Chargé d’organiser la participation des mouvements révolutionnaires du tiers monde à la conférence Tricontinentale qui doit se réunir à La Havane en 1966, il est enlevé à Paris devant le 151 boulevard Saint-germain, le 29 octobre 1965, par le policier français Louis Souchon, accompagné de plusieurs collègues pour le compte du général Oufkir, chef de la police marocaine. Il a sans doute été assassiné dans les jours qui suivirent son enlèvement. Cette affaire, symbolique de la répression des opposants au régime d’Hassan II, a longtemps gelé les relations franco-marocaines.
Quarante ans après la disparition de Mehdi Ben Barka, la justice française enquête toujours sur l’enlèvement de cet opposant à Hassan II dont le corps n’a jamais été retrouvé. Depuis 1975, saisie par une plainte de la famille Ben Barka, la justice française enquête, avec plus ou moins de succès. Près d’une demi-douzaine de juges d’instruction se sont succédé pour instruire ce dossier.
Ce vendredi-là, le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka, président de la Tricontinentale rassemblant des Etats qui viennent d’accéder à l’indépendance et des mouvements de libération, a rendez-vous devant la célèbre brasserie Lipp, boulevard Saint-germain, au cœur de Paris.
Il doit déjeuner avec un journaliste Philippe Bernier, le cinéaste Georges Franju qui envisage un film sur la décolonisation et Georges Figon, un repris de justice qui a organisé le rendez-vous.
Il est 12h15. Deux policiers de la brigade mondaine, Louis Souchon et Roger Voitot invitent Ben Barka à monter dans une voiture où se trouve Antoine Lopez, informateur du SDECE (devenu DGSE, services secrets). On raconte qu’il n’a manifesté aucune résistance lors de son enlèvement, croyant de bonne foi aux assurances exprimées par le biais des circuits politiques qui lui garantissaient la protection et la sécurité durant son séjour en France.
Ben Barka est conduit à Fontenay-le-Vicomte, dans la région parisienne, dans la villa d’une figure du milieu, Georges Boucheseiche. Nul ne le reverra vivant.
L’enquête judiciaire mène rapidement à des hommes politiques français, des policiers et des truands et fait apparaître que le général Mohamed Oufkir, ministre marocain de l’Intérieur, Ahmed Dlimi, directeur de la sûreté nationale marocaine, et un certain Chtouki, chef des brigades spéciales marocaines, se trouvaient alors à Paris. Quelques semaines après l’enlèvement, Georges Figon affirme à L’Express avoir vu Oufkir tuer Ben Barka dans la villa.
L’instruction aboutit à l’inculpation de treize personnes dont Oufkir, Dlimi, Marcel Leroy-Finville, un cadre du SDECE, Lopez et Figon. Mais ce dernier est retrouvé mort le 17 janvier 1966 et l’enquête conclut à un suicide. Un mois plus tard, le 22 février 1966, dans une conférence de presse, de Gaulle qualifie l’enlèvement d’opération qui « n’a rien que de vulgaire et de subalterne ».
Un premier procès s’ouvre le 5 septembre 1966. Six accusés sont dans le box. Sept autres, dont Oufkir, Dlimi et Boucheseiche, font défaut. Dlimi se constitue prisonnier le dernier jour du procès mais Hassan II refuse que son ministre de l’Intérieur Oufkir comparaisse en France.
Un second procès s’ouvre le 17 avril 1967 en l’absence de la famille Ben Barka, retirée des débats après le décès de ses principaux avocats. Le 5 juin 1967 Dlimi et les protagonistes français sont acquittés, à l’exception de Lopez et Souchon, condamnés à huit et six ans de prison. Oufkir est condamné par contumace à la réclusion à perpétuité.
La condamnation par la justice française d’un ministre étranger en exercice, fait sans précédent dans le droit international, provoquera le gel des relations franco-marocaines pendant deux ans.
