PAGE DÉCHIRÉE, MESSAGE QUI S’ENVOLE AU LOIN
En ce cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, foison de témoignages, d’articles, d’ouvrages et documents en tous genres sont mis à disposition du public, des journalistes et des historiens. Après un demi-siècle d’opaque brouillard, l’iceberg apparaît enfin en pleine lumière. Comme tout un chacun, je me réjouis de ce progrès, pourtant je réalise combien la libération de la parole peut aussi provoquer des silences. Tel appelé qui du temps de notre jeunesse avait esquissé un témoignage sur la corvée de bois clôt son propos aujourd’hui en déclarant que la guerre d’Algérie n’est pas sa tasse de thé. Un autre avec qui je pouvais échanger malgré nos divergences sur ce sujet me claque la porte au nez. Moins traumatisant, le dernier en date, qui prêt à témoigner un jour se rétracte le lendemain. La crainte d’être parfois incompris et jugé enfonce encore plus profond la partie immergée de l’iceberg.
En parallèle, dans un tout autre registre, je note l’occultation d’un fait historique, est-ce le seul, devenu peut être trop gênant. Je veux parler d’une date qui me tient particulièrement à cœur, le 24 juin 1962 (il y a tout juste cinquante ans) la barbare mise à mort du commandant Kubasiak.
Vers 2010, je découvrais sur la toile que seuls ses assassins parlaient de ce courageux commandant, mais il a fallu le témoignage d’Alain Amsellem pour qu’enfin je me décide d’écrire à mon tour. Pensant alors que d’autres témoignages suivraient. Souvent je vais à la pêche aux renseignements sur Google, mais comme sœur Anne qui ne voit rien venir, je ne vois que ce poignard qui rougeoie et la campagne aixoise qui verdoie.
Pour ceux qui me tanceraient de citer mes sources je vous renvoie au conte de « Barbe bleue » et à cette autre citation de Gilles Buscia : « En se voyant perdu le commandant Kubaziak se mit à hurler, attirant aussitôt dans le couloir plusieurs membres de sa famille, qui en tentant de s’interposer, empêchèrent le légionnaire de le poignarder avec précision… J’estimai qu’il fallait en finir et j’ouvris le feu sur l’officier qui s’écroula. Je lui tirai alors le coup de grâce, afin de m’assurer de la bonne exécution de ma mission… […]. Je regardai mes hommes les uns après les autres… tous semblaient parfaitement détendus et cependant que l’un des légionnaires essuyait son poignard tâché de sang avec un chiffon sorti d’un sac de plage, les autres semblaient admirer la campagne aixoise, fort belle en cette saison. »1.
Dernièrement sur le site « Algérie politique, histoire de l’OAS » je découvre qu’à la date du 24 juin 1962 il ne s’est rien passé. Ce silence questionne : un simple oubli, tout comme une occultation choisie, dénote le peu d’importance attaché à cet événement. Le rôle joué par le commandant Kubasiak à Blida lors du putsch d’Alger serait donc anecdotique, mais alors pourquoi l’avoir liquidé si c’était pour des broutilles ? Cette dernière considération me porte à croire que ce silence correspondrait à la gêne bien compréhensible d’évoquer ce fait d’arme peu glorieux, le mot est faible, pour leurs auteurs. Car même du point de vue d’une logique de guerre juste (que bien sûr je réfute) la liquidation de ce pauvre homme à la retraite rentre plus dans le cadre d’une vengeance gratuite, inutile et dévalorisante que dans celui d’une douteuse stratégie.
Pour en terminer avec « L’histoire de l’OAS », je ne reproche pas l’esprit partisan de cette étude, mais le silence en ce qui concerne la date du 24 juin 1962. Je ne peux accepter que Joseph Kubasiak soit iniquement condamné une troisième fois.
La première condamnation stupéfiante et peu connue, lui a été infligée par l’Armée ! Avec la bienveillante indifférence de Pierre Messmer, ministre des armées, voire son aval ? A ce propos on relira le témoignage d’Alain Amsellem.
La seconde étant ce poignard rougi de son sang.
La troisième, l’oubli, serait comme le chantait si bien Jean Ferrat, que ce sang sèche vite en entrant dans l’histoire Et même pire, de l’essuyer avec un vulgaire chiffon et de balancer le tout aux poubelles de l’histoire. Circuler il n’y a plus rien à voir.
C’est ce contre quoi je m’insurge, en aucun cas l’amnistie ne saurait signifier amnésie, vous aurez beau frotter, la clé du cabinet de Barbe bleue sera toujours tachée de sang.
Le 24 juin 2012