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Édition du 1er au 15 janvier 2025
Embarquement forcé d'un Camerounais par des policiers français, à l’aéroport de Roissy, en mars 2004. (JOBARD/SIPA)

Guilherme Hauka Azanga : de l’acharnement au “délire total”

Guilherme Hauka-Azanga est venu en 2002 demander l’asile à la France après avoir fui l’Angola et les massacres qui ont décimé une partie des siens. Sa seule famille est maintenant constituée de trois enfants réfugiés au Congo et la compagne avec laquelle il a refait sa vie à Lyon, les deux enfants de celle-ci et les deux enfants nés de cette union. Il refuse obstinément d’être expulsé vers un pays où il n’a plus de liens familiaux et où sa vie serait menacée. Jeudi 8 avril 2010 a vu l'échec de la quatrième tentative pour l'expulser. L'avion parti pour le reconduire au Portugal n’ayant pas eu l’autorisation d’atterrir, le Préfet du Rhône a décidé de mettre fin à sa rétention vers minuit1. A la suite du communiqué de la LDH qui s'indigne de l'acharnement manifesté par un gouvernement dont la politique de l'immigration est de plus en plus mal acceptée, nous reprenons le témoignage de Dominique Noguères, avocate de Guilherme Hauka Azanga, sur cette journée de « délire total ».
Embarquement forcé d'un Camerounais par des policiers français, à l’aéroport de Roissy, en mars 2004. (JOBARD/SIPA)
Embarquement forcé d’un Camerounais par des policiers français, à l’aéroport de Roissy, en mars 2004. (JOBARD/SIPA)

Communiqué LDH

Paris, le 8 avril 2010.

Guilherme Hauka-Azanga : l’acharnement au mépris des droits universels !

Des milliers de policiers ont été mobilisés hier pour assurer, en vain semble-t-il, une troisième tentative d’expulsion d’un père de famille angolais, résidant à Lyon, vers un pays où il n’a plus de liens familiaux et où sa vie serait menacée. Une quatrième tentative d’expulsion serait en cours !

Depuis le 19 janvier 2010, Guilherme a passé quatre jours avec sa compagne et leurs enfants, et soixante-douze jours en rétention ou en prison. Il a subi deux arrestations à son domicile, trois tentatives d’embarquement et trois passages à tabac.

Malgré l’indignation exprimée par les parents d’élèves, les enseignants, des élus et de nombreux lyonnais, en dépit d’une occupation d’école, de nombreuses manifestations rassemblant localement des centaines de personnes, des milliers de signatures et de multiples démarches de personnalités et d’élus, le préfet du Rhône et le ministre Besson persistent dans leur volonté de faire un exemple.

Pourtant, Guilherme Hauka-Azanga est venu demander l’asile à la France après avoir fui l’Angola et les massacres qui ont décimé une partie des siens. Sa seule famille est maintenant constituée de trois enfants réfugiés au Congo et la compagne avec laquelle il a refait sa vie à Lyon, les deux enfants de celle-ci et les deux enfants nés de cette union. C’est donc une nouvelle fois au mépris des conventions internationales que cette volonté répressive cherche à s’appliquer : comme si le droit à la vie familiale ou le respect de l’intérêt supérieur des enfants étaient des droits à modalités variables en fonction des personnes et de leur nationalité, ou de leur statut social.

C’est l’effet de répétition qui fait sens. La Ligue des droits de l’Homme s’indigne de voir de nombreux pères de familles placés en centre de rétention et menacés d’expulsion, déstabilisant les familles et traumatisant les enfants concernés.

Cette situation s’ajoute aux nombreux refus de séjour qui frappent des jeunes en cours d’études, et à la volonté de laisser pourrir un conflit du travail qui prive de ressources de nombreux salariés sans papiers, dont beaucoup ont en charge une famille.

Parce qu’elle n’a de cesse de condamner une politique qui ne peut s’appliquer qu’en dépit des droits fondamentaux et de la simple humanité, la LDH demande la libération immédiate de Guilherme Hauka-Azanga et de toutes les personnes menacées d’expulsion ainsi que leur régularisation avec un titre de séjour les autorisant à travailler.

