Le président Hollande répond à Josette Audin
[Alger, envoyée spéciale.] – On est loin de la sécheresse administrative de l’accusé de réception qui avait répondu à sa lettre au président de la République, en août dernier. Cette fois, François Hollande répond de façon circonstanciée à la demande de Josette Audin que soit « connue et reconnue » la vérité sur le sort de son mari, Maurice Audin, enlevé, torturé et assassiné par les parachutistes de Massu, Bigeard et Aussaresses, en juin 1957, à Alger (voir l’Humanité du 14 décembre). « Plus de cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, l’État français doit faire face à ses responsabilités et au devoir de vérité qui lui incombe envers vous et votre famille d’abord, mais également envers l’ensemble des citoyens », écrit le chef de l’État dans une missive reçue vendredi matin par Josette Audin. À la veille de sa visite d’État en Algérie, mercredi et jeudi,
François Hollande confirme qu’il se rendra « sur la place Maurice-Audin, à Alger, en hommage à la mémoire » du jeune mathématicien communiste qui avait embrassé la cause de l’indépendance algérienne.
« J’ai par ailleurs demandé à Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, de vous recevoir afin de vous remettre en mains propres l’ensemble des archives et documents en sa possession relatifs à la disparition de votre mari », conclut le président français.
Josette Audin, qui s’était vu opposer un silence assourdissant par Nicolas Sarkozy en 2007, juge cette réponse « positive », même si elle attend de connaître les termes précis de « l’hommage » promis par François Hollande et la nature exacte des documents qui lui seront remis par le ministre de la Défense. Le président de la République ne précise pas, en effet, si ce geste implique une levée du secret-défense sur tous les documents relatifs à l’affaire Audin. Autre difficulté, selon l’historienne Sylvie Thénault, spécialiste de la guerre d’Algérie : « Il n’est pas évident que des traces écrites témoignent d’un ordre d’exécution de Maurice Audin. En revanche, des témoins existent, ils doivent parler, dire la vérité. » En mars dernier, une enquête du Nouvel Observateur révélait de nouveaux éléments sur l’affaire Audin, extraits d’un manuscrit du colonel Godard, ancien commandant de la zone Alger-Sahel. Ce document contredit la thèse officielle selon laquelle Maurice Audin se serait évadé lors d’un transfert. Il confirme que le militant communiste a été tué par les militaires qui le détenaient et mentionne même le nom de celui qui l’aurait mis assassiné, le sous-lieutenant Gérard Garcet, aide de camp du général Massu. À plus de quatre-vingts
ans, l’homme coule aujourd’hui une retraite tranquille en Bretagne.
Le général tortionnaire Paul Aussaresses racontait en 2008, dans l’un de ses sinistres déballages, que cet homme faisait partie de « l’état-major de la main gauche » chargé des « basses besognes »,en fait un escadron de la mort qui officiait à la villa des Tourelles, sur les
hauteurs d’Alger. D’après Aussaresses, condamné en 2002 pour « apologie de crime de guerre », la hiérarchie militaire comme les autorités politiques recevaient des rapports sur les exécutions sommaires : « Je le disais à Massu. En plus de la réunion quotidienne du matin, j’écrivais en quatre exemplaires tous les jours ce que nous faisions, de façon détaillée. Il y avait un exemplaire pour Massu, un pour le ministre résidant
Lacoste et un pour le général Salan. Massu savait tout. Le gouvernement aussi. […] On ne faisait pas toujours des listes pour Paul Teitgen, le secrétaire général de la préfecture. Certains, on les attendait dehors et on les exécutait. Après, on les “assignait à résidence”. » Les barbouzes, liés par un « pacte du silence », se chargeaient ensuite de faire disparaître les corps. Parfois en les enterrant sur les lieux mêmes de leur exécution. Le plus cyniquement du monde, Aussaresses raconte que des exécutions sommaires, « il y en a eu quelques-unes, c’est vrai, à la villa des Tourelles. Des types arrivés de jour… On les a enterrés sur place. Ils doivent être encore dans le jardin ».
Raphaëlle Branche : «L’ouverture des archives est avant tout symbolique»
L’historienne Raphaëlle Branche, maître de conférences à l’université Paris-I et auteure de La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962 (Gallimard, 2001) et La Guerre d’Algérie : une histoire apaisée ? (Le Seuil, coll. L’Histoire en débats, 2005) relativise la portée de cette annonce.
