La silhouette de l’émir Abdelkader trône sur les bords de Loire
par Martine Le Coz, publié dans La Nouvelle République le 30 janvier 2022.
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Une façon d’honorer ce modèle de tolérance, érigé en symbole de réconciliation. Personnage charismatique, mystique et chef de guerre, l’émir Abdelkader a durablement marqué la ville d’Amboise. Le retentissement de son séjour dépasse largement les murs du château, dans lequel il a été emprisonné. Le 5 février 2022, une sculpture lui rendant hommage sera inaugurée sur les bords de Loire, un hommage qui répond à une proposition de l’historien Benjamin Stora. Gros plan sur ce personnage devenu un symbole de tolérance avec l’écrivaine amboisienne Martine Le Coz, autrice de Jardin d’Orient, aux éditions Michalon.
Qui était l’émir Abdelkader ?
« C’est une personne d’une telle profondeur, d’une grande largesse d’esprit et de cœur. Il est considéré comme le père de la nation algérienne. Vers 1830, les Français s’installent en Algérie, à la suite des Ottomans. L’émir était tout jeune, il n’avait pas la vocation d’être guerrier : c’est d’abord un mystique, issu d’une confrérie soufie. L’émir avait une personnalité très forte, il dégageait une telle présence qu’il a été choisi pour prendre la tête de la résistance aux Français. Il a écouté son devoir et mené la résistance très vaillamment, pendant quinze ans. »
Comment est-il arrivé à Amboise ?
« La légende dit qu’une nuit, il a reçu une vision d’Abraham, qui lui a dit que les combats étaient tellement sanglants qu’il était temps pour lui de se tourner vers le grand djihad, le combat sur soi-même. Il s’est rendu aux Français, a donné son cheval noir et son épée. Il a simplement demandé la permission de pouvoir se retirer en terre d’islam. Les Français ont promis, mais ont repris leur promesse. Il s’est retrouvé enfermé au Fort Lamalgue à Toulon, puis dans le château de Pau, et enfin dans le château Amboise, pour l’éloigner encore de sa terre natale. »
Que sait-on de son séjour à Amboise ?
« Il a été emprisonné pendant quatre années dans le château, qui était alors désaffecté. Il est arrivé en 1848 à Amboise avec une centaine de personnes : sa mère, ses frères, des femmes, des dignitaires, des serviteurs, des enfants. Au début, il était assigné à résidence, mais il était très respecté par les gens qui en avaient la garde, qui lui reconnaissaient sa droiture et sa grande tolérance. Il a eu pour ami le curé d’Amboise, avec qui il échangeait beaucoup. L’émir a d’ailleurs été autorisé à pratiquer sa foi comme il l’entendait. On a même permis que l’appel à la prière soit lancé cinq fois par jour du haut d’une tour du château. À Amboise, on entendait donc les cloches et l’appel à la prière. Mais le château était glacial et insalubre, Abdelkader et les siens avaient froid. Les femmes refusaient les soins des médecins. Plusieurs personnes sont mortes durant cette détention. En 1852, Napoléon III est venu lui-même libérer l’émir et les siens. Il est d’abord allé en Turquie, puis en Syrie. Il voulait mourir à Damas. »
Il aimait se promener sur les bords de Loire…
« Les deux premières années, il est resté replié sur lui-même. Il refusait de sortir, en réaction au non-respect de la promesse faite par la France. Il a reçu la visite de beaucoup de personnes de la région et de personnalités qui se sont mobilisées pour sa libération. Puis il a eu le droit de sortir en étant escorté. Il y a des souvenirs d’habitants d’Amboise, dont les grands-parents leur ont raconté qu’ils avaient aperçu l’émir se promener dans les vignes. Il allait aussi à Limeray, il admirait les trains. Certains ont été marqués par l’image de la silhouette blanche de l’émir dans son burnous. »
En quoi a-t-il marqué l’histoire d’Amboise ?
