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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024
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“guerre d’Algérie, guerre d’indépendance, paroles d’humanité”, par la 4acg

A l'occasion du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie, l'association Anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre – plus connue sous le nom de 4acg – publie un ouvrage qui rassemble des récits divers de combattants algériens et français, harkis, pieds-noirs, réfractaires, médecins, infirmières, membres de leur famille, tous mêlés d'une façon ou d'une autre à la guerre. Ce dont témoignent tous ces acteurs, c'est qu'aujourd'hui l'heure est venue de parler et d'écouter, de donner et de recevoir, des deux côtés de la Méditerranée. C'est le sens de ce livre : faire entendre la multiplicité des voix et contribuer à une mémoire chorale de la guerre. Les préfaces de Raphaëlle Branche et de Ouanassa Siari Tengour encadrent la liste des témoins qui ont contribué à cette œuvre collective.

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Guerre d’Algérie – Guerre d’Indépendance – Paroles d’humanité

édition l’Harmattan, juillet 2012, 480 pages, 28 euros

Préface de Raphaëlle Branche

Quelque part en Algérie, un soldat participe à la fouille d’un village. Il entend les cris d’une femme ; il sait que des hommes de sa section sont en train de commettre un viol. Abattu, il s’assied sur un banc à côté d’un vieil homme. La jeune femme jaillit soudain, éperdue. Elle cherche protection et réconfort dans les bras du vieil homme … qui la repousse. Elle s’écroule à ses pieds, humiliée et bouleversée. Le jeune soldat, armé, à côté, ressent sans doute les mêmes sentiments d’humiliation et de bouleversement, face à cette femme qu’il ne peut aider, lui qui appartient à l’armée de ses violeurs. Cinquante ans plus tard, ce n’est plus le jeune homme qui raconte mais l’homme mûr. Il revient sur cet épisode de son passage en Algérie et décide de le décrire simplement aux lecteurs de bonne volonté qui auront ouvert ce livre. La fureur des sentiments n’a d’égale que la violence gratuite et impunie mais elle fut toute contenue à l’époque. Aujourd’hui, elle devient constat d’une impuissance et reconnaissance d’une responsabilité.

Bien des textes écrits ici par d’anciens soldats français en Algérie partagent les sentiments exprimés dans cette histoire : elle est une parmi beaucoup d’autres. Toutes ne parlent pas de violence gratuite ou d’impuissance mais toutes parlent d’une guerre dont les buts ne furent pas partagés par tous ceux qui la firent, une guerre aux contours flous autorisant de nombreuses, trop nombreuses, illégalités commises en toute impunité.

Les anciens combattants français qui ont choisi de les raconter semblent moins s’y définir comme des anciens combattants que comme des humanistes. La fraternité à laquelle ils aspirent n’est pas celle des armes mais celle des hommes. Tous ne partageaient pas les mêmes idées alors, tous ne les partagent pas aujourd’hui. Ils se rejoignent cependant dans un désir de témoigner et de dire vrai, en interrogeant la guerre telle qu’elle se fit, au plus près des populations algériennes, quand toute action de l’armée française avait inexorablement et inextricablement une portée politique quant à l’avenir de l’Algérie.

Ces humanistes-là peuvent dépasser les divisions d’alors quand un mouvement politique déterminé se dressa contre l’une des plus grandes puissances coloniales de l’après-guerre. De ce FLN, rapidement unique acteur du jeu politico-militaire en Algérie, les soldats français savaient peu de choses. On leur avait au mieux décrit la situation économique et sociale du pays comme inscrite dans un élan de modernisation soutenu par la France. On leur avait présenté le FLN, les « rebelles », comme des fauteurs de troubles, des terroristes, des opposants arriérés à ces progrès évidents. Comment dès lors comprendre que les populations indigènes d’Algérie puissent soutenir le FLN ? Une telle présentation des choses rendait la chose tout simplement impensable : si la population civile abritait les maquisards de l’ALN, cotisait au FLN, ce ne pouvait être que sous la contrainte d’une organisation totalitaire et sanguinaire. Les messages de l’action psychologique française étaient sans nuance sur ce point. La ligne de fracture était évidente et elle séparait le FLN de la population. La réalité était tout autre et, si la contrainte et la violence ne furent pas absentes des méthodes du FLN envers les civils algériens, il y eut bien affirmation d’un sentiment national algérien pendant la guerre et ce sentiment soutenait le projet indépendantiste de multiples manières.

A l’occasion de voyages en Algérie, sur les traces de cette première rencontre – souvent manquée, du fait de la guerre -, certains des auteurs ici réunis sont allés discuter avec ce peuple algérien qui s’était parfois incarné en quelques visages, parfois était resté plus anonyme. Ces récits témoignent de l’émotion partagée et de l’hospitalité si généreuse des Algériens.

