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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024

Francis Jeanson : la question de la torture est indissociable de la question coloniale

"Avant de s'indigner des atrocités commises en Algérie, il faut se demander pourquoi nous avons fait la guerre au peuple algérien et pourquoi nous avons laissé faire des choses qui n'avaient pas de raison d'être." Propos recueillis par Antoine Spire,
publiés dans Le Monde le 28 mai 2001.

En tant qu’ancien animateur d’un réseau d’aide au FLN, que pensez-vous du débat qui s’est engagé autour de l’affaire Aussaresses ? la place prise par ces « révélations » vous donne-t-elle raison quarante ans trop tard ?

  • Je ne sais pas si cela me donne raison, mais je ne comprends pas qu’on pose aujourd’hui la question de la torture sans poser la question de la guerre coloniale. Ce sont deux questions indissociables. On semble dire que, si la guerre avait pu se passer de la torture, elle aurait été justifiée. Pour moi, c’est le contraire. La torture ne pouvait être qu’un des aspects déchirants de cette situation. La vraie question est : pourquoi faisions-nous la guerre au peuple algérien ? Au nom de quels intérêts ? Je constate que, depuis qu’on a ouvert cette boîte de Pandore, la perspective morale l’emporte sur la perspective politique. Tout se passe comme si on voulait dédouaner la politique de guerre coloniale menée pendant des années.

Pourtant le débat incrimine aussi la politique menée par les gouvernements de la IVe République.

  • Mais ce n’est pas la responsabilité de la guerre qu’on incrimine. Ce sont les incidences de cette guerre. J’ai d’ailleurs constaté qu’on n’incrimine pas toutes les conséquences de la guerre. Il y avait aussi les viols, les camps de concentration, qui faisaient partie de la guerre au même titre que la torture. Ce qui compte, à mes yeux, c’est que nous avons mené une politique de colonisation insoutenable. Depuis mai 1945, et les massacres de Sétif, on aurait dû le savoir. La torture n’est pas née de la guerre d’Algérie en 1954. Elle existait avant, par exemple entre 1945 et 1954. De nombreux témoignages, mais aussi des historiens, le confirment. La vraie question, c’est : comment pouvait-on soutenir une colonisation qu’on aurait dû savoir intenable ? Quels intérêts ont été assez puissants pour que l’Etat les soutienne ? Quel lobby a contraint les institutions françaises à maintenir cette politique de colonisation ? A l’époque, si nous avions été de vrais citoyens, nous aurions dû refuser tout ce qui tenait aux intérêts de ce lobby des colons. Nous avons laissé les gouvernements successifs régler les problèmes sans intervenir. Or ce n’était pas fatal. Nous avons démissionné, laissant les véritables intérêts de la nation disparaître face aux exigences du grand colonat algérois.

Certains mettent en cause François Mitterrand, qui était alors ministre de la justice ?

  • Si certaines des phrases ou des déclarations de celui qui fut ministre de la justice en 1957 sont inacceptables, par exemple, « En Algérie, la seule négociation c’est la guerre », faire grief de ces seules déclarations me paraît inutile. La France métropolitaine était incapable de s’opposer à la poursuite de la guerre coloniale, c’est cela l’essentiel. On cherche des boucs émissaires, mais nous n’étions pas de vrais citoyens. Voilà la question qui compte à mes yeux. Nous avons laissé faire des choses qui n’avaient pas de raison d’être. Une part importante de responsabilité revient aux gouvernements successifs qui n’ont pas informé la population des problèmes qui se posaient, du fait de la poursuite de la colonisation. Par exemple, n’est-il pas incroyable qu’il n’y ait pratiquement pas eu de débat à l’Assemblée nationale après Sétif ?

A vous suivre, on comprend que vous et votre réseau avez représenté une certaine France, je dirais presque l’honneur de la France, face à cette démission nationale vis-à-vis du problème de la colonisation.

  • Cela me plairait qu’on le dise, si on le pense, mais il ne s’agit pas de l’honneur de la France. Le problème se situe aujourd’hui. Comment faire pour que progresse la situation sans qu’on relance les vieux débats stériles entre France et Algérie ? Nous, avec le réseau, nous avons fait ce que nous avons pu pour que la France continue à exister au regard de la population algérienne. Mais la question essentielle, c’est aujourd’hui. Comment progresser aujourd’hui ? Qu’on cesse de prendre parti à la place des Algériens ! Pas de prise de position qu’on ne soit en mesure d’assumer ! Nous avons le droit d’analyser les faits mais seuls ceux qui sont sur le terrain peuvent prendre des positions politiques !

[…]1


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