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Édition du 1er au 15 mai 2025

Haïti, Madagascar : deux nouvelles « commissions mixtes d’historiens » annoncées par Emmanuel Macron

Deux commissions mixtes d’historiens ont été annoncées par le président de la République. L'une sur Haïti, l'autre sur la répression de 1947 à Madagascar et ses « atrocités ».

Le président français, Emmanuel Macron, à Antananarivo, le 24 avril 2025. Ludovic Marin / AFP

La création de commissions d’historiens, de préférence mixtes, de même que les restitutions d’objets ou de restes humains issus de la colonisation, a été érigée par Emmanuel Macron en un instrument diplomatique comme un autre. Le travail dhistoriens sélectionnés est mis au service d’une politique censée, selon l’Elysée, améliorer des relations tendues avec les anciennes colonies, alors que s’effondre l’influence française auprès de nombre d’entre elles. Après la création en 2019 d’une commission d’historiens français sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda (le Rwanda ayant fait sa propre commission), la méthode de la commission mixte a été inaugurée en 2022 sur la colonisation et la guerre d’Algérie ainsi qu’au sujet de la guerre au Cameroun. Si l’activité de la commission franco-algérienne a fortement pâti des relations diplomatiques chaotiques entre les deux Etats, la commission Cameroun a rendu son rapport en 2025. Deux nouvelles commissions mixtes viennent de voir le jour, toujours sur l’initiative de la France.

Deux commissions annoncées en avril 2025

Le 24 avril 2025, lors d’un déplacement à Madagascar, le président français a indiqué qu’une commission mixte d’historiens franco-malgache sur la sanglante répression de 1947 et ses « atrocités », selon ses termes, allait être instituée, sans que l’on en connaisse encore ni la composition ni la feuille de route exacte. Il également évoqué la restitution de trois crânes sakalavas, dont l’un appartenant à un roi malgache tué par l’armée française lors du massacre d’Ambiky en 1897. Quant à la restitution des Iles Eparses, contrôlées par la France dans le canal du Mozambique, revendiquée par Madagascar, elle a été écartée par le président français. Car, comme le rappelle RFI, « grâce aux Îles Éparses et aux zones maritimes associées, la France contrôle environ la moitié du canal du Mozambique, une route commerciale de plus en plus empruntée et un espace riche en ressources halieutiques et gazières. »

Le 17 avril 2025, à l’occasion du bicentennaire de l’imposition par la France de « la rançon de la liberté » à Haïti (voir nos articles), l’Élysée avait annoncé l’instauration d’une commission mixte d’historiens franco-haïtiens.

Haïti : une feuille de route floue

La commission sur la double dette d’Haïti sera co-présidée par une historienne haïtienne spécialiste de la double dette imposée à Haïti, Gusti-Klara Gaillard-Pourchet. Côté français, c’est un diplomate retraité, agrégé d’histoire, ancien ambassadeur en Bulgarie, au Brésil et en Espagne, Yves Saint-Geours, qui officiera. La liste complète de ses membres n’est pas encore connue.

Elle « aura pour mission, écrit l’Elysée, d’explorer deux siècles d’histoire, y compris l’impact de l’indemnité de 1825 sur Haïti, d’analyser les représentations et les mémoires croisées de cet épisode entre nos deux pays, et d’aborder les développements de la relation franco-haïtienne au XXème siècle ». L’Elysée n’indique dans sa déclaration aucun calendrier contraignant pour la remise de ses recommandations et n’évoque nullement la question d’une réparation financière, alors qu’elles sont réclamées depuis longtemps par les autorités haïtiennes, pas plus que l’enrichissement des banques françaises et des aristocrates du XIXème siècle descendants sur plusieurs générations des esclavagistes de Saint-Domingue.

