Communiqué LDH
Paris, le 19 octobre 2012
Cinquante et un ans après le 17 octobre 1961,
une importante reconnaissance des faits
Dans un communiqué rendu public ce même jour, le président de la République a déclaré : « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes. »
La Ligue des droits de l’Homme, et toutes les associations que se sont mobilisées depuis plus de trente ans pour réclamer une telle reconnaissance, considèrent que cette déclaration est une victoire importante dans leur combat pour la vérité sur cet épisode qui a ensanglanté la capitale, à la fin de la guerre d’Algérie. Ces mots marquent la fin du déni et des mensonges officiels qui ont longtemps cherché à dissimuler ce crime d’Etat. Au-delà du geste politique, ils doivent aussi être le signal de la poursuite du travail des historiens pour que soient établies les circonstances de ce drame, ce qui implique un plus large accès aux archives qui s’y rapportent, en particulier celles du Premier ministre Michel Debré, du ministre de l’Intérieur Roger Frey, et du secrétariat général de la présidence de la République. Le contenu du conseil interministériel convoqué par le Premier ministre le 5 octobre 1961, et qui a décidé du couvre-feu discriminatoire et anticonstitutionnel à l’origine de la manifestation pacifique du 17 octobre, doit être lui aussi porté à la connaissance du public.
Des propositions de lois ont été déposées au Sénat et seront en discussion mardi 23 octobre. La Ligue des droits de l’Homme, en conformité avec sa conviction qu’il n’appartient pas au Parlement d’écrire l’Histoire, estime que ce n’est pas le vote d’une loi par celui-ci qui est nécessaire sur ce sujet, mais la facilitation de la recherche historique, par un meilleur accès aux archives.
Hollande sur le 17 octobre 1961: historiens satisfaits, acteurs nuancés
Saluée par les historiens, la déclaration de
François Hollande sur la « répression sanglante » de la manifestation des
Algériens du 17 octobre 1961 suscitait jeudi des réactions nuancées chez des
témoins des événements et militants associatifs.
Ce jour-là, « des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance
ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec
lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage
à la mémoire des victimes », a déclaré mercredi le président, rompant un long
silence de l’Etat.
Jetées dans la Seine, tuées par balle, à coups de pioche ou de crosse de
fusil, plusieurs dizaines à plus d’une centaine de personnes, selon les
sources, sont mortes dans la répression de cette manifestation pacifique à
laquelle avait appelé le FLN algérien.
« C’était une déclaration très attendue par les Algériens, en France et en
Algérie », souligne l’historien Benjamin Stora. « Des enfants ont grandi dans
cette mémoire niée, ils attendaient que la chose soit dite, cela a été fait,
c’est fondamental », a-t-il déclaré à l’AFP.
« Pendant 51 ans, il y a eu des victimes algériennes qui ont été niées.
Cette déclaration était indispensable car pendant toutes ces années, la
République a vécu sur un mensonge d’Etat », a renchéri son collègue Jean-Luc
Einaudi.
« Cela marque le début d’un processus qu’il faudra poursuivre », s’est
félicité l’historien et responsable de la Ligue des droits de l’Homme,
Gilles Manceron.
Constantin Melnik, coordonnateur des services secrets à Matignon pendant
la guerre d’Algérie, estime aussi que « la République a raison de reconnaître le
massacre inadmissible » du 17 octobre 1961.
« Je m’en souviendrai toujours »
Mohamed Guenad, 92 ans, avait participé à la manifestation. « Content », il
trouve que la République a « retrouvé la raison ».
Ancien commerçant à Nanterre et ex-membre du FLN, Mohamed Chabane, 80
ans, qui avait convoyé des blessés le soir du 17 octobre et vu un homme se faire tuer par la police, « attend de voir ».
De nombreux Algériens se sont rassemblés mercredi pour marquer la date
anniversaire. Comme Fetta Mellas, qui a jeté une rose dans la Seine. Elle
avait huit ans en 1961. Le lendemain de la manifestation, « on comptait ceux
qui n’étaient pas revenus. On entendait des rumeurs, des gens à l’hôpital,
certains disparus, je m’en souviendrai toujours ».
