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Ils demandent la “dé-cristallisation” de leurs pensions… on leur octroie un “diplôme d’honneur”

Le 1er avril 2010 a marqué le début des commémorations du “Cinquantenaire des indépendances africaines”. Au cours d'une conférence de presse donnée au Centre d’Accueil de la presse étrangère – aucun Africain n’était présent à la tribune –, Jacques Toubon, président de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, à qui a été confiée l’organisation de ce cinquantenaire, a présenté officiellement une série d'initiatives à venir3. Le point d’orgue de ces commémorations  sera un sommet « familial », auquel seront conviés, le 13 juillet, les dirigeants des quatorze pays concernés (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Côte d'Ivoire, Gabon, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad et Togo). Le lendemain, en hommage à la “Force noire”, des troupes africaines devraient participer au défilé du 14-Juillet sur les Champs-Élysées. Maigre consolation pour les anciens combattants des colonies, qui attendent toujours la «dé-cristallisation» de leurs pensions – « une égalité de traitement trop longtemps retardée» pour la Cour des comptes. Pourront-ils se consoler avec le « diplôme d’honneur » que Hubert Falco, secrétaire d’Etat aux Anciens combattants, a décidé d’attribuer à chacun des 250 000 vétérans de la Seconde Guerre Mondiale encore en vie ?

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Une grande disparité des montants versés1

Sur 500 000 personnes bénéficiant d’une retraite militaire, 12 000 vétérans issus des anciennes colonies et 20 000 veuves et descendants perçoivent une retraite ou une pension de réversion.

Fin 2008, le montant annuel de la retraite d’un ancien combattant français s’élevait en moyenne à 19 971 €, tandis que celle d’un ancien combattant issu des anciennes colonies ne dépassait pas 1 276 €.

De plus, ce montant moyen masque des différences allant de un à dix, selon le pays.
Ainsi, à grade équivalent, un sergent français perçoit-il 7 512 € annuels, contre 3 279 € pour un Djiboutien, 2 681 € pour un Sénégalais et 643 € pour un Marocain.

Les anciens combattants des colonies attendent toujours une retraite décente

par Laetitia Van Eeckhout, Le Monde du 2 avril 2010

A l’occasion du 70e anniversaire de la seconde guerre mondiale, le secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Hubert Falco, a voulu rendre hommage aux anciens combattants : il leur a promis, mardi 30 mars, que leur serait décerné par les maires ou les consuls de France, à une date de leur choix (cérémonies du 8-Mai, du 14-Juillet ou du 11-Novembre) un « diplôme d’honneur » en reconnaissance du devoir accompli « aux heures terribles de l’Histoire ».

Pour les vétérans issus des anciennes colonies, toujours en vie, ce diplôme n’est qu’un piètre lot de consolation, eux qui, depuis 1959, ont toujours vu leurs retraites « cristallisées », autrement dit gelées.

Le rapport annuel 2010 de la Cour des comptes, dont un chapitre leur est consacré – le sujet tenait à coeur son président défunt Philippe Séguin -, est sans équivoque : « l’égalité de traitement » et la « légitime reconnaissance » envers ces anciens combattants n’ont que « trop tardé ».

Il a fallu attendre les années 2000 pour que l’Etat commence à se saisir de cette question. En 2001, le Conseil d’Etat a condamné et jugé contraire à la Convention européenne des droits de l’homme, la différence de traitement entre d’anciens agents publics de la France, selon qu’ils sont français ou ressortissants d’Etats devenus indépendants.

Une décision qui a contraint le gouvernement Jospin à envisager pour la première fois sérieusement une « décristallisation ». Mais, devant le coût d’un alignement complet, évalué à l’époque à 1,83 milliard d’euros, l’administration a renoncé et n’a proposé qu’une revalorisation en fonction du coût de la vie dans le pays de résidence.

Un régime « non justifié »

La mesure, mise en oeuvre en 2002 par le gouvernement Raffarin, assure une parité de pouvoir d’achat dans les différents pays concernés, mais non une véritable égalité, maintenant des « différences significatives selon la nationalité », relève la Cour des comptes.