Le témoignage de Dominique Noguères

Rude journée dans la triste logique de l’acharnement envers les étrangers et du délire total auquel nous avons assisté

Je me suis occupée, ce jeudi 8 avril, de ce monsieur angolais que la préfecture du Rhône essaye d’expulser depuis longtemps déjà. Le juge des libertés de Lyon avait prolongé sa rétention jusqu’au lendemain, vendredi, 11 heures du matin.

La veille, il a été embarqué vers 19 heures à l’aéroport de Lyon Bron, dans un avion spécialement affrété par le ministère de l’Intérieur en direction du Bourget. L’aéroport de Bron était un camp retranché : des CRS bloquant tous les accès et un hélico tournant au dessus… Pour surveiller ?

Menotté à bord de cet avion, ce monsieur, à l’arrivée au Bourget, est attendu par trente CRS et six voitures de police, excusez du peu. Avant de monter à bord d’une d’entre elles, il est entièrement ligoté, de la tête aux pieds, comme un saucisson, et on le bâillonne. Il dit que c’était comme une muselière.

On l’emmène à la Police de l’air et des frontières de Roissy où il attend pendant plus d’une heure, toujours ligoté et entravé, sans pouvoir ni s’asseoir ni se tenir debout. On lui refuse à boire et d’aller aux toilettes.
Enfin on l’emmène en voiture au pied de l’avion pour Luanda où il est monté par l’arrière comme un paquet, toujours saucissonné. Le commandant refuse de partir avec lui. Il est redescendu de l’avion et repars à la Paf. On est « gentil » : on lui désentrave les jambes et on lui enlève son bâillon, mais il est toujours ligoté à partir des genoux.

Après de multiples coups de téléphone, les policiers le remettent dans la voiture et le ramènent à l’avion. Le commandant refuse de faire rouvrir les portes. Il repart à la Paf et là, les policiers ne savent plus quoi faire… On le désentrave.

Il est quatre heures du matin, il est fatigué. Il n’a pas d’endroit pour se reposer et on lui dit que les locaux ne sont pas fait pour ça. A cinq heures du matin, il est transféré au centre de rétention de Bobigny.

Le matin, je m’inquiète de voir qu’il n’est pas sur les listes des comparutions immédiates pour les refus d’embarquement. Le Parquet me confirme qu’il n’est pas déféré. Je vais alors au centre de rétention à Bobigny où je rencontre un homme épuisé, très nerveux, apeuré.

A la fin de l’entretien, au moment où nous nous séparons, il est emmené de force et je comprends qu’on va tenter de l’expulser. Je ne peux rien faire : il disparaît derrière une porte et les policiers ne sont au courant de rien. Je me trompe de porte en repartant et reviens sur mes pas pour voir qu’effectivement on lui a remis son paquetage.

Sa femme attend en bas pour le voir. Elle ne le verra pas. Les policiers expliquent qu’il prendra un avion au Bourget à 17 heures 30 pour destination inconnue. Les recoupements sont vite faits : il n’y a pas de vols de Paris pour Luanda aujourd’hui, mais de Lisbonne ou Francfort.

On organise en urgence une conférence de presse à 16 heures 30 à la FCPE avec une bonne couverture médiatique, et on attend.

Enfin, à 22 heures, on apprend qu’il sera libéré ; l’avion parti pour le Portugal n’ayant pas eu l’autorisation d’atterrir. Il est revenu à Bobigny et a été libéré du centre de rétention vers minuit.

Dans l’avion qui l’emmenait vers Lisbonne il était accompagné de quatre policiers et attaché sur son siège.

Communiqué laconique de la préfecture du Rhône indiquant qu’en raison de l’impossibilité d’exécuter la mesure, il le remettait en liberté.

Résumons : déploiements de police incroyables, deux avions spéciaux, un aller et retour pour rien vers Lisbonne… Mais, surtout, des mauvais traitements, des traitements inhumains et dégradants. On est épuisés, heureux qu’il s’en soit sorti, mais dégoûtés de ces méthodes indignes. Merci aux formidables mobilisations des militants, et des élus.

C’est nous qui aurons le dernier mot !

Dominique Noguères

avocate, membre du Bureau national de la LDH

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