La déclaration de M. Hollande, qui n’a fait l’objet que d’un communiqué,
est « révélatrice du manque de courage de la France » face à son histoire
coloniale, a estimé le président de la Maison de l’union méditerranéenne,
Arezki Dahmani. « Après 51 ans et à la veille de son voyage en Algérie, on
attendait quelque chose de fort », a-t-il déclaré.
Le MRAP ne veut pas se « contenter de la seule reconnaissance des “faits” »
et demande que la répression soit reconnue comme “crime d’Etat”, avec un
libre accès “effectif” aux archives pour les historiens.
Monique Hervo, 83 ans, qui a participé à la manifestation, reconnaît une
« démarche capitale » mais déplore qu’il ait fallu « attendre 51 ans »: « Pour
les gens qui ont vécu cette répression et qui sont morts sans entendre cela,
c’est triste ».
« Sur la guerre d’Algérie en France, c’est la première fois qu’a lieu une
telle reconnaissance », rappelle Benjamin Stora, même s’il comprend le
scepticisme de certains Algériens ou descendants d’Algériens. « Ils ont vécu
pendant cinquante ans dans un déni public », souligne-t-il.
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Que disait-on sur la radio d’Etat, au lendemain de la manifestation sanglante du FLN du 17 octobre 1961 ? Pas question de massacre évidemment, le bilan officiel est de deux morts… Patrick Cohen exhumait ce matin sur France Inter quelques extraits du journal radio du 18 octobre 1961 au matin :
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Des historiens réagissent
Benjamin Stora
L’historien Benjamin Stora a réagi, jeudi matin sur Europe 1, aux propos tenus, notamment, par Christian Jacob sur la prise de position officielle de François Hollande qui a reconnu le massacre dont ont été victimes des centaines de manifestants algériens en 1961. « A l’époque, des policiers républicains avaient protesté contre la répression », a rappelé l’historien. « C’est à eux qu’il faut rendre hommage aujourd’hui bien entendu », a-t-il répondu au patron des députés UMP qui estime, de son côté, qu’il est intolérable de « mettre en cause la police républicaine ».
« Ce ne sont pas toutes les personnalités de droite » qui ont réagi ainsi, a également souligné Benjamin Stora, « tout le monde sait qu’il est temps, un demi siècle après de reconnaître cette tragédie », a-t-il conclu.
Gilles Manceron 1
Pour Gilles Manceron, spécialiste du colonialisme français, la reconnaissance de cette « répression sanglante » du 17 octobre 1971 doit ouvrir un processus de recherche, en particulier concernant la responsabilité du Premier ministre de l’époque.
- François Hollande reconnaît la répression sanglante du 17 octobre 1961. Est-ce un moment historique?
C’est une date qui doit marquer un début. Le début d’un processus de la part de nos institutions et de notre société. Ce n’est pas la fin de quelque chose. Cette reconnaissance de la tragédie, « avec lucidité », dit le président, c’est une page de l’Histoire de la France et de l’Histoire de la République, qui doit être prolongée par un effort des historiens, un accès facilité aux archives. Il faut encore faire la lumière sur cette période coloniale, et plus particulièrement sur ce qu’elle avait de contradictoire avec les principes de la République.
- La France a-t-elle encore beaucoup de travail à faire vis-à-vis de son Histoire, en particulier concernant cette période?
Oui, car c’est toute la période coloniale qui est en cause. L’Algérie a été le plus important épisode de cette histoire coloniale, mais cette dernière est plus large que l’histoire franco-algérienne. C’est donc sur la connaissance de tout le phénomène colonial que le travail reste à approfondir.
- Vous êtes en ce moment-même à la commémoration annuelle du 17 octobre 1961. L’annonce de cette reconnaissance par François Hollande a-t-elle été reçue positivement?
Il y a eu des « youyou ! » et beaucoup de satisfaction exprimée par les personnes présentes. La reconnaissance des faits par la République est considérée comme une étape qui montre que, parfois, la mobilisation, les ouvrages, les articles de presse ou les documentaires peuvent déboucher sur du résultat. Mais les gens ne se disent pas qu’il n’y a plus rien à faire. Au contraire, la tâche ne fait que s’annoncer. Il y a une dizaine d’années, Pierre Vidal-Naquet qualifiait d’énigme ces événements. Pourquoi, à la fin de la guerre, un tel fait a-t-il été possible en plein cœur de Paris ? Il faut continuer à travailler, et en particulier sur la responsabilité du Premier ministre de l’époque, Michel Debré.
