Communiqué de démission des instances officielles de la CNHI de huit historiens et démographes
Immigration et identité nationale : une association inacceptable
Depuis 2003 nous avons participé au projet de la Cité nationale de
l’histoire de l’immigration (CNHI). Cette Cité, qui doit ouvrir ses
portes en cette année 2007, a été voulue, comme un nouveau lieu de
l’histoire de France, au lendemain des élections présidentielles de
2002, à l’occasion desquelles les Français avaient signifié leur
refus de la tentation xénophobe. Ce lieu entend changer le regard de
nos contemporains sur leur société en rappelant comment, depuis deux
siècles, les étrangers, venus par vagues successives, ont contribué à
développer, transformer et à enrichir la France. Rendre compte de la
diversité des histoires et des mémoires individuelles et collectives,
en faire l’histoire de tous, avec ses moments glorieux et ses zones
d’ombre, aider ainsi au dépassement des préjugés et des stéréotypes,
tels sont les enjeux qui nous ont mobilisés autour de ce projet.
L’instauration d’un « ministère de l’immigration et de l’identité
nationale », remet en cause ces objectifs. Les mots sont pour le
politique des symboles et des armes. Or il n’est pas dans le rôle
d’un Etat démocratique de définir l’identité. Associer «
immigration » et « identité nationale » dans un ministère n’a jamais
eu de précédent dans notre République : c’est, par un acte fondateur
de cette présidence, inscrire l’immigration comme « problème » pour
la France et les Français dans leur être même.
Ce rapprochement s’inscrit dans la trame d’un discours stigmatisant
l’immigration et dans la tradition d’un nationalisme fondé sur la
méfiance et l’hostilité aux étrangers, dans les moments de crise. Là
où le pari de la CNHI était celui du rassemblement tourné vers
l’avenir, autour d’une histoire commune que tous étaient susceptibles
de s’approprier, ce ministère menace au contraire d’installer la
division et une polarisation dont l’histoire a montré les ravages.
Voilà pourquoi nous démissionnons à compter de ce jour de nos
fonctions officielles à la Cité nationale de l’histoire de
l’immigration. Nous tenons cependant à saluer le remarquable travail
effectué depuis plus de trois ans par Jacques Toubon et toute son
équipe. Nous avons pu y être associés dans un esprit de liberté
intellectuelle et d’indépendance. Nous continuerons de soutenir ce
projet tant que son esprit perdurera.
Marie-Claude Blanc-Chaléard, historienne (Paris1)
Geneviève Dreyfus-Armand, historienne (BDIC)
Nancy L. Green, historienne (EHESS)
Gérard Noiriel, historien (EHESS)
Patrick Simon, démographe (INED)
Vincent Viet, historien (IDHE)
Marie-Christine Volovitch-Tavarès, historienne
Patrick Weil, historien (CNRS-Paris1)
Brice Hortefeux à la tête d’un grand ministère de l’immigration incluant l’identité nationale
Promesse majeure du candidat Sarkozy, le ministère de «l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement» n’a pas fini de susciter la polémique. Le jour même de l’annonce de sa création, huit historiens ayant participé au projet de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration démissionnent, en guise de protestation, de leurs fonctions de l’institution, alors même que la Cité doit ouvrir ses portes cet été. «Associer immigration et identité nationale, c’est inscrire l’immigration comme “problème” pour la France et les Français dans leur être même», affirment-ils dans un court texte.
Grande nouveauté, hautement symbolique, de ce gouvernement, «l’immigration, l’intégration, l’identité nationale, et le codéveloppement» reviennent donc à un ministre de plein exercice, le fidèle parmi les fidèles Brice Hortefeux. L’ami de plus de trente ans de Nicolas Sarkozy se voit gratifié d’un dossier cher au nouveau président, mais il va déjà devoir, au-delà même de la polémique, résoudre un casse-tête.
Création de toutes pièces, ce nouveau ministère est en effet appelé à rassembler l’ensemble des services qui s’occupent d’immigration – de la délivrance des visas à la reconduite à la frontière en passant par l’octroi des titres de séjour -, d’asile, d’intégration, de codéveloppement et… «d’identité nationale», ajoute Patrick Stefanini, secrétaire général du Comité interministériel de contrôle de l’immigration (CICI), qui travaille depuis plusieurs semaines à la construction de l’édifice. Concrètement, ce terme d’identité nationale permettra d’englober aussi tout ce qui concerne l’acquisition de la nationalité française.
Tous ces pans de la politique d’immigration relèvent jusqu’à présent d’au moins quatre ministères. Les visas et l’asile dépendent des affaires étrangères ; les titres de séjour, de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l’intérieur ; l’accueil et les naturalisations sont gérés par la direction des populations et des migrations (DPM) du ministère de l’emploi ; l’acquisition de la nationalité par mariage relève de la justice ; et les expulsions, de la police aux frontières (PAF).
