L’acceptation du Comité des droits de l’homme des Nations unies des plaintes de familles de deux Algériens portés disparus pendant les années de braise, en l’occurrence Salah Saker et Riad Boucherf, et les constatations qu’il a faites sur non seulement la responsabilité mais aussi la culpabilité de l’Etat algérien dans la disparition de ces deux individus ouvrent la voie à d’autres familles se trouvant dans la même situation de porter leurs affaires auprès de cette instance onusienne.
L’association SOS disparus, qui a tenu hier une conférence de presse à Alger, a considéré la sentence prononcée par cet organisme mondial des droits de l’homme à l’égard de l’Etat algérien comme « un précédent ». Dans son rapport rendu public le 30 mars dernier, le comité a effectivement souligné « les graves violations » des droits des victimes des disparitions forcées. C’est pour la première fois que cet organisme, composé de 18 experts indépendants, condamne l’Etat algérien pour atteinte aux dispositions du pacte international relatif aux droits civils et politiques qu’il a ratifié. Rejetant les arguments des autorités algériennes pour manque de consistance, l’instance onusienne demande à l’Etat algérien de diligenter des enquêtes approfondies sur les conditions de disparition de Salah et Riad, de les libérer s’ils sont toujours en vie et de poursuivre les auteurs en justice, les juger et les punir, comme il est souligné dans le rapport de constatations. Le comité onusien souhaite « recevoir de l’Etat algérien, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations ».
L’intervention du comité dans ces deux affaires est rendue possible grâce à la ratification par l’Algérie du pacte international sur les droits civils et politiques. L’avocat Sofiane Chouiter, qui a porté en février 2000 l’affaire de la famille Saker devant le comité onusien, a indiqué que les familles Saker et Boucherf n’ont saisi cette instance que pour faire valoir un droit reconnu par leur Etat. Après le succès des deux premières plaintes, Me Chouiter se montre « optimiste » quant à d’autres plaintes qui ont été déposées récemment auprès de la même instance. Par là, il invite d’autres familles à saisir cet organisme afin de faire valoir leurs droits. « C’est pareil même pour les autres atteintes aux droits de l’homme », lâche-t-il au cours de la conférence de presse. Selon lui, en demandant à l’Algérie d’engager des poursuites pénales contre les auteurs des disparitions forcées, le comité remet en cause l’ordonnance du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la charte pour la paix et la réconciliation nationale qui interdit tout recours à la justice des familles victimes de « la tragédie nationale », selon bien entendu le jargon gouvernemental.
A ce propos, Me Amine Sidhoum a évoqué « l’impunité » consacrée dans la charte. « Pour percevoir leurs indemnités, les familles des disparus sont contraintes de présenter un certificat de constatation établi par les services de sécurité et dans lequel ces derniers attestent que la personne recherchée a été tuée dans une attaque contre un groupe terroriste. Or les familles ont même des témoins que leurs enfants (ou proches) ont été enlevés par des policiers en civil », atteste-t-il, avant d’ajouter que « le but recherché est de classer rapidement et définitivement ce lourd dossier des disparus ». Il a indiqué en outre que la charte est en porte-à-faux avec non seulement la constitution mais aussi les conventions internationales des droits de l’homme. Sos disparus et le Collectif des familles des disparus en Algérie (CFDA) ont déjà saisi le chef de l’Etat par rapport à cette contradiction le 28 mars dernier. Un délai de trois mois lui a été accordé. « Si, d’ici le 28 du mois courant, nous ne recevons aucune réponse, nous allons saisir le conseil constitutionnel. Dans le cas où ce dernier ne réagirait pas, nous allons recourir à l’ONU », explique Me Nacéra Dutour du CFDA.
M. A. O., El Watan, 19 juin 2006