Voilà soixante ans que l’opposant marocain au roi Hassan II, Mehdi Ben Barka, a été enlevé en plein Paris puis assassiné au terme d’une opération impliquant le Maroc, la France, mais aussi Israël…
Avec
- Ronen Bergman, journaliste au New York Times
Les journalistes Stephen Smith et Ronen Bergman livrent les résultats d’une investigation inédite sur cette affaire, enrichie par la déclassification de documents longtemps tenus secrets, dans un ouvrage intitulé L’affaire Ben Barka, la fin des secrets, paru le 29 octobre 2025 chez Grasset. Alors que l’enlèvement survient dans un contexte de fortes tensions entre Israël et les pays arabes, que sait-on de l’ampleur de l’implication du Mossad dans cette affaire ? Et que révèle-t-elle des liens si particuliers, à l’époque, entre Israël et le royaume du Maroc ?
Une affaire ancienne, mais toujours au cœur des enjeux contemporains
Ronen Bergman rappelle que l’enlèvement et l’assassinat de Mehdi Ben Barka en 1965 n’appartiennent pas seulement au passé. Aujourd’hui encore, « deux juges d’instruction travaillent en parallèle » sur des dossiers liés aux relations secrètes entre la France, le Maroc et Israël. Il montre notamment comment l’affaire Ben Barka éclaire une autre affaire actuelle : Pegasus, ce logiciel israélien de cyberespionnage capable de « rentrer dans tous les cellulaires ».
Ce logiciel, acheté par le Maroc, aurait été utilisé pour « écouter des ministres français, peut-être même le président de la République » ainsi que des opposants et journalistes marocains, notamment en France. Bergman souligne que les liens entre les services de renseignement marocains et israéliens ne sont pas nouveaux. L’affaire est donc actuelle, car elle permet de comprendre les alliances, les surveillances et les dépendances d’aujourd’hui.
Un meurtre d’État aux implications internationales
Mehdi Ben Barka était alors une figure majeure du tiers-mondisme et de l’opposition démocratique. Pour certains, il représentait « le soleil levant des droits humains, de la lutte contre les tyrannies ». Il est enlevé près de la brasserie Lipp à Paris. L’affaire met immédiatement en difficulté les plus hautes autorités françaises. Grâce à l’accès à des documents déclassifiés, Bergman affirme que l’enlèvement s’est transformé en assassinat sur ordre royal marocain : « Le chef du service de renseignement marocain est arrivé en personne à Paris » et « a noyé Mehdi Ben Barka dans une baignoire », avant de photographier son corps pour prouver l’exécution de la mission.
Le rôle d’Israël n’est pas motivé par une hostilité envers Ben Barka : « Israël n’avait rien contre Ben Barka » explique le journaliste. Le soutien au Maroc découle de liens stratégiques secrets, notamment contre l’Égypte. Ce partenariat va jusqu’à permettre au Mossad de « sonoriser les chambres des dirigeants arabes » lors du sommet de la Ligue arabe en 1965, fournissant des renseignements utiles à Israël avant la guerre des Six Jours.
Cette alliance se prolongera même après, de manière paradoxale : lors de la guerre du Kippour, alors que le Maroc envoie des soldats contre Israël, Hassan II demande : « Ne leur tirez pas dessus », Israël accepte, preuve d’une relation stratégique entre les deux pays.