Patrik Buisson et le thème de l’identité nationale
Patrick Buisson a joué un rôle important dans le choix par Nicolas Sarkozy de ce thème de campagne. Deux journalistes expliquent en effet dans
quelles conditions la décision a été prise, le jeudi 8 mars 2007, lors d’une réunion de l’état-major de campagne du candidat UMP1 :
« Face à la remontée de Ségolène Royal dans les intentions de vote du second tour,
une prompte décision s’impose. Pourquoi ce “coup de mou” que rien ne laissait
présager ? L’analyse lui est fournie, une fois de plus, par Patrick Buisson, lors d’une
réunion convoquée d’urgence place Beauvau. “Nicolas est en train de se notabiliser,
attaque Buisson. J’y vois la conséquence du choix de Simone Veil pour présider le
comité de soutien”. […]. Puis, s’adressant à Sarkozy comme si les autres n’étaient pas là :
“Tu as percé parce que tu incarnes une transgression par rapport aux tabous de la
politique traditionnelle. Il faut, sans tarder, envoyer un signal fort à toutes les
couches nouvelles qui ont déjà basculé dans ton camp ou qui sont prêtes à le faire. Or, le
tabou des tabous, c’est l’immigration. La transgression majeure, elle est là. Pas ailleurs.
Il faut en remettre un coup sur le thème de l’identité nationale”. Le silence, alors, est à
couper au couteau. Seul Guaino intervient pour soutenir Buisson. Puis, après un
nouveau silence, Sarkozy lui-même : “Patrick a raison. Je vais proposer la création
d’un ministère de l’Identité nationale. Quant à Simone, je la gère. Elle doit comprendre.
Elle comprendra”. »
Histoire secrète de la Droite,1958-2008, éd. Plon, 2008
Si ce récit est exact, la réaction du candidat a été rapide, puisque, le
soir même, la proposition apparaissait sur la chaîne publique France 2 :
“J’ai proposé la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale,
car l’intégration passe par le partage de notre culture autant que par son enrichissement.
Un seul ministère doit traiter l’ensemble des questions relatives à l’immigration, à
l’intégration et au codéveloppement.”
émission A vous de juger, 8 mars 2007
Après son élection, Nicolas Sarkozy rendra hommage aux conseils de Patrick Buisson, le 24 septembre 2007, dans les salons de l’Elysée :
«Ce jour-là, le président de la République en personne remet la Légion d’honneur à Patrick Buisson. “Un journaliste de conviction, ce qui est rare ; un journaliste de grande culture, ce qui est très rare.” Compliments de circonstance. Et puis Sarkozy laisse tomber son texte et improvise. “C’est à Patrick que je dois d’avoir été élu”, dit-il, et cela vaut plus que toutes les médailles. Buisson en rougit. Certains ont même vu une larme perler à ses paupières.»
Le Nouvel Observateur N° 2298, jeudi 20 novembre 2008
La Guerre d’Algérie, de Patrick Buisson
Après La guerre d’Indochine en septembre 2009, Patrick Buisson publie donc en octobre 2009 un nouvel ouvrage : La guerre d’Algérie2. Un album de belles photos accompagnées de légendes souvent amphigouriques :
«L’Algérie, ambivalente sous ses traits accusés, va éveiller une passion dévorante chez tous ceux qui y poseront le pied. Alors que l’opinion métropolitaine se laissera peu à peu gagner par la honte et par la lassitude, la guerre sera pour eux le temps d’un corps à corps dont ils auraient souhaité qu’il fût fécond.»3
Pour paraphraser Michel Déon qui l’a préfacé, cet ouvrage écrit «l’Histoire comme on voudrait qu’elle s’écrive». Ce n’est pas un livre d’Histoire, mais un livre partisan, voué à la célébration d’une cause, celle de l’armée française au service de la France coloniale.
Mais il bénéficie d’une promotion officielle :
« Hubert Falco, secrétaire d’État à la Défense et aux Anciens combattants, assistera à la cérémonie donnée à l’occasion de la sortie des deux livres de Patrick Buisson
La guerre d’Indochine et La guerre d’Algérie, mardi 3 novembre 2009 à 18h30,
à l’Hôtel national des Invalides.
