La reconnaissance de la nation envers les Harkis ne peut pas être simplement morale. Elle doit être également concrète, c’est-à-dire sociale et économique.
Comme on peut se féliciter de la mise en œuvre des mesures en faveur de l’emploi des enfants de Harkis.
A ce jour, 8 200 personnes ont été identifiées, 5 600 se sont engagées dans le processus et, à l’heure où je vous parle, 2 138 ont retrouvé un emploi ou bénéficient d’une formation qualifiante.
Ce sont là des avancées que l’on peut saluer et qu’il faut mettre au crédit de la mobilisation de la mission interministérielle aux rapatriés, des préfectures et des services de Pôle Emploi.
Mais il faut aller plus loin.
Le gouvernement entend proroger et renforcer le plan emploi jusqu’à la fin de l’année 2010.
L’objectif de cette mesure est simple : faire bénéficier du plan emploi un nombre encore plus important d’enfants de Harkis.
Pour y parvenir, nous veillerons à ce que l’information soit mieux diffusée dans les départements où elle est apparue insuffisante, afin d’inciter partout les enfants de harkis le souhaitant à s’intégrer dans le dispositif gouvernemental
Nous devons ensemble, avec l’ensemble des associations et des acteurs économiques, nous mobiliser et consacrer les mois qui viennent à communiquer et à informer le plus grand nombre.
Il y a des emplois réservés à disposition depuis le mois de juin dernier ; il y a 200 000 actes de formation prévus dans le plan emploi et 190 000 contrats aidés : chaque enfant de Harki, où qu’il se trouve en France, doit pouvoir en bénéficier, car il en a le droit.
La deuxième mesure que le gouvernement entend prendre, c’est de permettre l’attribution de l’allocation de reconnaissance aux enfants d’anciens supplétifs dont les parents bénéficiaires sont décédés entre le 23 février 2005, date de la publication de la loi et la date butoir du 1er octobre 2005 sans avoir pu choisir entre les trois options du versement prévues par la loi.
C’est une mesure d’équité qui permettra à ces enfants de bénéficier également de cette allocation de 20000 euros.
Mesdames, Messieurs,
La nation témoigne aujourd’hui de sa reconnaissance envers les Harkis. Dans le mot « reconnaissance », il y a trois choses qui s’expriment : la mémoire, la gratitude et le respect.
Il est inadmissible qu’en 2009, dans notre pays, on puisse insulter les Harkis parce qu’ils sont Harkis, les injurier et le faire sans craindre d’être puni par la Loi.
Cette situation révoltante doit changer. Car quel serait le sens de notre action en faveur des Harkis si nous laissions faire ?
Nous aurions beau jeu de parler de mémoire, de nous réunir comme nous le faisons aujourd’hui pour rendre hommage aux Harkis, si dans le même temps nous laissions certains les insulter impunément.
Que cela soit dit, une fois pour toutes : lorsque l’on insulte les Harkis, c’est la France tout entière que l’on insulte. C’est la conviction du président de la République, celle du Premier ministre et de l’ensemble du gouvernement.
C’est la raison pour laquelle j’ai proposé à la concertation interministérielle un projet de texte qui modifie l’article 5 de la Loi du 23 février 2005.
Nous n’en resterons pas à l’interdiction de principe actuelle : une fois la loi modifiée, les tribunaux pourront expressément condamner la diffamation et l’injure envers les Harkis, de la même manière que sont sanctionnés dans notre pays les propos à caractère raciste.
Cette modification de la loi donnera la faculté aux associations représentatives des Harkis de se constituer partie civile.
Parmi les premières réactions :
Boaza Gasmi, président du Comité national de liaison des harkis qui affirme réunir plus de 150 associations, s’est réjoui de ces mesures « très attendues » mais a souhaité un plan emploi-formation « renforcé ».
Président d’honneur du Comité national de liaison des harkis, Boussad Azni a également salué des « points très positifs ». Il plaide cependant pour d’autres initiatives, à commencer par « la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans l’abandon et le massacre des harkis ».