Jean-Luc Einaudi
- Peut-on, selon vous, parler de crime contre l’humanité ?2
A de nombreuses occasions, et notamment à l’issue du procès que m’avait intenté Maurice Papon (Préfet de police en 1961), en février 1999, j’ai déclaré que je considérais que les crimes commis le 17 octobre 1961 et durant cette période par des fonctionnaires de police et de gendarmerie relevaient du crime contre l’humanité car les personnes qui ont été raflées, tuées, noyées, victimes de violences, l’ont été en fonction de leur appartenance réelle ou supposée à une communauté humaine, celle des Algériens.
Les critères mis en œuvre pour définir cette appartenance réelle ou supposée étaient ceux de l’apparence physique, c’est-à-dire des critères racistes, censés être caractéristiques de l’Algérien.
Ont été victimes non seulement des manifestants ou des personnes ayant l’intention de manifester mais aussi des personnes qui ne manifestaient pas, désignées en fonction de leur apparence physique.
Le caractère sauvage qu’a pris le déchaînement de violence policière s’explique, à mon avis, par la haine raciale, enracinée dans la domination coloniale et exacerbée par la guerre menée par l’Etat français contre la lutte d’indépendance algérienne.
Alain Ruscio3
- La reconnaissance officielle des massacres du 17 octobre est-elle une grande victoire ?
Je considère la formule de François Hollande comme un pas extrêmement important. C’est la fin d’un déni de justice, d’un déni d’Histoire. En même temps, l’exigence de beaucoup d’historiens va au-delà de la simple reconnaissance de la violence de la répression, et ils demandent que la notion de crime d’État soit prise en compte. Ne parler que de la violence du 17 octobre 1961, c’est ramener la responsabilité seulement à la police et à son préfet, Maurice Papon.
- Peut-il encore y avoir des zones d’ombre que l’on pourrait découvrir ?
Les travaux des historiens comme ceux de Jean-Luc Einaudi ont fait suffisamment de clarté sur l’ampleur de la répression. Mais j’estime qu’il existe encore une timidité de la part de l’actuel président de la République, il ne prend pas en compte une réalité incontournable : l’État en tant que tel était à l’origine de la demande de couvre-feu. On sait que Papon s’est réuni le 5 octobre avec Michel Debré, alors premier ministre, Pierre Messmer, ministre des Armées, et Roger Frey, ministre de l’Intérieur, et donc forcément avec l’accord du chef de l’État, Charles de Gaulle. C’est cette rencontre qui a décidé de ce couvre-feu et qui a enclenché la répression criminelle. C’est une affaire d’État.
- Comment expliquez-vous que l’État ait mis cinquante et un ans avant de reconnaître les faits ?
La reconnaissance officielle aurait pu se faire pendant les deux septennats de Mitterrand. Je rappelle que le premier à avoir tiré la sonnette d’alarme, c’était Marcel Trillat, au journal télévisé du 17 octobre 19814. Malheureusement, à l’époque, on n’en a pas tenu compte. Quant à la droite, il était hors de question pour elle de désavouer l’attitude de la France. Elle a, au contraire, soit exalté l’œuvre française en Algérie, soit émis un silence prudent devant les crimes commis là-bas. On a assisté plutôt à l’instauration d’un climat de révisionnisme historique, de négationnisme jusqu’au quinquennat de Sarkozy.
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[Ajouté le 22 octobre 2012] – Vidéo de la manifestation du Pont Saint-Michel, le 17 octobre 2012, réalisée par Hubert Rouaud pour l’association des 4acg :
- Propos recueillis par Céline Lussato, le 17 octobre 2012 – Le Nouvel Observateur.
- Extrait d’une interview donnée le 16 octobre 2012 à l’APS :
http://www.aps.dz/Massacres-du-17-octobre-1961-a,66897.html. - Extrait d’une interview à L’Humanité publiée le 19 octobre 2012
- Voir : 4638.