Harkis, un abandon que la France doit reconnaître
Les hommes qui ont fait partie durant la guerre d’Algérie des forces auxiliaires auprès de l’armée française, comme leurs familles qui ont été maintenues dans des camps et discriminées en France après la fin du conflit, ont l’habitude qu’on parle à leur place au lieu de les écouter. Conformément à la vieille tradition coloniale, on ne cesse de tenter de les enrôler, sans les entendre, au profit de causes définies par d’autres. La loi du 23 février 2005, qui enjoignait aux enseignants de présenter « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du nord », et que ses initiateurs ont cherché à présenter d’abord comme une loi « en faveur des harkis », a été un nouvel exemple de cette tendance constante à leur instrumentalisation.
L’Association Harkis et droits de l’Homme a été l’une des premières à s’opposer clairement à cette tentative de réhabilitation de la colonisation et à la manœuvre qui consistait à chercher à associer celle-ci à quelques mesures bien insuffisantes en faveur de personnes victimes d’injustices flagrantes.
Le retrait de l’article le plus scandaleux de cette loi, l’article 4, n’a pas empêché que les anciens harkis et leurs descendants ont continué à être mêlés à une cause qui n’est pas la leur. En effet, c’est à l’occasion de la Journée d’hommage aux harkis du 25 septembre 2007 que le premier ministre François Fillon a annoncé la mise en chantier de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie prévue par l’article 3 de cette même loi, Fondation que le président Chirac, dans la logique de son retrait de l’article 4, n’avait pas mis en œuvre. Et c’est dans son discours aux Invalides lors de cette même Journée, en septembre 2009, que le secrétaire d’Etat aux anciens combattants Hubert Falco a annoncé sa création imminente.
Que les choses soient claires : ce que souhaitent les anciens harkis et leurs familles, c’est que la France reconnaisse que son engagement à les protéger à la fin de la guerre n’a pas été tenu. Qu’elle reconnaisse que ceux qui sont venus en France ont été soumis à une procédure humiliante de « réintégration dans la nationalité française » alors que la Ve République leur avait garanti qu’ils étaient citoyens français et qu’« il n’y avait plus désormais en Algérie qu’une seule catégorie de citoyens ». Et enfin qu’elle reconnaisse que leur regroupement dans des camps, à l’écart de la société française et dans des conditions sanitaires déplorables, a été un traitement discriminatoire contraire à tous les principes de la République.
Ces trois faits sont constitutifs d’un abandon qu’il faut que la France reconnaisse enfin. Telle est la demande que formulent les anciens supplétifs et leurs familles et que les autorités de la République refusent toujours d’entendre.
En revanche, ils n’ont rien à voir avec la demande des nostalgiques de la colonisation qui cherchent à présenter celle-ci comme « positive », en écartant les travaux des historiens universitaires.
Attachés à la mémoire dont ils sont porteurs et désireux de la faire entendre, les harkis et leurs familles savent, quant à eux, que c’est aux historiens et non pas aux pouvoirs politiques ou aux groupes mémoriels d’écrire l’histoire. La connaissance de la guerre d’Algérie ne peut reposer que sur un travail conjoint des historiens français et algériens et sur la facilitation des échanges entre eux.
Pour que les plaies d’hier se referment, les anciens supplétifs et leurs familles souhaitent que le passé dont ils ont souffert devienne un objet d’histoire et cesse d’être utilisé, d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, comme un enjeu politique. Ils savent que leur passé les rattache aux deux pays et réclament de revoir librement la terre de leurs ancêtres. Or certains discours officiels français qui prétendent rendre hommage à ceux qui auraient fait le « bon choix», celui de combattre avec la France contre l’indépendance algérienne, alimentent la stigmatisation officielle sur l’autre rive. Les réalités d’hier ont été plus complexes. Faire confiance aux historiens des deux pays pour l’expliquer est le seul moyen pour que les passions s’apaisent.
Ainsi, les anciens harkis et leurs descendants n’ont rien à voir avec une Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie dès lors qu’elle serait placée, à leur corps défendant, sous les auspices d’une loi marquée à son origine par les relents de la « colonisation positive ».
présidente de Harkis et droits de l’Homme
Gilles Manceron
historien, vice-président de la Ligue des droits de l’Homme