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Édition du 15 février au 1er mars 2025

Gaza, un an après l’offensive israélienne…

Un an après le lancement de l’offensive israélienne sur Gaza, une quinzaine d'ONG, dont Amnesty International, le CCFD et Oxfam International, publient un rapport3 où ils dénoncent le blocus auquel la population de la bande de Gaza (1.5 millions d'habitants) est soumise de la part d'Israel. Pour l’ancien président américain, Jimmy Carter, les Gazaouis sont « traités plus comme des animaux que comme des êtres humains». Le rapport, publié fin décembre 2009, montre que très peu des dégâts infligés aux habitations, aux services publics (écoles, hôpitaux…) et aux infrastructures ont été réparés. Dans un entretien publié par L'Humanité, Stéphane Hessel met en cause la France et l'Union européenne qui ont «laissé faire Israël».

Un an après l’offensive israélienne, Gaza “abandonnée”

[LEMONDE.FR, 22 décembre 2009]

Un an après l’opération “Plomb durci”, qui fit près de 1 400 morts côté palestinien, seize ONG accusent la communauté internationale d’avoir «trahi» les habitants de la bande de Gaza. «Gaza ne peut pas continuer à être la plus grande prison à ciel ouvert du monde !» avait notamment déclaré Nicolas Sarkozy en février, peu après l’offensive israélienne dans ce territoire palestinien. Pourtant, le blocus israélien a perduré, ce qui a «empêché» la reconstruction et les réparations nécessaires, dénoncent les ONG dans un rapport de vingt pages1.

Ces organisations, parmi lesquelles Oxfam International, le CCFD-Terre solidaire et Amnesty International France, rappellent que plus de 2,8 milliards d’euros d’aides avaient été annoncés en faveur du territoire laissé exsangue par trois semaines de bombardements, qui firent 600 000 tonnes de décombres. Mais «seule une faible partie des sommes engagées ont été dépensées. Les biens et équipements destinés à la reconstruction croupissent dans des entrepôts en dehors de Gaza et la région est toujours en ruines (…). Seuls quarante et un chargements de matériaux de construction ont été autorisés à entrer depuis, alors qu’il en faudrait des milliers.»

Terres inexploitables

Les conséquences, recensées par l’ONU et les ONG déployées sur le terrain, sont multiples : cet été, vingt mille personnes vivaient toujours loin de chez elles ; 90 % des Gazaouis subissent des coupures de courant quatre à huit heures par jour, ainsi que des coupures d’eau, dont seulement 5 à 10 % est potable ; les destructions dans les entreprises ont intensifié le chômage, qui a atteint 40 % ; près de la moitié des terres agricoles ont été rendues inexploitables par le passage des blindés israéliens et l’extension de la zone-tampon à la frontière avec Israël ; le fonctionnement des secteurs-clés de la santé et de l’éducation demeure très perturbé.

Les ONG condamnent les tirs de roquette contre des civils israéliens depuis la bande Gaza, à l’origine de l’offensive. Mais elles refusent que cette infraction au droit international en justifie une autre. Or, le blocus imposé par Israël depuis l’arrivée au pouvoir du Hamas en 2007 dans ce territoire palestinien viole la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, qui interdit les «punitions collectives», selon elles. Elles terminent par un «appel à l’action», notamment à destination de l’Union européenne, pour obtenir la levée du blocus. […]

Stéphane Hessel : « La France et l’UE ont laissé faire? »

Entretien réalisé par Hassane Zerrouky, L’Humanité, 4 janvier 2010

Stéphane Hessel, ancien diplomate et ambassadeur, ancien résistant et déporté français, qui a notamment participé à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, estime que seule la pression internationale peut faire plier Israël 2.

  • Un an après l’attaque israélienne contre Gaza, quel est votre regard? ?

