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Édition du 1er au 15 février 2025
Salle de classe détruite dans la bande de Gaza, le 19 Janvier 2009 (© Amnesty International)

Gaza : les responsables de violations graves du droit international doivent en répondre

« La destruction dont j’ai été le témoin à la fois en termes humains et matériels est terrifiante. L’ampleur des pertes humaines et des blessés parmi la population aura des conséquences à long terme sur la santé mentale et physique des Palestiniens de la bande de Gaza. Tous les aspects de la vie ont été touchés » déclare John Holmes, sous-secrétaire général des Nations unies, après avoir visité la bande de Gaza6. Vous trouverez ci-dessous un petit dossier comportant :
  • une article repris d'Amnesty International, qui affirme détenir des preuves de violations graves du droit international commises par toutes les parties au conflit,
  • un bilan établi par la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine,
  • un article du Monde qui reprend la dénonciation par des soldats israéliens du comportement de leur armée à Gaza.

Le temps est venu de rendre des comptes

[Amnesty International, le 24 février 2009]1

Salle de classe détruite dans la bande de Gaza, le 19 Janvier 2009 (© Amnesty International)
Salle de classe détruite dans la bande de Gaza, le 19 Janvier 2009 (© Amnesty International)

« Les soldats [israéliens] ont bombardé la maison et tué ma mère, mon père, ma petite fille et 25 autres membres de ma famille.

Pourquoi ?

Nous ne sommes pas du Hamas, nous ne sommes pas des combattants.

Pourquoi nous ont-ils fait cela ?
»

Salah Sammouni (témoignage recueilli à Gaza en janvier 2009)


Maison à Ashkelon touchée par un missile palestinien (© Amnesty International)
Maison à Ashkelon touchée par un missile palestinien (© Amnesty International)

« Mon fils de cinq ans demande toujours où se trouve l’abri le plus proche.

Les jeunes enfants ne devraient pas avoir ce genre d’inquiétudes.

Ils devraient juste se soucier de savoir à quoi ils vont pouvoir jouer.
»

Geut Aragon, dont la maison à Sderot à été touchée par une roquette palestinienne (témoignage recueilli en décembre 2008).


Avec le fragile cessez-le-feu actuellement en place dans la bande de Gaza et le sud d’Israël, la pleine mesure des ravages causés par le conflit au cours des dernières semaines apparaît de plus en plus clairement.

Les chercheurs d’Amnesty International qui se sont rendus dans le sud d’Israël et dans la bande de Gaza pendant et après les combats ont trouvé des preuves de crimes de guerre et autres violations graves du droit international par toutes les parties au conflit.

Au cours des trois semaines qui ont suivi le début de l’offensive militaire israélienne (27 décembre 2008), les forces israéliennes ont tué plus de 1300 Palestiniens dans la bande de Gaza, dont plus de 300 enfants et beaucoup d’autres civils, et blessé plus de 5000 autres Palestiniens, dont de nombreux civils.

Les forces israéliennes ont également détruit des milliers de maisons et autres biens et causé des dégâts importants à l’infrastructure de la bande de Gaza, entraînant une aggravation de la crise humanitaire résultant de 18 mois de blocus maintenu par Israël.

Certains des bombardements israéliens et autres attaques ont été dirigées contre des civils ou des bâtiments civils dans la bande de Gaza, d’autres ont été disproportionnée ou indiscriminé.

Amnesty International a relevé des preuves incontestables que les forces israéliennes ont utilisé des armes au phosphore blanc dans les zones résidentielles à forte densité de population de la bande de Gaza.

L’utilisation par les forces israéliennes de l’artillerie et d’autres armes à faible précision dans les zones résidentielles à forte densité de population a augmenté les dommages causés à la population civile.

Au cours de la même période, le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens ont continué les tirs de roquettes indiscriminés dans des zones résidentielles du sud d’Israël, tuant trois civils.

Les attaques directes contre des civils et des biens civils, les attaques disproportionnées et indiscriminées constituent des crimes de guerre.

