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François Hollande : nous devons encore des excuses au peuple algérien

Lors d'une rencontre avec la presse étrangère, mercredi 10 mai 2006, François Hollande a largement commenté l'actualité française. A propos du colonialisme en Algérie, le premier secrétaire du Parti socialiste français, confirmant son dernier ouvrage1, a déclaré « Nous sommes comptables du passé et responsables de l'avenir. La SFIO a perdu son âme dans la guerre d'Algérie. Elle a ses justifications mais nous devons encore des excuses au peuple algérien. Et nous devrons faire en sorte que cela ne se reproduise plus »

« Nous avons des excuses à présenter au peuple algérien »

Et cela dans un livre à paraître courant mai à Paris sous la forme
d’entretien avec le journaliste Edwy Plenel, ancien directeur de la
rédaction du quotidien du soir le Monde, au titre explicite Devoirs de vérité. François Hollande répondait alors à la question,
particulièrement sensible pour les socialistes français, des positions
prises par la SFIO – ancêtre et matrice de l’actuel PS – en 1956 alors
qu’elle dirigeait le gouvernement dit de « Front républicain » et qui
s’était notamment traduites par le vote de la loi dite « des pouvoirs
spéciaux » qui déléguait les pouvoirs civils à l’armée en Algérie.

« S’il faut que, sur 1956 et les pouvoirs spéciaux, je sois plus
explicite, je le fais ici, au nom du Parti socialiste aujourd’hui. Nous
sommes comptables du passé et responsables de l’avenir. La SFIO a perdu
son âme dans la guerre d’Algérie. Elle a ses justifications mais nous
devons encore des excuses au peuple algérien. Et nous devrons faire en
sorte que cela ne se reproduise plus
». Il faut, à ce sujet, rappeler
que la SFIO et le Front républicain – élus sur un programme dit du
« triptyque : cessez-le-feu, discussions, élections » – avaient abandonné toute velléité de réforme et s’étaient alignés sur les positions des ultras pieds-noirs après ce qui est resté connu comme « la journée des tomates », celle du 6 février 1956 qui avait vu le chef du gouvernement français, Guy Mollet, accueilli par des jets de tomates devant le monument aux morts.

Ce revirement stratégique avait été consacré par la présentation et
l’adoption de la loi dite des pouvoirs spéciaux – avec le soutien des
députés communistes – qui devait donner, avec la promotion de l’armée
– celle notamment des paras du général Massu – au rang d’acteur politique l’un des traits de la guerre française en Algérie.

Cette loi servira ainsi, en particulier dans la capitale, à justifier
les arrestations massives, les exécutions sommaires, la systématisation
de la torture, les viols. C’est cette même armée qui, en mai 1958,sera
au centre des tous les complots algérois qui allaient entraîner – avec la prise du gouvernorat général, la création des comités de salut public – la chute de la IVème république et le retour aux affaires du général de Gaulle, retour adoubé par les dirigeants de La SFIO et particulièrement par son secrétaire général, Guy Mollet.

Ainsi est-ce bien sur une séquence tout à fait décisive de la guerre
d’indépendance algérienne que s’exprime le premier secrétaire du PS et
désigne-t-il aussi clairement – il dit vouloir être explicite – les
responsabilités politiques de la SFIO dans la conduite française de
cette guerre dont il estime, par ailleurs, comme pour mettre un bémol à
ses propos, qu’« elle avait ses justifications » qu’il se garde bien de préciser, l’essentiel restant dans cette première reconnaissance par un parti de gouvernement français et pôle traditionnel de la vie politique française du devoir de « présenter des excuses » au peuple algérien. Il importe alors, pour mesurer toute la portée de la position exprimée par François Hollande, de relever qu’il souligne s’exprimer « au nom du Parti socialiste français » qu’il engage de manière formelle, et tout semble indiquer que cette prise de position pourrait en appeler d’autres dès lors que le premier secrétaire du PS marque, visiblement autant à l’adresse des ses camarades que de l’opinion, que « nous sommes comptables du passé ».

Au-delà même du fait qu’il convient de replacer l’ouvrage de Hollande
dans le contexte d’une précoce et dure campagne pré-présidentielle en
France, il n’est pas sans signification que « les devoirs de vérité »
auxquels s’astreint le premier secrétaire -et peut-être candidat
socialiste à l’élection de 2007- incluent les enjeux de mémoire rappelés à la conscience française, d’abord par la dérangeant courant dit des « indigènes de la République », ensuite plus brutalement par la
subversion des banlieues et qui auront trouvé dans la loi de février
2005 un sulfureux point de fixation.