La nouvelle entité ne disposera pas, dans l’immédiat, d’une administration propre. Pour qu’elle puisse être opérationnelle rapidement, les différents services resteront attachés, dans un premier temps du moins, à leurs administrations d’origine. Dans l’immédiat, seul le CICI, créé en mai 2005 et jusqu’alors rattaché au ministère de l’intérieur, sera transféré, un simple décret suffisant à modifier son rattachement.
Les différentes administrations concernées par la politique d’immigration ont été appelées depuis deux ans à travailler ensemble dans le cadre du CICI, mais il va désormais leur falloir partager au quotidien une même culture. Un pas que Brice Hortefeux devra les convaincre de franchir, pour mener à bien les chantiers qui l’attendent, et cela très rapidement.
L’immigration, le candidat Sarkozy l’a dit et répété pendant sa campagne, sera un des premiers sujets au programme de la session parlementaire extraordinaire de cet été, avec un nouveau projet de loi visant notamment à durcir les conditions du regroupement familial. «Pour faire venir sa famille, il faudra un logement et un travail mais il faudra aussi apprendre le français avant de venir», a-t-il prévenu.
Chargé de renforcer la politique d’«immigration choisie» promue par la loi du 24 juillet 2006, Brice Hortefeux devra aussi s’atteler à la définition de plafonds annuels d’entrées par catégorie (immigration économique, asile, regroupement familial). Des objectifs chiffrés auxquels Nicolas Sarkozy, en tant que ministre de l’intérieur, avait dû renoncer, se heurtant aux réticences de Matignon, hostile au principe de quotas.
Patrick Weil : «immigration et identité nationale: une “confusion” et une “régression”»
Patrick Weil et sept autres universitaires ont démissionné ce vendredi des instances publiques de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) pour protester contre la création d’un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du co-développement. La Cité, «chargée de rassembler, sauvegarder, mettre en valeur et rendre accessibles les éléments relatifs à l’histoire de l’immigration en France», est née en 2003. Patrick Weil, historien, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’immigration, explique sa démarche à Liberation.fr.
- Pourquoi avez-vous démissionné de la CNHI?
Il s’agit pour moi d’un acte éthique. On ne peut pas accepter la création d’un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du co-développement et faire comme s’il ne se passait rien. Vu notre métier, vu les manipulations politiques qui existent contre l’immigration et vu le développement du nationalisme xénophobe, c’est notre travail qui est en jeu même si la CNHI elle-même n’est pas entachée par la création de ce ministère.
Nous participerons à titre privé aux activités de la CNHI, aux conférences, mais nous ne siégerons plus dans les instances publiques afin de garder notre indépendance et notre sens critique.
- En quoi la création de ce ministère peut-elle peser sur le fonctionnement de la CNHI?
La CNHI a un sens: elle vise à permettre à tous les Français, à tous les jeunes, de comprendre l’apport et la part des étrangers depuis deux siècles dans le développement de la société française. L’idée est de combattre les préjugés et toutes les images falsifiées. Or associer «identité nationale» et «immigration», ce qui est unique dans un pays démocratique, signifie que la France et les Français ont un problème avec la question même de l’immigration.
Mon rôle est d’expliquer que cette confusion est une régression historique. Il ne faut pas schématiser et faire de l’immigration un «problème». Selon moi, il n’y a pas de raisons d’associer la naturalisation au contrôle des frontières dans un même ministère, de regrouper des domaines distincts. On sent d’ailleurs dans la politique menée un ciblage vers certaines origines par rapport à d’autres. On veut empêcher certaines nationalités d’entrer en France, restreindre certains visas.
- Pourquoi pensez-vous que ce ministère ne va pas fonctionner?
Parce que les ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de l’Emploi vont se contenter de se décharger des tâches peu nobles en matière d’immigration sur ce nouveau ministère. Il n’est pas cohérent historiquement d’associer le droit d’asile au regroupement familial. Ce nouveau ministère risque d’être débordé et de ne pouvoir remplir ces fonctions.
Gérard Noiriel: «Nous ne pouvons rester silencieux»
Gérard Noiriel est l’un des huit chercheurs ayant démissionné du comité d’histoire de la future Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) pour protester contre la création d’un ministère dont l’intitulé associe «immigration» et «identité nationale». Il revient sur les raisons de ce départ.
- Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a souhaité «ardemment» que vous reconsidériez votre démission ; Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, s’est déclaré prêt à vous rencontrer. Où en êtes-vous ?
Nous devons rencontrer Brice Hortefeux la semaine prochaine. Nous acceptons bien volontiers cet entretien mais, pour nous, il n’a pas vraiment de raison d’être, nous n’avons pas de revendications à formuler.