Je reste convaincu qu’en faisant cette opération scandaleuse, le gouvernement d’Israël de l’époque a donné une preuve de son incapacité de croire à une paix que tout le monde souhaite, les Palestiniens et la communauté internationale, lesquels se sont prononcés en faveur d’une solution négociée fondée sur deux États dans le cadre de l’ONU. Un an après le crime contre Gaza, nous voyons que ce territoire est toujours enclavé, ce qui rend impossible sa reconstruction. Je m’y suis rendu en juin dernier avec ma femme, et j’ai pu constater que le rapport du juge Richard Goldstone est exact en ce qui concerne la destruction des habitations et des infrastructures et les méfaits commis à Gaza, et qu’il qualifie de crimes de guerre et contre l’humanité. Ce sont les mots qui s’appliquent à ce qu’Israël a commis à Gaza. Pour le juge Richard Goldstone, les Israéliens auraient dû faire une enquête eux-mêmes. Or ils ne l’ont pas faite. Il y a aussi une autre chose qui me scandalise.

  • Laquelle? ?

C’est le fait que la France et l’Union européenne aient laissé faire Israël, qui a, de plus, porté atteinte à nos activités dans les territoires occupés palestiniens. Il y a eu des fonctionnaires du consulat de France à Jérusalem menacés, arrêtés dans certains endroits par les forces israéliennes. On a voulu faire venir des artistes au Centre culturel français, les autorités israéliennes les en ont empêchés… C’est pour moi un non-respect des habitudes de courtoisie diplomatique, des choses contre lesquelles le gouvernement français aurait dû protester. J’ai d’ailleurs attiré l’attention du ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui est un ami, dans une lettre que je lui ai adressée pour lui signaler que cela est inacceptable et que le gouvernement français aurait dû réagir. Mais il ne m’a jamais répondu.

  • L’élection de Barack Obama a suscité beaucoup d’espoir, notamment après son discours du Caire mais depuis, force est de constater qu’il n’arrive pas à convaincre Netanyahou de négocier…

C’est notre principale déception. Nous avions interprété ?le discours prononcé au Caire et l’envoi ?du négociateur George Mitchell ?dans la région comme une volonté ?de Barack Obama d’utiliser les moyens de pression nécessaires, car les États-Unis en ont les moyens, sur Israël pour le contraindre à négocier une paix juste sur la base des résolutions de l’ONU. Jusqu’ici, force est de constater que cela n’a pas beaucoup progressé. ?C’est ce qui nous inquiète. Il faut rappeler que c’est l’ONU qui a créé Israël, ?que des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité indiquent clairement une solution fondée sur deux États, avec Jérusalem pour capitale de deux États, en plus du règlement des réfugiés palestiniens. C’est ce que disent ces résolutions. Si maintenant Barack Obama se met sérieusement à travailler dans le cadre de l’ONU, en imposant un retour de la négociation dans ce cadre, alors Israël sera obligé d’accepter. Car la question est de savoir si Israël va continuer cette politique qui le marginalise au sein de la communauté internationale, avec tous les risques que cela comporte pour son existence. Ou s’il va enfin se décider à envisager une autre politique allant dans ?le sens d’une paix juste et durable.

  • À ce propos, que pensez-vous de la proposition d’un sommet avec Mahmoud Abbas faite par Benyamin Netanyahou au Caire? ?

J’ai bien peur que ce ne soit encore une fois une manœuvre. Si le premier ministre israélien veut réellement négocier, encore faut-il qu’il apporte dans la négociation un minimum de propositions, comme par exemple la libération du soldat Gilad Shalit contre celle de prisonniers palestiniens. J’ajoute que la proposition de M. Netanyahou ne sera crédible que si en plus il y a au minimum un arrêt de la colonisation et une ouverture des frontières de Gaza au monde extérieur.

  • Ne faudrait-il pas compter également sur la pression d’une partie des Israéliens pour contraindre Netanyahou à des gestes? ?

Je l’espère mais je n’en suis pas assez sûr. Elie Barnavi, l’ancien ambassadeur d’Israël en France, a écrit un livre, Aujourd’hui, ou peut-être jamais. Pour une paix américaine au Proche-Orient, dont je recommande la lecture, un livre où il se dit convaincu qu’Israël doit aller vers la paix, qu’il n’a pas d’autre choix, et que seule une intervention extérieure, celle des États-Unis d’Obama, pourrait faire plier les dirigeants israéliens et les amener à négocier sérieusement.

  1. Stéphane Hessel a publié Danse avec le siècle (autobiographie, Seuil, 1997) et Dix Pas dans le nouveau siècle (Seuil, 2002).
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