Des réactions très mitigées

En France, la Fondation de la mémoire de l’esclavage (FME) qui a fait de ce bicentenaire l’une de ses priorités, a salué l’initiative par la voix de son président, l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault. « C’est très important qu’Emmanuel Macron reconnaisse une injustice », « C’est le début d’une nouvelle ère », « qui bien évidemment doit être suivie d’autres » a-t-il déclaré à l’AFP. Réagissant dans Mediapart au fait que la déclaration de l’Elysée occulte l’enrichissement considérable des banques françaises, il indique avoir écrit « au directeur de la Caisse des dépôts et consignations cette semaine […]. Je crois que le temps est venu pour [les banques] d’entrer dans cette démarche. » Et de citer en exemple le mea culpa, en 2022, de la Banque centrale des Pays-Bas, au sujet du rôle qu’elle avait joué dans certains des rouages de la traite négrière.

L’amphithéâtre de 300 places des Archives nationales à Pierrefitte-su-Seine était archi-plein lors de l’événement organisé par la Fondation pour la Mémoire de l’esclavage et les A. N. pour le bicentenaire de l’ordonnance de Charles X du 17 avril 1825.
Les stands des associations aux Archives nationales le 17 avril 2025 à Pierrefitte-sur-Seine.

Dans Mediapart le journaliste Ludovic Lamant a également interrogé historien.ne.s spécialistes de la question et membres de la société civile haïtienne. Extraits :

« L’historienne Myriam Cottias, qui avait déjà participé en 2003 à la « commission Debray » sur les relations franco-haïtiennes, a qualifié le communiqué de l’Élysée de texte « totalement mou, qui ne dit pas grand-chose, et surtout qui ne nomme pas les problèmes » (…) « Je trouve cela savoureux, grince l’historienne que toute la responsabilité soit rejetée [par l’Elysée] sur la monarchie et sur la contre-révolution. Comme si l’indemnité haïtienne n’avait pas continué à être touchée par la République. Cela semble un peu court de faire porter la responsabilité sur la royauté, et de dédouaner la République… ».

« C’est un pas dans la bonne direction, mais ce n’est certainement pas suffisant, résumait de son côté Jean-Marie Théodat, géographe à Paris-I. Ce que nous pouvons constater pour le moment, c’est qu’en 200 ans de relations bilatérales, Haïti s’est appauvrie considérablement et que cet appauvrissement a profité essentiellement à la France à travers la “rançon” de 1825. »

Mackendie Toupuissant, président d’honneur de la Plateforme d’associations franco-haïtiennes, a exprimé, lui, sa « grande déception ». « La situation catastrophique en Haïti ne permet pas d’attendre les résultats d’une commission, alors que la dette d’Haïti est déjà largement documentée ».

Quelles sortes de réparations ?

L’historienne Mathilde Ackermann-Koenigs, qui réalise une thèse sur les anciens colons français qui ont profité de cette indemnité haïtienne, dit les choses de manière un peu plus prudente : « Que le président parle le jour du bicentenaire est une bonne nouvelle. Cela donne de la lumière à cet événement. Mais des travaux sont déjà en cours. Et la Fondation pour la mémoire de l’esclavage vient de faire des propositions importantes dans sa note. » « Haïti demande des restitutions d’argent, quand la France parle de créer une commission pour réfléchir à la question : nous restons sur deux dynamiques très différentes de part et d’autre », relève-t-elle encore.

Par ailleurs, des collectifs, membres de la société civile et militant·es, revendiquent dans une tribune intitulée « Haïti : non au mépris persistant de la France » : « La reconnaissance officielle et sans ambiguïté de la dette odieuse imposée à Haïti ; La restitution immédiate des sommes extorquées ; Le versement de réparations justes et appropriées pour les crimes coloniaux et l’esclavage ; Un soutien concret, sans ingérence, aux institutions haïtiennes et à la société civile ; L’annulation de toute dette actuelle illégitime et un engagement réel en faveur d’un développement juste et durable. »

Sous quelles formes verser aujourd’hui des réparations, dans un contexte où les institutions de Haïti sont défaillantes et où les interventions internationales ont montré leurs limites ? Un article de Christian Fauliau dans son blog Mediapart, tout en affirmant que « le remboursement immédiat de la dette illégitime est une obligation d’État », s’interroge sur les modalités d’une gestion transparente, collégiale et décentralisée, qui pourrait éviter la corruption et bénéficier réellement à la population déshéritée. La question, complexe, mérite d’être posée.

Histoire coloniale et postcoloniale.


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