Quant à Youssef Djerfi, président de la Fédération des associations de harkis et de rapatriés, il y voit « une nouvelle étape » mais reste prudent: « des promesses, on nous en a trop fait… »
De Hortefeux aux Harkis
Entrechats du blancisme et autre monde
La grasse vanne sur les « Arabes » de Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, a provoqué une tempête médiatique et politique particulièrement spectaculaire. Au même moment, Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï, fille et fils de Harkis, assiègent l’Assemblée nationale, à Paris. Leur voiture est leur chambre, leur salle à manger est un banc public, et leur maison est le trottoir. Chaque jour depuis bientôt cinq mois, ils déploient d’immenses banderoles au vitriol sur la place Edouard Herriot, sous le nez des députés. En juristes implacables, documents à l’appui, ils accusent Nicolas Sarkozy, président de la République, de parjure et de duplicité. Or pour l’heure, l’action des trois assiégeurs fait l’objet d’un écho médiatique et politique quasiment nul… Deux poids, deux mesures ? Myopie historique ? Incohérence ? Pas si sûr…
De Gaulle en miniature
D’un côté, la blague foireuse de Brice Hortefeux, qui, cynique ou ironique selon les arrière-pensées qu’on lui prête, n’est que la reproduction, en miniature, de cette réflexion par laquelle Charles de Gaulle justifia l’indépendance qu’il imposa aux populations africaines il y a bientôt cinquante ans :
« C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. »
D’un autre côté, l’action menée par les Harkis au Palais Bourbon, qui fait l’objet d’un black-out médiatique presque intégral, alors que la tragédie des Harkis et des Algériens francophiles (entre 45.000 à 150.000 morts au lendemain de l’indépendance algérienne, puis aliénation des rescapés dans des camps en France, mépris, injure, calomnie) fut la conséquence d’un système de pensée dont la blague de Brice Hortefeux semble un avatar dérisoire…
Sous certains rapports, on le devine, ces événements, tout comme le traitement qui en est fait, relèvent en réalité du même système, et s’y inscrivent. Or pour notre société, ce système se trouve être un tabou absolu. Car si ses secrets étaient révélés au grand public, ils pourraient bien discréditer, pour le dire vite, deux générations d’hommes politiques, deux générations d’historiens, et deux générations d’intellectuels français. Difficile d’imaginer plus puissant séisme. Cela ressemblerait peut-être à une révolution…
Préservation de la France blanche, gréco-latine et chrétienne
L’Histoire de la Ve République blanciste, aujourd’hui encore presque totalement occultée, constitue ce secret explosif.
Il y a un demi-siècle, foulant aux pieds les principes les plus fondamentaux de la France, le gouvernement dirigé par le général de Gaulle débarrassa la République de ses territoires et populations d’Afrique. Pour préserver, selon un trait emprunté à Barrès, une « certaine idée de la France » et des Français :
« Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne », martelait en coulisse l’ermite de Colombey.
Bénéficiant de la complicité, active ou passive, et pour toutes sortes de raisons, d’abord de l’Armée dupée, puis, jusqu’au bout, de la plus grande partie de la classe politique et d’une fraction importante de l’intelligentsia françaises, de droite comme de gauche, d’extrême-droite comme d’extrême-gauche, le Général obtint la sécession des anciennes colonies africaines de la France, qu’il présenta habilement comme le triomphe du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».
Alors même que les populations d’Afrique, y compris en Algérie, aspiraient bien davantage à l’égalité, garante de liberté et de fraternité.
Mais de leur avis, le Général et ses alliés n’avaient cure…
Apartheid à l’échelle intercontinentale
Présentée comme une merveille visionnaire et humaniste, la prétendue décolonisation gaullienne, réalisée au mépris des populations d’outre-mer, fut conçue comme un tremplin du néocolonialisme. A telle enseigne que la plupart des nouveaux Etats continuèrent d’être dirigés depuis Paris, via les « réseaux Foccart » et autres hommes de main. De ce point de vue, l’opération permit la mise en place d’un véritable apartheid organisé à l’échelle intercontinentale, dont notre époque, plus que jamais, porte les atroces stigmates.
« Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! »
Dans son entreprise de démolition de l’ensemble franco-africain, le Général savait qu’il devrait vaincre plusieurs forces. Notamment celles des Africains, mais aussi des Algériens. Par mélange de bon sens, de pragmatisme et d’amour parfois passionnel pour ce qu’ils appelaient la « vraie France », la plupart des ultramarins considéraient que l’instauration de l’égalité politique pleine et entière entre tous les habitants de la métropole et de l’outre-mer serait le meilleur moyen d’abolir le colonialisme et d’assurer l’unité de la République. Le plus souvent, l’indépendance n’était vue que comme un ultime recours, un déchirement à éviter autant que possible. Machiavel avança donc masqué.