Les déclinaisons d’un malaise français

Sur ces déclinaisons d’un malaise français, l’ombre portée algérienne
aura été, sur divers registres, prégnante à laquelle les polémiques
informées par les dispositions de la loi de février 2005 donneront une
plus explicite traduction politique. Il n’est pas possible à
l’observateur de ne pas rappeler, au sujet de cette loi, le lapsus
forcément lourd de sens, du vote des sénateurs socialistes – dûment
rappelé par les élus de la majorité UMP à l’origine du texte – qui
signale, à tout le moins, que le refoulement d’une culpabilité
algérienne est à ce point partagé au sein de la classe politique française.

Il ne pouvait échapper au premier responsable du Parti socialiste
français que la loi de février 2005 avait provoqué, en Algérie, une
sérieuse relance d’une demande de repentance française jusque-là
exprimée en termes relativement diplomatiques par le chef de l’Etat
algérien dans son discours devant les députés de l’Assemblée nationale
française en juin 2000 et qui, aujourd’hui, confère pratiquement à la
conditionnalité de toute relance ou refondation des relations entre les
deux pays.

Une rupture avec le passé colonial

Tout se passe alors comme si, le hasard du calendrier y contribuant, la
position de rupture qu’exprime pour la première fois un responsable
politique français de si haut niveau, allait à la rencontre d’une
exigence algérienne, énoncée aussi avec une plus nette clarté, dans le
message du président de la République au colloque de Guelma le 8 mai
dernier. Politiquement, il s’agit bel et bien d’une inflexion importante dans la définition des responsabilités de l’Etat français en Algérie même si elle se limite, pour d’évidentes raisons, à lever le tabou sur la part des socialistes français dans la conduite du conflit. Ce premier pas s’inscrit aussi, aux yeux de François Hollande, dans une perspective politique tant vis-à-vis de la donne intérieure française que de la reconfiguration de relations de coopération avec l’Algérie. Le premier secrétaire du PS – dont il s’était dit dans les milieux proches de la gauche qu’il aurait exprimé le souhait de se rendre en Algérie – légitime aussi sa stigmatisation de la SFIO par le fait que, dit-il, « nous sommes responsables de l’avenir ».

Les Algériens ne pourraient être que confortés dans leur démarche par
les propos de François Hollande qui, sans doute, ne manqueront pas de
relancer d’une manière plus explicite le débat sur les responsabilités
françaises en Algérie dans l’espace public français. Interrogé à ce
sujet, l’historien Benjamin Stora – qui s’est, au passage, étonné de voir quelques titres de la presse algérienne lui faire tenir des propos sans rapport avec les termes de la communication qu’il avait récemment
présentée à Alger – estime qu’« il s’agit d’une rupture franche avec le passé colonial de la SFIO. Cinquante après le vote des pouvoirs spéciaux de mars 1956 qui décide l’intensification de la guerre contre les Algériens, le Parti socialiste, par la voix de son secrétaire général, décide de rompre avec ce passé. La position de Guy Mollet avait entraîné au désastre le socialisme français.
Si bien que pour les jeunes générations, en termes mémoriels, le PS
prend naissance en 1971 au congrès d’Epinay et non en 1905, moment de la proclamation officielle du Parti socialiste. La refondation de 1971
permettait de ne pas réexaminer les positions de chacun dans le drame
colonial, y compris de François Mitterrand. C’est chose faite. Il
fallait être patient.
»

La position de Hollande ne manquera pas de
provoquer diverses réactions, notamment en France, qu’il faudra suivre
avec attention qui marqueront l’évolution de l’opinion française sur des questions qui commandent l’avenir des relations entre les deux pays.

Chaffik Benhacene, La Tribune (Alger), le 13 mai 2006

Sur la reconnaissance par l’Etat français du passé colonial de la France, François Hollande s’est montré à l’aise, rappelant que c’est sous un gouvernement socialiste, celui de Lionel Jospin, que l’appellation guerre d’Algérie a été adoptée à l’Assemblée nationale, à l’initiative de députés socialistes, auxquels se sont joints des communistes et des Verts, et la position de son parti sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005 dont le groupe socialiste avait demandé le retrait. « Nous sommes prêts à ce qu’on dise ce qui s’est passé pendant la guerre d’Algérie. » Faisant allusion à un « traité d’amitié franco-algérien qui tarde à venir », il a estimé que « les uns et les autres devons dire ce qu’a été notre histoire ».

Nadjia BouzeghraneEl Watan, le 13 mai 2006

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