 de la Constitution. C’est fort dommage ! Et le débat d’aujourd’hui le confirme. En tout état de cause, l’essentiel reste à faire. Il exigera une autre loi, à construire avec toute la communauté des rapatriés.
« Dans ces conditions, je suis donc au regret de vous dire, monsieur le ministre, que notre groupe ne pourra pas vous suivre. »
Il sera rejoint par Kléber Mesquida, au nom du groupe socialiste :
« Si je regrette que ce texte ne soit pas à la hauteur de ce qui a été évoqué dans cet hémicycle – massacres, abandon, droit légitime à réparation, responsabilité -, j’estime en outre qu’il n’est pas complet, qu’il ne répond pas aux attentes de nos amis pieds-noirs et harkis et qu’il ne soldera pas le problème. Il continuera de faire saigner leur cœur, d’accentuer leur sentiment d’injustice face à une réparation incomplète. Nous ne pouvons pas cautionner cette loi, même si nous en reconnaissons les avancées, car elle aurait dû solder tous les contentieux et toutes les attentes. Si tel avait été le cas, nous aurions pu vous suivre. »
Un nouveau débat, le 29 novembre 2005
L’adoption de cette loi a suscité des protestations si nombreuses que la gauche a provoqué un nouveau débat à l’Assemblée nationale le 29 novembre, pour essayer d’obtenir l’abrogation de l’article 4. En vain.
Un journaliste nous apprend que Kléber Mesquida n’a pas pris la parole ce jour-là :
« Le lien charnel avec l’Algérie complique tout. On évoque le passé avec des morts en tête. Le 29 novembre, tandis que Christiane Taubira, applaudie par la gauche, dénonce le colonialisme comme s’il vivait encore, Kléber Mesquida, député PS de l’Hérault, ne dit rien, persuadé que ses camarades se trompent de combat. Quelques mois plus tôt, le 11 juin 2004, il a pourtant évoqué en séance le souvenir de ses grands-parents, agressés et torturés dans leur ferme algérienne par le FLN. Mais ce jour-là, la gauche est absente – comme si le projet discuté ne la concernait pas. Ce 11 juin 2004, l’Assemblée nationale veut « porter reconnaissance de la nation aux Français rapatriés ». Seuls les spécialistes sont venus. Pieds-noirs eux-mêmes, ou élus de circonscriptions où les rapatriés font nombre. » 4
Pour les trois députés PS de l’Aude, la colonisation est positive
Les trois députés socialistes de l’Aude avaient annoncé dans une lettre au Recours leur intention de ne pas voter la proposition de loi déposée par leur groupe. Jean-Claude Perez, Jacques Bascou et Jean-Paul Dupré, sont les trois députés de l’Aude, département qui compte une forte communauté de pieds-noirs 5.
Colonisation : voix discordantes au PS
C’était l’une des rares questions sur lequel le PS était parvenu à être audible depuis plusieurs mois ; et voilà qu’on découvre que ses élus n’étaient pas unanimes.
Trois députés PS de l’Aude, Jean-Claude Perez, Jacques Bascou et Jean-Paul Dupré, se sont prononcés contre l’abrogation réclamée par le PS de l’article 4 de la loi du 23 février 2005, qui mentionne « le rôle positif » de la colonisation. « Nous n’avons pas souhaité nous associer à la proposition de loi » du PS, ni « la signer », écrivent les trois députés dans une lettre adressée aux responsables de l’association de rapatriés Recours France. « Vous aurez compris qu’il est donc a fortiori hors de question pour nous de la voter », ajoutent-ils, dans ce courrier envoyé le 22 novembre, quelques jours avant la discussion de la proposition de loi PS à l’Assemblée nationale.
Examiné le 29 novembre, le texte avait été rejeté par la majorité UMP.
Colonisation : Jean-Marc Ayrault veut rappeler « à leur devoir » trois députés PS
Le président du groupe PS à l’Assemblée Jean-Marc Ayrault et le premier secrétaire du parti François Hollande recevront début janvier les trois députés socialistes de l’Aude qui se sont prononcés contre l’abrogation de l’article 4 de la loi de février 2005 sur « le rôle positif de la présence française outre-mer », pour « les rappeler à leur devoir » d’unité. Les trois parlementaires avaient affirmé, dans une lettre adressée à l’association Recours France, qu’ils ne voteraient pas la proposition de loi d’abrogation déposée par le groupe PS.
… inadvertance, disiez-vous ?
- C’est à ce propos que François Hollande a invoqué l’inadvertance. Connivence nous paraît un terme plus approprié pour qualifier cet épisode.
- Voir 609.
- Ces députés demandaient donc que les manifestants réunis à l’appel du commandement de l’OAS le 26 mars 1962 pour protester contre la très récente conclusion des accords d’Evian, puis tombés sous les balles de la police française rue d’Isly à Alger, soient reconnus comme des héros auxquels la nation tout entière devrait rendre hommage en réhabilitant leur engagement en faveur de l’Algérie française.
- « Colonisation : d’une vérité l’autre » par Claude Askolovitch – Nouvel Observateur Hebdo N° 2144 – 8 décembre 2005. –
Un aperçu du second tour des élections législatives du 16 juin 2002, dans la deuxième circonscription, celle de Narbonne. Avec 56 % des suffrages et 7 235 voix d’avance, Jacques Bascou remporte une victoire sans appel sur le candidat UMP, Michel Py.Commentaire du Midi Libre au lendemain de l’élection :
Le candidait de l’UMP n’a pas obtenu les scores escomptés. Pour deux raisons essentielles :
- il n’y a pas eu de mobilisation entre les deux tours (au contraire 908 votants de moins) ;
- les électeurs du Front national qui ne se sont pas abstenus ont rempli un impressionnant réservoir des blancs et nuls (3626 suffrages).
L’appel du FN à faire barrage à l’UMP a fonctionné à plein, preuve que cet électorat n’est pas aussi protestataire qu’on le pense, et qu’il est désormais enclin à suivre des consignes.
Y compris, dans une faible proportion, à voter pour la gauche, comme l’avait suggéré le responsable « frontiste » du Narbonnais. Quoi qu’il en soit, en faisait 4 000 voix de plus que le total des voix de gauche du premier tour, Jacques Bascou a rassemblé très au-delà de son camp. Ce qui est toujours une satisfaction pour tout homme politique.