En novembre 1999, la famille de Ben Barka regagne le Maroc. Cinq ans plus tard, le secret défense est totalement levé en France sur les documents de l’affaire. Le 5 octobre 2005, le ministre marocain de la Justice désigne un juge d’instruction pour exécuter une commission rogatoire adressée au Maroc en septembre 2003, et renouvelée en mai 2005.
Un juge d’instruction français doit se rendre fin novembre au Maroc. Le magistrat a procédé ces dernières semaines à l’audition de témoins ayant eu à connaître de cette affaire, comme Maurice Papon, à l’époque préfet de police de Paris, ou d’anciens agents du SDECE, les anciens services secrets français, comme Antoine Lopez ou Maurice Leroy-Finville.
Depuis la mort d’Hassan II, le dossier a connu une évolution favorable. Le précédent juge d’instruction s’est rendu à deux reprises au Maroc pour tenter de retrouver la trace de truands français dont l’instruction a montré qu’ils avaient participé à l’enlèvement de Mehdi Ben Barka. Mais si la justice marocaine a pu attester de leur présence un temps sur son sol, Georges Boucheseiche, Julien Le Ny et Pierre Dubail ont depuis disparu de la circulation.
En revanche, la justice française n’a jamais pu entendre, dans le cadre de commissions rogatoires internationales, d’anciens responsables des services secrets marocains. Le général Oufkir s’est « suicidé » après la tentative de coup d’état contre Hassan II en 1972 et le colonel Dlimi, ancien chef de la police, a trouvé la mort en 1983.
Le fils de l’opposant marocain, Bachir Ben Barka, considère que la décision d’enlever son père a été prise « au plus niveau de l’Etat » marocain, et qu’il s’agissait « d’un acte criminel » répondant à des aaspirations politiques » qui « a abouti » à sa mort.
L’avocat de sa famille, et le Bachir Ben Barka, demandent au Maroc de se décider enfin « à dire la vérité ».
« Je prétends, je maintiens et je démontrerai que le roi Hassan II est directement impliqué dans la demande de rapt, de retour forcé de Mehdi Ben Barka au Maroc », a affirmé l’avocat lors d’une conférence de presse. « Mais je ne pense pas qu’il ait décidé, lui, la mort à Paris de Ben Barka », a-t-il ajouté.
Désormais, les proches de l’opposant marocain attendent les résultats d’une commission rogatoire internationale (CRI) adressée au Maroc, concernant « les policiers marocains ayant participé à la ‘disparition’ de Mehdi Ben Barka », a expliqué l’avocat de la famille, en rappelant qu' »un juge d’instruction marocain vient d’être désigné ».
« En principe, la commission rogatoire sera exécutée dans les premiers jours de décembre », souligne-t-il, en se demandant toutefois si les personnes impliquées seront entendues.
« Je suis de ceux qui depuis 40 ans espèrent un jour la vérité », poursuit l’avocat. « Nous allons voir au mois de décembre prochain si le pouvoir marocain, donc sa majesté Mohammed VI, est décidé à ce que la vérité éclate ».
Lundi 31 octobre 2005, le maire de Paris inaugurera une place Mehdi Ben Barka à l’angle de la rue du Four et de la rue Bonaparte, dans le 6e arrondissement de la capitale, avant de dévoiler une plaque devant le 151 boulevard Saint-Germain où il fut enlevé.
L’Institut Mehdi Ben Barka – Mémoire Vivante
et le SNES – FSU
appellent à un rassemblement à sa mémoire
Samedi 29 Octobre 2005 à 11H00
Boulevard Saint-Germain face à la Brasserie LIPP
40 ans après, la vérité n’est toujours pas établie,
ni en France, ni au Maroc
Avec le soutien de : (premiers signataires)
Association des Marocains en France (AMF), Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF), Association des
Parents et Amis des Disparus au Maroc (APADAM), Association de Défense des Droits de l’Homme au Maroc (ASDHOM), Forum Marocain Vérité et Justice – France ( FVJ-France), Association Mémoire Vérité Justice sur les assassinats politiques en France (MVJ), La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), La Ligue des droits de l’Homme
(LDH), Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), Parti socialiste
(PS), Parti communiste français (PCF)…