Dans un nouveau rapport, Amnesty International met en lumière l’utilisation des armes par Israël durant le conflit et les fournitures d’armes au pays :
«Fuelling conflict: Foreign arms supplies to Israel/Gaza» (uniquement en anglais)2

Gaza : un bilan

[Infos Palestine, Janvier/Février 2009]3

« Chaque mètre carré a reçu 5 kilos de bombes ». Ce chiffre cité dans le journal Libération par Khalil Chahine du Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme, basé dans la bande de Gaza, montre l’amplitude de l’attaque israélienne. Les destructions causées par cette attaque aux infrastructures de base sont innombrables, principalement dans le domaine de l’agriculture. Elles viennent s’ajouter à une situation que plusieurs ONG internationales qualifiaient déjà en mars 2008 de « pire crise humanitaire depuis 1967 ». Le récit du Sous-secrétaire général des Nations unies, John Holmes, suite à sa visite dans la bande de Gaza, est révélateur : « La destruction dont j’ai été le témoin à la fois en termes humains et matériels est terrifiante L’ampleur des pertes humaines et des blessés parmi la population aura des conséquences à long terme sur la santé mentale et physique des Palestiniens de la bande de Gaza. Tous les aspects de la vie ont été touchés ». Ce supplément d’Infos Palestine a pour but de dresser un bilan factuel de l’attaque israélienne, il aborde aussi la question juridique de la « compétence universelle » des tribunaux nationaux face aux possibles accusations de crimes de guerre contre des responsables militaires israéliens.

Attaque israélienne – Bilan humain4

  • 1 440 Palestiniens tués dont 431 enfants et 114 femmes

    Le Palestinian Centre for Human Rights estime que 82% des tués sont des civils.

    3 civils israéliens tués, 11 soldats israéliens tués dont 4 par des tirs de l’armée israélienne

  • 5 380 Palestiniens blessés dont 1 872 enfants

Attaque israélienne – Bilan matériel5

  • 4 100 logements entièrement détruits ;
  • 17 000 logements ou bâtiments endommagés ;
  • 28 bâtiments publics détruits (dont les bâtiments de plusieurs ministères, municipalités,
    gouvernorats, ports de pêche et le siège du Conseil national législatif) ;
  • 21 bâtiments privés détruits (restaurants, hôtels, lieux touristiques…) ;
  • 30 mosquées détruites, 15 autres endommagées ;
  • 121 entreprises détruites, 200 autres endommagées ;
  • 5 usines (de fabrication de béton et de jus de fruits) détruites ;
  • 60 postes de police détruits ;
  • 29 centres d’éducation détruits ;
  • 16 ambulances détruites ou endommagées ;
  • 34 centres de soins endommagés, dont 8 hôpitaux ;
  • 53 bâtiments de l’UNRWA endommagés ou détruits ;
  • 1 765 hectares de terres agricoles détruits ;
  • 560 fermes détruites ;
  • 1 095 réservoirs et puits détruits ;
  • Le montant des dommages matériels s’élève au total à 2 milliards de dollars, dont
    la moitié dans le domaine de l’agriculture ;
  • Trois semaines après la fin de l’opération israélienne, de nombreuses ONG humanitaires
    font face à des difficultés importantes pour accéder à la bande de Gaza. Plusieurs
    d’entre elles n’ont pas reçu de réponse de l’armée israélienne à leur demande d’entrée.
    Certaines d’entre elles se sont vues refuser l’autorisation d’accès.

La « compétence universelle »
et les crimes de guerre israéliens

Suite à son attaque dans la bande de Gaza, le gouvernement israélien s’attend à ce que de nombreuses plaintes soient déposées contre ses responsables militaires au titre de la « compétence universelle », principalement devant les tribunaux européens. C’est à ce titre que la justice espagnole vient d’accepter une plainte déposée contre des officiers israéliens pour des faits datant de 2002.

Patrick Baudoin, président de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme, rappelait dans un entretien que ce principe de droit « constitue une exception au prince de territorialité du droit pénal », il consiste « à ce qu’un juge national puisse interpeller, poursuivre ou extrader, les auteurs de crimes tels que définis dans des conventions internationales ou par le droit coutumier, cela indépendamment du lieu où le crime a été commis, de la nationalité de l’auteur et de la nationalité des victimes ».

Concernant les actions de l’armée israélienne, plusieurs tribunaux européens ont déjà accepté des plaintes déposées dans le cadre de la compétence universelle. Il est néanmoins nécessaire pour qu’un tribunal national se déclare compétent que le crime de guerre soit d’abord défini dans la loi du pays. La situation en France pose donc un certain nombre de contraintes, « le droit pénal français prévoit de façon limitative les infractions pour lesquelles la compétence
universelle peut s’exercer
». Bien que la France soit signataire des Conventions de Genève, le crime de guerre n’est pas défini dans le droit français et seule la Convention de 1984 contre la torture qui « prévoit explicitement la compétence universelle » est transposée en droit français. La solution, comme l’indique Patrick Baudoin serait de « faire pression sur le gouvernement et sur les élus français pour qu’il y ait une législation spécifique sur les crimes de guerre et plus largement qu’il y ait une adaptation en droit français du statut de la Cour Pénale Internationale », dont la compétence reste limitée par la souveraineté des Etats (Israël, les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde ne sont pas signataires).