Ces deux livres, récemment coédités par Albin Michel, la chaîne Histoire et le ministère de la Défense, renvoient une image à la fois terrible et humaine de ces deux conflits où les reporters de guerre ont risqué leur vie aux côtés des soldats.
Au-delà du succès qu’ils ont emporté auprès des lecteurs, ces deux ouvrages abondamment illustrés symbolisent la qualité d’une association originale entre le public (la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives – DMPA, l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense – ECPAD) et le privé (chaîne Histoire et Albin Michel), en matière de mémoire et d’histoire. »
Les convictions de Patrick Buisson
L’article de Carole Barjon rappelait qu’en mars 1962, Patrick Buisson, alors âgé de 13 ans, avait été un des rares qui, dans les établissements scolaires, avaient refusé de s’associer à l’hommage national aux six inspecteurs des Centres sociaux éducatifs, fondés en 1955 par Germaine Tillion pour tenter de corriger la sous-scolarisation en Algérie5, qui avaient été assassinés par l’OAS6.
On ne peut certes pas faire grief à un adulte des prises de position de l’adolescent qu’il a été. Mais il apparaît qu’aujourd’hui encore, Patrick Buisson refuse toujours de condamner l’un des crimes les plus ignobles de l’organisation à laquelle il a consacré une publication au titre ambigu7.
La Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie
Dans une allocution prononcée devant leurs associations réunies aux Invalides à l’occasion de la Journée nationale d’hommage aux Harkis, vendredi 25 septembre 2009, le Secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens combattants, Hubert Falco, avait confirmé la création d’une Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie8.
Il précisait le 3 novembre dans l’allocution prononcée à l’occasion de la réception de Patrick Buisson aux Invalides :
« Si le Président de la République nous a demandé de mettre rapidement sur pied la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, c’est bien que cette question est essentielle pour notre pays.»9
On sait les historiens profondément hostiles à la création de cette fondation, mesure prévue à l’article 3 de la loi du 23 février 2005 mais que le président Chirac avait eu la sagesse de « geler »8.
La participation d’un membre du gouvernement à la promotion d’un ouvrage signé par l’un des conseillers les plus influents du président de la République, comme le concours apporté à sa publication par la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, et par l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense, confère un caractère officiel à cette vision de la guerre d’Algérie.
Contribue-t-elle à l’édification de la soi-disant “identité nationale” ?
Préfigure-t-elle l’orientation de la future Fondation pour l’histoire officielle ?
- Voir également : http://memorial98.over-blog.com/article-24466321.html.
- Patrick Buisson, La Guerre d’Algérie, préface de Michel Déon, éd. Albin Michel, 271 p., 29,90 €.
- Légende de la photo page 24.
http://www.defense.gouv.fr/sedac/prises_de_parole/communiques/sortie_des_deux_livres_la_guerre_d_indochine_et_la_guerre_d_algerie_de_patrick_buisson.- En 1954-1955, la population musulmane d’âge scolaire s’élevait en Algérie à 1 990 000 enfants. Avec 307 000 élèves inscrits dans les écoles du premier degré – élèves scolarisés à plein temps ou à mi-temps – , le taux de scolarisation atteignait donc 15,4% à la veille de la guerre d’indépendance.
Référence : Commissariat général au Plan. Rapport général concernant l’Algérie, juillet 1955, 88p. Statistiques scolaires concernant l’année 1954-55.
Cité par Antoine Léon, Colonisation, enseignement et éducation, éd. L’Harmattan 1991, page 224. - Pour plus de précisions, voir cette page consacrée à l’assassinat de Château Royal.
- Pascal Gauchon et Patrick Buisson, OAS. Histoire de la résistance française en Algérie, éd. Jeune Pied-noir, 1984.
- Voir cette page.
- L’intervention prononcée aux Invalides le 3 novembre 2009 par Hubert Falco : http://www.defense.gouv.fr/sedac/prises_de_parole/discours/reception_patrick_buisson_intervention_de_m_hubert_falco_mardi_3_novembre_2009.