Le 14 août un député UMP dénonçait l’expulsion de Roms à Montreuil (Seine-Saint-Denis) : «Peut-on être un député de la République et laisser faire cela sans réagir quand on découvre que les forces de l’ordre, intervenant très tôt le matin, trient les familles, les hommes d’un côté, les femmes et enfants de l’autre, avec menace de séparer les mères et les enfants ?». Il appelait à la démission du préfet, et il poursuivait : «tous les républicains ne pourront que condamner ces méthodes qui rappellent les rafles pendant la guerre»1.
Quelques jours plus tard, le président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) déclarait : « Les événements qui se sont produits récemment dans plusieurs pays européens, et tout dernièrement les évacuations de camps roms en France et les expulsions de Roms de France et d’Allemagne […] risquent fort d’attiser les sentiments racistes et xénophobes en Europe »2.
La France avait également été épinglée par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU (CERD) qui, après avoir dénoncé le débat sur l’identité nationale, la politique du gouvernement envers les Roms et les “Français d’origine étrangère”, avait mis en cause l’absence d’une «véritable volonté politique» pour lutter contre une «recrudescence notable du racisme et de la xénophobie» dans le pays3.
Aix-en-Provence : destruction d’un camp rom
Des bulldozers ont détruit hier une dizaine de caravanes qui hébergeaient des Roms sur un terrain municipal
Ils étaient une cinquantaine à vivre là. Mais la mairie d’Aix-en-Provence a obtenu le démantèlement du camp pour récupérer son terrain, traverse de la Vierge Noire.
Police nationale, police communale,Police Aux Frontières, services de l’Office de l’Immigration et de l’Intégration, services de la Préfecture… ils étaient une bonne trentaine à s’être déplacés pour la destruction de ces logements de fortune. Tout le monde savait pourtant que les occupants en sont partis depuis une quinzaine de jours.
Cette opération est dans le droit fil des dernières déclarations de Nicolas Sarkozy concernant sa volonté de renvoyer en Roumanie et en Bulgarie les Roms en situation irrégulière.
Des déclarations suivies de près par l’Europe. La commissaire européenne à la Justice, aux Droits fondamentaux et à la Citoyenneté a rappelé que « la France doit respecter les règles concernant la protection des citoyens européens », auxquels font partie les Roms.
Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur a répliqué qu’il ne s’agit que « d’appliquer les décisions de l’autorité judiciaire ».
Pour l’opposition, il s’agit d »une « stigmatisation dans le but de récupérer les voix du Front National ».
Renvoyer des Roms chez eux : une démarche dont, d’ordinaire, les Etats ne se vantent pas
Eric Besson a raison. Il n’y a « rien d’exceptionnel » dans ce vol vers Bucarest, qui devait rapatrier, jeudi 19 août, quelque 80 Roms en situation irrégulière vers la Roumanie. Le ministre de l’immigration, relativisant les rodomontades de son collègue de l’intérieur, Brice Hortefeux, a d’ailleurs souligné le caractère « volontaire » de ces retours.
Vingt-cinq vols de ce type ont déjà été organisés, cette année, vers la Roumanie et la Bulgarie. En 2009, ce sont près de 11 000 personnes qui ont été renvoyées, à destination, principalement, de Bucarest et, dans une moindre mesure, de Sofia. Soit « une progression de plus de 20 % par rapport à 2008 », indique l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), chargé de gérer les « aides au retour ».
Rien de nouveau, donc, dans cette opération archi-médiatisée. Et rien de très français : l’Allemagne, l’Italie et la Belgique ont fait de même, dans le passé – et continuent. « Mais d’habitude, on ne s’en vante pas », note le professeur Alain Reyniers, qui enseigne l’anthropologie à l’université catholique de Louvain (Belgique) et dirige, à Paris, la revue trimestrielle Etudes tsiganes. La France n’est d’ailleurs pas le pays d’Europe où les Roms sont les plus nombreux : qu’ils soient roumains, bulgares ou ressortissants d’autres pays de l’ancien bloc de l’Est (notamment de l’ex-Yougoslavie), ils seraient 10 000 à 15 000 à piétiner dans l’Hexagone. Contre environ 22 000 en Belgique. Leur nombre serait plus élevé en Italie et en Allemagne. Difficile à savoir, en vérité : ils bougent, déménageant sans cesse, au gré des expulsions. S’ils sont nomades, c’est souvent malgré eux.
« EUROPÉENS LIGHT »
Car ceux qu’on voit, à la lisière des bourgs ou sous les bretelles d’autoroute, version nouvelle d’Affreux, sales et méchants, le film d’Ettore Scola, n’ont pas seulement la particularité d’être pauvres. « Ils constituent, sur le plan des représentations collectives, une population illégitime : les Roms ne sont « pas du coin », alors même qu’ils sont, depuis des siècles, attachés à des régions ou des localités », souligne Alain Reyniers. Cette « illégitimité » pèse plus lourd que tout. C’est jouer avec le feu que la conforter. Il y a « danger à reproduire une catégorie d’apatrides, ce que le droit international interdit », ajoute l’historienne Henriette Asseo, professeure agrégée à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).
La Roumanie, où les Tsiganes furent esclaves entre le XIVe et le XIXe siècle, n’a pas chassé manu militari ces pauvres parmi les pauvres qui s’installent à nos portes. D’ailleurs, l’immense majorité des Roms de Roumanie a choisi d’y rester. Ceux qui émigrent sont une petite minorité.
Les chasser ? Selon le collectif d’associations Romeurope, seulement 10 % des Roms expulsés de leurs campements acceptent l’aide au retour – ce qui ne les empêche pas de revenir en France au bout de quelques mois.
Les mesures transitoires, adoptées par une dizaine d’Etats, dont la France, limitent l’accès au travail et la durée de séjour des migrants roumains et bulgares. Ces « Européens light », comme ils s’appellent eux-mêmes, ne le resteront pas éternellement : le 31 décembre 2013, au plus tard, ces restrictions tomberont.
En attendant, la Commission européenne a rappelé que la France doit respecter les règles sur la liberté de circulation et d’établissement des citoyens européens. Bruxelles suit très attentivement la politique menée dans l’Hexagone en ce mois d’août. « Si un Etat procède à une expulsion, il faut voir si c’est une décision proportionnée. Il faut regarder chaque cas. On ne peut pas prendre une décision sur toute une population », a déclaré la porte-parole du commissaire européen à la justice, Viviane Reding. La responsabilité de l’Union européenne, comme celle de chacun des Etats membres, est engagée.
Le problème de fond reste de permettre aux douze millions de Roms européens de sortir de l’ornière. La Bulgarie et la Roumanie ne sont sans doute pas les pays les mieux armés pour mener à bien cette tâche – du moins à court terme. Alors, à chacun d’en prendre sa part…
- Il s’agit de Jean-Pierre Grand, député UMP villepiniste de l’Hérault, dont Le Point a rapporté les propos : http://www.lepoint.fr/politique/demantelement-des-camps-de-roms-grand-ump-cette-politique-tourne-a-l-ignoble-15-08-2010-1225308_20.php
- «Le Président de l’APCE préoccupé par la situation des Roms en Europe» : communiqué de presse du 20 août.
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