- L’ouverture des archives militaires peut-elle permettre de faire la lumière sur les circonstances de la mort de Maurice Audin ?
Raphaëlle Branche : On peut d’abord se féliciter de cette décision car cela fait des années que Josette Audin réclame ces documents. Mais elle est d’abord symbolique car je doute qu’on y trouve un secret d’Etat, ou même des éléments nouveaux.
L’historien Pierre Vidal-Naquet avait déjà pu consulter les archives du ministère de la justice dans les années 1980 et n’y avait rien trouvé éclairant les circonstances de l’assassinat de Maurice Audin. Il s’agit cette fois d’ouvrir les archives du ministère de la défense. Or, depuis la loi sur les archives de 2008, qui a fait passer à cinquante ans le délai pour consulter les documents classés secret défense, une grande partie était déjà consultable dès cette année.
Par ailleurs, au vu de la notoriété du meurtre de Maurice Audin, je ne crois pas que ces archives de la défense aient attendu gentiment qu’on les regarde. Il y a certainement eu une sorte de ménage. Je ne suis donc pas très optimiste.
- Josette Audin avait annoncé, en mai 2001, avoir porté plainte contre X dans l’affaire de cette disparition. Mais du fait des lois d’amnistie, une action en justice était impossible …
Les lois d’amnistie votées après la guerre d’Algérie portaient sur des actes qui n’avaient pas été jugés. Pour contourner ces lois, les questions liées à la guerre d’Algérie ont toujours été traitées en correctionnelle devant la 17e chambre du TGI de Paris, en charge des affaires dites « de presse » (apologie, diffamation). C’est ainsi que la bonne foi de l’historien Jean-Luc Einaudi avait été reconnue lorsqu’il avait parlé de « massacre » à propos de la répression du 17 octobre 1961.
Le détour par la procédure en diffamation est décevant, mais c’est, pour ceux qui l’utilisent, une façon indirecte de faire que justice soit rendue. Mais à ma connaissance, il n’y a jamais eu de procès en diffamation concernant la disparition de Maurice Audin.
- Ni archives ni action judiciaire. Cela veut-il dire que les circonstances de la mort de Maurice Audin ne seront jamais reconnues officiellement ?
Le seul endroit où se trouve la réponse, c’est dans la tête des protagonistes. Il faut donc se dépêcher de recueillir les paroles du général Aussaresse et de Gérard Garcet [à l’époque sous-lieutenant]. Les archives montrent bien qu’ils sont nommés auprès du colonel Godard, qui commande le secteur Alger-Sagel le 7 juin, et qu’ils sont tous les deux remis à disposition de leur corps le 1er juillet. Pendant cette période, ils ont vraisemblablement participé à la disparition de Maurice Audin.
Ils ont certes toujours refusé de reconnaître leur culpabilité, mais le président de la République, chef des armées, pourrait demander à ces militaires en retraite de dire ce qu’ils savent.
- Dans une lettre envoyée à François Hollande le 6 août, Josette Audin disait espérer que, “comme le président de la République Jacques Chirac l’a fait pour condamner la rafle du Vel d’Hiv, (…) vous ferez aussi, au nom de la France, non pas des excuses pour des actes qui ne sont pas excusables, mais au moins une condamnation ferme de la torture et des exécutions sommaires commises par la France pendant la guerre d’Algérie”. A votre avis, que peut-on attendre de la visite de François Hollande à Alger les 19 et 20 décembre ?
Côté algérien, la barre avait été placée haut après la loi française contestée du 23 février 2005 reconnaissant notamment le rôle positif de la colonisation. Cette barre, c’est la repentance.
Il ne me semble pas qu’un président de la République française puisse accomplir ce geste, mais je peux me tromper.
En revanche, des excuses sur la torture, érigée en système pour gagner la guerre et non simple bavure, sont imaginables. Et il est possible que les Algériens s’en contentent au vu de la bienveillance avec laquelle ils ont accueilli le communiqué – pourtant à bien des égards timoré – de l’Elysée sur la reconnaissance de la »répression sanglante » du 17 octobre 1961. Ils auraient pu jouer la carte de la protestation, ils ne l’ont pas fait.