« Ce qui frappe, c’est la présence d’un homme exemplaire, d’une telle grandeur d’âme. S’il y a une personne lumineuse à Amboise, c’est lui. »
Sur la sculpture d’Amboise découpée à la disqueuse,
voir cet article du Monde :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/02/06/a-amboise-vandalisme-memoriel-contre-la-statue-de-l-emir-abdelkader_6112501_3212.html?xtor=EPR-32280629-[a-la-une]-20220206-[zone_edito_2_titre_2]&M_BT=36713593439351
Exposition itinérante
diffusée par l’Association Ancrages
à Marseille et ailleurs
avec le soutien de histoirecoloniale.net
Le séjour d’Abd-el-Kader à Toulon, sa quarantaine à l’hôpital maritime du Lazaret, puis et sa détention au Fort Lamalgue, sont insuffisamment connues et méritent d’être situées à leur juste place dans l’évolution intellectuelle de l’émir.
L’émir est vaincu, à la merci de la France qui a trahi sa parole. Mais Abd-el-kader est sorti grandi de cette épreuve durant ses quatre mois passés à Toulon.
« Abd El-Kader, Héros des deux rives » est une exposition réalisée en 2004, à l’initiative de la LDH de Toulon et en particulier M. François Nadiras, et de Mme. Andrée Bensoussan, avec l’aide l’association Histoire et Patrimoine seynois.
En 2022, l’association Ancrages – a souhaité la rééditer et la diffuser à Marseille, dans le contexte de célébration du soixantenaire de l’indépendance de l’Algérie, le portrait de l’Emir Abd El-Kader permet de revenir sur les conditions de la conquête coloniale et sur la figure de résistance d’un homme au parcours emblématique.
Opposant au général Bugeaud et ses pratiques cruelles en direction des populations civiles, l’émir Abd-el-Kader est principalement présenté comme chef militaire. Il naît près de la ville de Mascara en 1808 (Ouest algérien), d’une famille de l’aristocratie religieuse descendante de la tribu berbères des Beni-Ifferen et affiliée à la confrérie soufie Qadiriyya. Il se retrouve de façon inattendue à mener une campagne militaire au cœur des conflits méditerranéens et coloniaux.
Il s’engage contre la conquête française qui passe alors par de nouvelles stratégies sous les ordres de Bugeaud. Des « enfumades » de populations civiles en font partie. Les razzias, ou politique de la terre brûlée, consistent à brûler les terres, le bétail et les maisons des populations locales, suivie de la confiscation des terres leur appartenant pour les octroyer aux colons.
Autour de ce portrait multiple de l’Emir Abd-el-Kader (1808-1883), l’enjeu de l’exposition est de :
• sensibiliser à la résistance civile et populaire à la conquête coloniale de l’empire français,
• favoriser la compréhension du contexte historique, des motivations des puissances coloniales,
• permettre de comprendre les héritages contemporains du système colonial en termes de discriminations (code de l’indigénat, statut de « sujet de l’empire », de représentations « raciales » et d’empreintes patrimoniales, statuaires, odonymiques, urbanistiques… et plus largement, la façon dont la colonisation s’oppose aux valeurs républicaines issues de la Révolution française.
Cette exposition est diffusée en partenariat avec la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) Toulon-La Seyne et l’historien Gilles Manceron, représentant du site histoirecoloniale.net.
Les organismes prêteurs des sources ont été la Marine nationale, le service historique de la marine de Toulon, le Musée du Vieux-Toulon, les Archives municipales de Toulon, Les Archives Départementales du Var, les Archives Nationales d’Outre-Mer d’Aix-en-Provence (ANOM), le Musée Balaguier, la DRAC du Var. La bibliothèque municipale a mis à disposition le fonds Philibert, fonds sur l’histoire et les civilisations du Maghreb.
Nombre des panneaux : 12.
Type : panneaux auto-portés.
Mise en place et démontage : A la charge exclusive de l’association Ancrages.
Pour tout public, des ateliers de médiation culturelle ludiques sont proposés aux plus jeunes.
Pour accueillir cette exposition dans vos locaux, s’adresser à :
Khadija ROUL,
Chargée de médiation culturelle
07 67 98 82 09 / 09 50 74 04 67
Extrait de l’introduction à l’édition de 1977
par René R. Khawam
« En fait cette Lettre aux Français (dont nous donnons ici le texte intégral après en avoir établi l’édition critique en arabe en nous reportant aux manuscrits originaux) fut adressée non pas au prince-président, devenu entre temps « empereur des Français », mais à un certain Reinaud, président de la Société asiatique et membre de l’Institut. Ce détail est important. Il montre que l’émir s’adressait non pas à des gouvernants mais bien au peuple français dans son ensemble par l’intermédiaire de ses représentants culturels, ainsi que le veut la coutume arabe. »