- Vous avez pourtant démissionné…
Pendant la campagne électorale, nous avons fait savoir publiquement que l’intitulé d’un ministère avec côte à côte les mots «immigration» et «identité nationale» n’était pas tolérable. Par notre expérience et nos travaux, nous savons que cette association a été mise en circulation en France d’abord par le Club de l’Horloge et le Grece (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne)[deux officines d’extrême droite, ndlr], et diffusée par le Front national. Dans un ouvrage que j’ai publié chez Fayard1, je montre le rôle majeur des mots plus que des idées ou des arguments dans la construction des stéréotypes sur l’immigration. Ce label associant immigration et identité nationale charrie des représentations négatives. Désormais, tout le monde va prononcer quotidiennement le nom de ce ministère, et ce qui auparavant ne s’entendait que dans la bouche des gens d’extrême droite va être complètement banalisé. Si on ne casse pas ces réflexes, il ne faut pas s’étonner, comme le montre la dernière enquête de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), que 50 % des Français pensent qu’il y a trop d’étrangers dans ce pays !
- La Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) a-t-elle pour objet de promouvoir une image particulière de l’immigration ?
La décision de créer la CNHI a été prise à la suite de l’élection de 2002, et du choc de la présence de Le Pen au second tour. On a assisté à une évolution qui nous a paru positive du côté de la droite puisque Jean-Pierre Raffarin, le Premier ministre d’alors, a confié à Jacques Toubon une mission de préfiguration de la Cité avec, parmi les objectifs qui lui étaient fixés, de «contribuer à changer le regard sur l’immigration». A cette époque, on a vraiment eu le sentiment qu’il y avait une sorte de consensus républicain autour de ces questions. Mais, pendant la campagne de la présidentielle, on a vu resurgir le vieux vocabulaire du mépris et de l’intolérance à l’égard des immigrés. Pour nous, cet acte de démission a été difficile car nous avions travaillé dans un climat de confiance et en toute liberté avec les responsables de la Cité. Notre démission n’est donc pas un désaveu de l’action menée dans ce cadre. J’envisage, pour ma part, de continuer les projets dans lesquels je me suis impliqué, mais je le ferai «à la base», en tant que collaborateur extérieur.
- Vous pensez que le candidat Sarkozy devenu président a voulu vous faire payer quelque chose ?
Je ne crois pas qu’il faille raisonner ainsi. Nous savons pertinemment que, dans notre société, le point de vue des scientifiques ne pèse pas lourd dans les décisions politiques. Notre seul souci a toujours été d’assumer nos responsabilités de chercheurs impliqués dans la défense d’une cause civique, mais en toute indépendance d’esprit. C’est la raison pour laquelle au moment des violences urbaines de 2005, nous avions rédigé un texte, paru dans Le Monde, pour dire que les dirigeants politiques ne devaient pas employer des termes qui blessent, comme «racaille» , mot qui fait partie d’un vocabulaire extrêmement connoté historiquement et politiquement. Pendant la campagne électorale, plusieurs d’entre nous ont dit publiquement qu’ils ne pourraient pas rester silencieux si un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale était créé. Dans les jours qui ont précédé la constitution du gouvernement, nous avons alerté les autorités sur nos intentions. Mais nous n’avons pas été entendus.
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Musée de l’immigration : des historiens reçus
Brice Hortefeux a reçu le président du musée et les chercheurs, dont les huit qui ont démissionné pour protester contre l’instauration d’un ministère de « l’Immigration et de l’Identité nationale ». Ils demandent que le ministère change de nom.
Le ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux, s’est entretenu mardi matin avec Jacques Toubon, le président de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI), et les douze membres du comité d’histoire de la Cité, dont huit sont démissionnaires.
Selon un communiqué du ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, Brice Hortefeux a souligné « l’importance » du projet de la CNHI « qui contribuera à la mémoire de l’immigration, élément de notre histoire nationale et à la reconnaissance des parcours d’intégration des populations immigrées à la société française ».
La Cité, située Porte-Dorée à Paris, doit ouvrir ses portes cette année.
« Maîtriser l’immigration et mieux réussir l’intégration »
Huit des douze membres du comité d’histoire de la Cité avaient annoncé, le 18 mai, jour de la nomination du nouveau gouvernement, leur démission pour protester contre l’instauration « inacceptable », selon eux, d’un ministère de « l’immigration et de l’identité nationale ».
Soulignant que l’entretien avait aussi porté sur « les questions posées dans le débat public » par certains membres du comité d’histoire, le communiqué indique que Brice Hortefeux « a rappelé qu’il avait pour objectif clair de maîtriser l’immigration, en luttant contre l’immigration clandestine et en agissant en faveur du développement des pays d’origine pour mieux réussir l’intégration des immigrés à la communauté nationale ».
Changer le nom du ministère
Patrick Weil, l’un des huit historiens démissionnaires, a déclaré à l’AFP que les douze membres du comité d’histoire avaient « unanimement marqué » leur « désapprobation à l’égard de l’association, dans le titre du ministère, des termes ‘immigration’ et ‘identité nationale’ « .
« Nous avons demandé à M. Hortefeux de transmettre cette désapprobation unanime au président de la République afin que ce titre soit modifié », a ajouté Patrick Weil.
Le communiqué du ministère souligne par ailleurs que ce ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement « a été créé pour être le ministère du ‘vivre ensemble’ « .