Parmi ces Français qui ont franchi de nouveau la Méditerranée, il ya aussi d’anciens habitants d’Algérie, ceux qu’on appelle les pieds-noirs. Eux aussi sont présents dans ce recueil. Ils mêlent leur voix singulière (qu’ils veulent différente des cris de haine associés parfois trop rapidement à une communauté pied-noire vue comme homogène) aux autres voix, masculines mais aussi féminines, de ce livre. On y entend notamment les voix des harkis et d’enfants de harkis mais, serait-on tenté de dire, surtout, celles d’anciens combattants du FLN/ALN : ennemis d’hier, opposés par le contexte de la guerre, ils parlent ici, ensemble, réunis au sein de mêmes chapitres. Car c’est bien le sens de ce projet : faire entendre la multiplicité des voix, contribuer à une mémoire chorale de la guerre. Les voix algériennes sont mêlées aux voix françaises et là n’était pas la moindre des gageures. C’est assurément une de ses forces et dans cette voie que le livre donne envie de continuer à aller : en écoutant, recueillant, sollicitant ceux et celles qui voudront raconter, où qu’ils/elles soient.

Ce dont témoignent ces récits, c’est qu’aujourd’hui, pour tous ces auteurs, tous ces acteurs, l’heure est venue de parler. De nombreux textes évoquent en effet le temps nécessaire pour dire. Il faudrait aussi parler du temps nécessaire pour entendre. Dans cette relation qu’est toujours une transmission, les deux parties doivent être synchrones : prête à donner, prête à recevoir. Or, à leur retour en France, ceux qui avaient connu la guerre en Algérie, comme civils ou comme militaires, eurent bien souvent le sentiment d’être perdus, déboussolés. N’avaient-ils pas envie de parler ? Pas envie de raconter ? Les choses ne sont pas si simples et il faudrait travailler encore sur les différents contextes qui ont accompagné ces retours en France, de 1957 à 1962. Toujours est-il qu’aujourd’hui, le désir est là et il est tourné vers les deux pays.

Récits d’une guerre passée, ce livre est une source d’inspiration et de réflexion pour le présent et fondamentalement une œuvre de paix et d’avenir.

Raphaëlle Branche

Maîtresse de conférences en histoire contemporaine

Université de Paris-1-Panthéon-Sorbonne

Table des matières

Le mot de Simone de Bollardière

Les préfaces de Raphaëlle Branche et d’Ouanassa Siari Tengour

Les historiques d’Elsa Paris

Les témoignages

Les témoins

Mohamed Khaznadji – Gilles Champain

Anonyme – Marcel Beauvineau – Baya el Kahla – Stanislas Hutin – Hadj Sadek Besmaine – François Nutchey

Pierre Chauvet – Jean Delorme – Boustilla Abdelkader – Armand Fourage –
Mohamed Hadj Aïssa – Mohamed Kradra – Gérard Kihn – Bernard Pouliquen –
Pierre Rambaud – Ahmed Kerdagh –Pierre Sellier

Bachir Hadjadj – Michel Bedel – Henry Chevallier – Georges Drouin – Georges Duray – Jacques Inrep – Haj Khlifa – Jean-Claude Lagarde – Gérard Le Cardinal – Gilbert Leclerc – Gérard Martin – Pierre Pavageau

Jean Péaud – Martine Timsit-Berthier – Ahmed Ben Abdhallah – André Bernard – Louisa Bouraya – Benameur Hammadi – Robert Siméon – Jean-Claude Grenapin

Jean-Marie Vacher – Khina – Pierre Daumas – Renée Spillemaeker-Devos –
Madeleine C. – Jean-Marie Chevalier – Rémy Cozic – Christian Gagey – Georges Garié – Abdelkader Bouafia – Émile Letertre – Djoudi Attoumi

Pascaline Usaï – Andrée Bensoussan – Bussy Marie-Andrée – Jacky Malléa – Émile Martinez – Jacques Pradel – Gilberte Abdellaziz-Algara Mahieddine