En 2006, le film du réalisateur Rachid Bouchareb Indigènes contribuera à nouveau à faire bouger les lignes. La loi de finances pour 2007 revalorisera les « prestations de feu », c’est-à-dire la retraite des combattants et les pensions d’invalidité, en mettant à égalité les anciens combattants quelle que soit leur nationalité.

Mais concernant les retraites des militaires de carrière, « des disparités très importantes » persistent encore aujourd’hui, selon qu’ils sont français ou étrangers, constate la Cour des comptes.

La situation des pensionnés issus des anciennes colonies relève ainsi « toujours d’un régime dérogatoire au droit commun des pensions », un régime « non justifié », insiste-t-elle.

« Aujourd’hui, on préfère leur donner en France une allocation pour personne âgée, plutôt que de leur verser une retraite décente chez eux. On s’obstine à leur verser ici ce qu’on pourrait leur verser au pays. C’est d’autant plus absurde que leur verser une retraite est une forme d’aide au développement », relève le député et président PS de la région Aquitaine, Alain Rousset, auteur d’une proposition de loi de décristallisation complète des pensions et retraites des anciens combattants issus de l’empire colonial.

La Cour des comptes recommande, elle aussi, « un alignement automatique et intégral du régime de tous les pensionnés, quels que soient leur lieu de résidence et leur nationalité, sur le régime appliqués aux Français « . Le coût d’une décristallisation intégrale s’élèverait à 152 millions d’euros.

La Cour met cependant en garde contre le « risque contentieux croissant », notamment au regard du droit européen, que fait peser le maintien d’un régime dérogatoire. Depuis 2008, de fait, les contentieux se multiplient et, notamment, des ressortissants maghrébins ont obtenu des tribunaux administratifs une décristallisation intégrale de leurs pensions.

Naïma Charaï, conseillère régionale en Aquitaine et présidente d’une association qui porte leur nom Les Oubliés de la République, ne décolère pas : « Va-t-on attendre la mort du dernier indigène pour se décider, la larme à l’oeil, à agir ? »

Un extrait du rapport de la Cour des comptes (février 2010) 2

La décristallisation des pensions des anciens combattants issus de
territoires anciennement sous la souveraineté française : une égalité de
traitement trop longtemps retardée

Les pensions servies à tous les fonctionnaires et aux militaires n’ayant
pas fait le choix de la nationalité française ont été « cristallisées »
suite à l’indépendance des territoires dont ils étaient originaires.
Cette cristallisation a consisté à figer à la fois la valeur du point,
l’indice et les règles juridiques permettant de calculer le montant
d’une pension. La plupart des pensionnés concernés par ces textes de
cristallisation ont servi sous le drapeau français pendant l’une des
deux guerres mondiales, le conflit indochinois ou la guerre d’Algérie et
ont donc le statut d’ancien combattant.

Cette cristallisation a été source d’une double inégalité de traitement
: entre Français et ressortissants des territoires devenus indépendants,
entre les ressortissants de ces différents territoires du fait de dates
de cristallisation différentes.

Quarante-huit décrets non publiés au Journal Officiel ont revalorisé
progressivement leurs pensions entre 1971 et 1994, sans pour autant les
aligner sur le niveau français. Conformément à une recommandation de la
Cour qui préconisait de « réexaminer dans le sens d’une plus grande
équité les mécanismes de la cristallisation », plusieurs réformes ont
été mises en oeuvre à partir de 2002.

La Cour, à l’issue d’une enquête portant sur l’ensemble du dispositif
(prestations du feu, mais aussi pensions militaires et civiles de
retraite), constate que les évolutions intervenues depuis 2002 n’ont pas
suffisamment amélioré la lisibilité du régime ni réglé de manière
déterminante les problèmes persistants en matière d’égalité de traitement.

Défilés des troupes coloniales sur les Champs-Elysées, le 14 juillet 1939.  (© AFP)
Défilés des troupes coloniales sur les Champs-Elysées, le 14 juillet 1939. (© AFP)

  1. Référence : Le Monde du 2 avril 2010.
  2. Extrait du Rapport public annuel 2010 de la Cour des comptes : http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPA/22_decristallisation-pensions-anciens-combattants.pdf.
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