Pour revenir au pouvoir, de Gaulle prétendit accomplir un programme égalitaire révolutionnaire (cf. Discours d’Alger et de Mostaganem, 4 et 6 juin 1958) qu’avait défini et porté l’avant-garde de l’école anthropologique française, en particulier Jacques Soustelle, mais aussi Claude Lévi-Strauss, dans Tristes Tropiques dès 1955. Une posture qui, simulée avec brio, valut au Général une immense popularité auprès des masses musulmanes algériennes, ainsi que dans le reste de l’Afrique…
Or l’homme comptait faire exactement le contraire de ce qu’il annonçait.
« Avez-vous songé que les Arabes se multiplieront par deux puis par cinq, pendant que la population française restera presque stationnaire ? Il y aurait deux cents, quatre cents, six cents députés arabes à Paris ? Vous voyez un président arabe à l’Élysée ? »
Ou un Nègre…
Devenu maître du pays pour sept ans (janvier 1959), de Gaulle tomba rapidement le masque.
Largages et retour du refoulé
Sans tarder, le Général-Président bouta les Africains hors de la République, en refusant la départementalisation au Gabon (Affaire gabonaise, 1958) puis en dépossédant les populations d’Afrique subsaharienne du droit à l’autodétermination (Loi 60-525, mai-juin 1960). Ayant de la sorte réduit l’Algérie à une incongruité politique, déjouant les ralliements (Affaire Si Salah, 1960), il pactisa avec les indépendantistes du FLN, fussent-ils sanguinaires et fanatiques, et les accepta comme interlocuteurs exclusifs. Enfin, il leur livra non seulement le pays et ses populations, mais aussi les partisans arabo-berbères de la France, ainsi voués à la terreur et, pour beaucoup, au supplice et à la mort. Sous les applaudissements du reste du monde, et les larmes de crocodile de Washington acclamant aussi.
Depuis les années Giscard et, plus encore, les années Mitterrand et Chirac, la société française a été le théâtre d’un lent retour du refoulé. Le blancisme fondateur du régime est progressivement devenu une obsession du système, bien sûr jamais formulée, et cristallisée dans la dénonciation fébrile, obsessionnelle jusqu’à l’hystérie, jusqu’au narcissisme, jusqu’à l’ostentation, jusqu’au business, du racisme. Avec le peuple français (et non pas, bien sûr, ses élites intellectuelles et politiques, blanches comme neige…) dans le rôle de bouc émissaire perpétuellement accusé et sommé d’expier. Ce peuple français qui, pourtant, en 1958, avait approuvé à 80% l’application du rêve de Claude Lévi-Strauss, la politique d’Intégration des populations arabo-berbère d’Algérie…
Au demeurant, en dépit de la sainte horreur que lui inspire le racisme, le système politique, intellectuel et médiatique français, jusqu’à aujourd’hui, continue de sacrifier sans nuance à la doctrine de la Ve République blanciste, ce mythe qui affirme qu’Africains et Algériens rêvaient collectivement, et à tout prix, de se séparer de la France. Propagande qui permit à l’époque – et permet toujours aujourd’hui – de justifier l’abandon.
Ainsi peut s’expliquer le « deux poids deux mesures » dont nous parlions plus haut…
Un député à l’accent rocailleux
Comment, dira-t-on, la société médiatico-politique qui se déchaîne contre Brice Hortefeux, peut-elle continuer de servir sagement, dans le même temps, l’histoire officielle de la Ve République blanciste ?
Comment hurler en toute occasion contre le racisme, et perpétuer simultanément une légende qui sert à occulter que le démantèlement de l’ensemble franco-africain répondit à des motivations odieuses, affreuses, et emprunta des voies totalement contraires aux principes les plus fondamentaux de la République ?
En attendant, comme en symbole, Zohra Benguerrah, Abdallah Krouk et Hamid Gouraï continuent de vivre sur le trottoir de la Ve République blanciste, à côté de l’Assemblée nationale, dans l’indifférence générale des médias et des politiques…
Jusqu’à ce qu’un mercredi de septembre 2009, un député venu de la France profonde, réputé pour son goût pour l’héroïsme, son accent rocailleux et sa voix de stentor, vienne déclarer aux trois assiégeurs que tout ceci est décidément scandaleux et ignoble, et promette de secouer un de ces mercredis l’hémicycle endormi. Et tienne parole davantage que l’hôte de l’Elysée …
Alors peut-être le blancisme structurel connaîtra son premier grand ébranlement. Et l’altermondialisme l’un de ses plus fastes et orgueilleux départs…
- Source : http://www.afrik.com/article17625.html.