Fatima Besnaci – Jacques Devos – Auguste Templier

Jean-Claude Doussin – Paul Templier

Xavier Jacquey – Jean-Yves Mahé – Bernard Monvallier – Armand Vernhettes

Préface de Ouanassa Siari Tengour

Des hommes et des femmes, des Français et des Algériens racontent la guerre d’indépendance. Ce n’est pas un face à face qui réunit les anciens appelés/ rappelés de l’Armée Française aux maquisards de l’ALN/ FLN, mais une mise en commun de témoignages, de souvenirs, le partage d’une expérience dont on ne dira jamais assez la douleur pour ceux qui l’ont vécue, qui l’ont subie, qui en ont été les acteurs volontaires ou non. A ces voix de combattants  restées muettes pendant un demi-siècle s’ajoutent celles de nombreux anonymes opposés à la guerre, de « pieds-noirs », de harkis qui ont tenu à s’exprimer loin des feux de la rampe ordinaires, sans haine ni ressentiment. On peut bien évidemment regretter le peu de témoignages algériens dans cet ouvrage. L’explication donnée, à savoir le monopole du pouvoir algérien sur l’écriture de « l’histoire de cette période controversée » est aujourd’hui dépassée. Il est vrai qu’au lendemain de l’indépendance, la construction de la mémoire collective s’est accommodée essentiellement de représentations  mythiques occultant les réalités historiques et leur complexité. Il existe aujourd’hui une nouvelle génération plus libre par rapport à ce passé, consciente des enjeux de mémoire et de leur symbolique et qui interpelle régulièrement « les anciens moudjahiddines ». Ce désir de mémoire exprimé souvent maladroitement dans le cadre du mouvement associatif n’a pas laissé insensibles ceux qui ont fait « la révolution ». C’est en partie dans ce sens que le monde éditorial algérien enregistre depuis la fin des années 1980, de très nombreux témoignages1.  Enfin, les traumatismes de la guerre demeurent vivaces pour beaucoup et entretiennent le malaise. Dans ces conditions, provoquer la prise de parole n’est pas évident dès la première rencontre. Enfin, un écueil et pas des moindres entrave l’exercice d’écriture, la plupart des anciens combattants algériens étant illettrés.

La date du 19 mars 1962 est la fête de la victoire en Algérie mais elle ne parvient pas à    effacer les profondes blessures morales et physiques tant « la nuit coloniale 2» a été dure à vivre.  Le processus de l’oubli semble s’imposer comme une thérapie provisoire laissant du coup le champ libre aux interprétations officielles de l’histoire.

En lisant ces récits, ce qui frappe le plus, au-delà de la gravité des circonstances, de l’intense charge émotionnelle qui s’en dégage, c’est la description avec des mots d’une grande simplicité de la situation coloniale et de ses injustices vécues et subies par les uns, ressenties jusqu’à en avoir honte par des hommes attentifs et sensibles à la souffrance, à la misère et aux discriminations légalisées. Ce sont les horreurs de la guerre et les multiples brutalités inscrites dans les corps des hommes et des femmes qui sont rappelées. Sans aucune forme de procès, la détermination des Algériens à combattre le colonialisme, l’esprit de résistance n’ont pas été niés mais compris et partagés par un grand nombre de bonnes volontés animées d’un élan de solidarité humaine. La découverte sur le terrain de réalités insoupçonnées dont personne ne les avait entretenues a interpellé leur conscience.

Mais au-delà de la guerre qui fut si longue et si pénible, des témoignages scrutent le passé, évoquent des tensions qui correspondent à quelque chose de plus grave, de plus profond qui remonte au siècle des équivoques où la violence de la conquête coloniale se conjuguait avec les profonds bouleversements qu’elle a engendrés au sein de la société algérienne et dont le plus spectaculaire se traduisit par l’accaparement des terres. C’est dire tout l’intérêt de dépasser le passé tumultueux immédiat car il est temps de « s’interroger un peu plus sur ce qui se passait là-bas [en Algérie] avant les évènements » comme le souligne Pierre Sellier.

Ces souvenirs éclatés introduisent des nuances, rapportent des émotions, rendent compte un peu de l’épaisseur de cette histoire confisquée et de ses contradictions qu’une tendance obéissant – ici à des réflexes nostalgiques, là à un nationalisme étroit – voudrait confiner à l’évocation de quelques questions sélectives et fragmentaires. L’amnésie et la surenchère ainsi entretenues concourent à accorder la préférence à la « mémoire du ressentiment3
 » et au refoulement au  détriment de la connaissance de la réalité historique dans sa totalité.

Sans prétention, ces écrits émanant de protagonistes impliqués hier dans « une guerre sans nom  représentent une alternative nécessaire à la transmission du passé et ouvrent la voie aux   analyses distanciées des historiens à qui incombe la tâche de lui rendre son intelligibilité.
 

Ouanassa Siari Tengour

Historienne, chercheure au CRASC

Antenne université de Constantine

  1. Cf. la contribution de Fouad Soufi et Ouanassa Siari Tengour, « Les Algériens écrivent enfin la guerre », INSANIYAT, n°25-26 juillet, 2004, pp. 267-283.
  2. Ferhat Abbas, Guerre et révolution en Algérie. La nuit coloniale, Paris, Juillard, 1962.
  3. Expression utilisée par Henry Rousso, Vichy, l’évènement, la mémoire, l’histoire, Paris, Gallimard, 2001.
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