Des soldats israéliens dénoncent le comportement de l’armée à Gaza

par Michel Bole-Richard, Le Monde du 21 mars 2009

Deux mois après la fin de l’opération « Plomb durci » dans la bande de Gaza, qui a coûté la vie à plus de 1 300 Palestiniens, dont une majorité de civils, des soldats israéliens racontent comment certains d’entre eux ont été tués. C’est la première fois que ces témoignages sont publiés, notamment dans le quotidien Haaretz et le journal Maariv. Ils ont d’abord été diffusés dans une lettre d’information d’une académie militaire.

Un soldat raconte par exemple comment une mère de famille et ses deux enfants ont été tués par un sniper parce que cette femme n’avait pas compris qu’il fallait sortir de la maison en se dirigeant vers la droite plutôt que vers la gauche.

Un autre décrit comment une vieille dame est morte au milieu de la rue sous les projectiles de soldats embusqués dans une maison à 100 mètres, alors qu’elle ne présentait aucun danger. « La vie des Palestiniens est quelque chose de beaucoup, beaucoup moins important que la vie de nos soldats », raconte l’un d’eux ajoutant : « ce qui permet de justifier » ces morts.

Afin d’éviter au maximum les pertes parmi les soldats, les consignes de tirs données par les officiers étaient extrêmement souples. « Lorsque nous entrions dans une maison, nous étions supposés démolir la porte puis tirer à l’intérieur, et ainsi de suite dans tous les étages. Chaque fois que nous rencontrions une personne, nous lui tirions dessus. Pour moi, c’est un meurtre », explique le responsable d’un escadron. « Nous devions tuer tout le monde, car ce sont tous des terroristes », affirment certains soldats de l’unité d’élite Givati. Ces derniers racontent aussi que lorsqu’ils pénétraient dans une maison, ils passaient tout par la fenêtre : « réfrigérateur, vaisselle, mobilier. Les ordres étaient de faire le vide. » Un chef de section parle « des inscriptions “Mort aux Arabes”, des photos de famille sur lesquelles on crache tout simplement parce qu’on en a le pouvoir. Tout cela dénote à quel point le sens de l’éthique de Tsahal s’est dégradé ».

« GUERRE SAINTE »

Danny Zamir, directeur de cette académie, a été surpris par « la dureté des témoignages sur des tirs injustifiés contre des civils, des destructions de biens qui dénotent une atmosphère dans laquelle on se croit permis d’utiliser la force sans restriction ». L’influence des rabbins au sein de l’armée est soulignée. « Vous devez combattre pour vous débarrasser des gentils (non juifs) qui vous empêchent d’occuper la Terre sainte » : c’est la recommandation dont se souvient un militaire, qui ajoute : « Beaucoup de soldats avaient le sentiment qu’il s’agissait d’une guerre sainte. »

Informé, Gaby Ashkenazi, le chef d’état-major, a estimé que, « pour le moment, les enquêtes n’ont pas démontré que de telles violations ont eu lieu ». Le ministre de la défense, Ehoud Barak, reste convaincu que « l’armée israélienne est la plus morale du monde ». « Bien sûr, il peut y avoir des exceptions et tout ce qui a pu être dit va être vérifié », a-t-il déclaré.

Une enquête officielle a été ordonnée. Les soldats se sont dits étonnés de la surprise créée par leurs témoignages. Pour eux, ce qui s’est passé dans la bande de Gaza est habituel. Pour le moment, les enquêtes promises sur le déroulement de certaines opérations de Tsahal au cours cette guerre n’ont toujours pas donné de résultats.

Michel Bole-Richard

  1. Source : http://www.amnesty.fr/index.php/amnesty/s_informer/actualites/le_temps_est_venu_de_rendre_des_comptes.
  2. AI Index: MDE 15/012/2009, 23 février 2009.
  3. Extraits du supplément Bande de Gaza, de Infos Palestine,
    Bulletin de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine – n°23 – Janvier/Février 2009
    http://www.plateforme-palestine.org/IMG/pdf/Infos_Palestine_no23-supplementspecial_bandedeGaza.pdf.
  4. Sources : Palestinian Centre for Human Rights, Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies dans les Territoires occupés.
  5. Sources : Palestinian Centre for Human Rights, Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies dans les Territoires
    occupés, UNRWA, Palestinian Central Bureau of Statistics, Palestinian Farmers Union, Palestinian Agricultural Relief Committee.
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