Camus. L’expo de la discorde
L’interview de Michel Onfray dans El Watan Week-end, le 10 août dernier1, a fini d’exacerber la controverse autour de l’exposition Camus annoncée pour la manifestation «Marseille-Provence 2013, capitale de la culture européenne», confiée puis retirée à Benjamin Stora au profit du médiatique philosophe français…
«Le projet d’exposition ‘‘Camus l’homme révolté’’ sera débattu en conseil d’administration avec nos différents partenaires le 15 octobre. D’ici là, nous ne ferons aucun commentaire.» Dans les bureaux de «Marseille-Provence 2013, capitale de la culture européenne», les consignes sont claires : pas question d’alimenter davantage la polémique de l’été sur ce qu’on pourrait appeler «l’affaire Stora-Onfray». Interrogés sur l’éviction de l’historien Benjamin Stora – qu’ils étaient pourtant les premiers à avoir sollicité pour monter une exposition sur l’écrivain le 7 novembre 2013 à l’occasion du centenaire de sa naissance – et sur la nomination du philosophe Michel Onfray comme nouveau commissaire, les organisateurs n’ont pas souhaité s’exprimer.
D’autant que les déclarations de la ministre française de la Culture, fin août, apparaissent comme un nouveau rebondissement. Aurélie Filippetti ayant annoncé que son ministère ne financerait pas l’exposition – qui coûterait plus de 400 000 euros – en précisant : «Benjamin Stora est un de nos meilleurs connaisseurs de l’Algérie. Il aurait pu donner un éclairage passionnant sur les rapports de Camus avec l’Algérie.» Une forme de soutien à l’historien qui ne semble pas du goût de Michel Onfray : «Il faut donc conclure que la subvention n’était donc pas pour le projet Camus mais pour un commissaire d’exposition.»
Annulée
Stora, encore mécontent de s’être vu retirer un projet sur lequel il travaillait depuis trois ans, préfère dénoncer les faits : «Fin avril, Marseille-Provence 2013 m’appelle pour me dire que tout est très compliqué, qu’ils ont des problèmes, qu’ils sont pressés et que l’exposition est annulée, rappelle-t-il. Mais fin juin, j’apprends en lisant le Monde que Michel Onfray réfléchit à la proposition qui lui a été faite de devenir commissaire de l’exposition sur Camus ! Ce qui n’était pas possible avec moi est devenu possible trois mois plus tard ?Pire : je m’aperçois que Marseille-Provence 2013, qui m’assurait que tout cela n’était qu’une affaire entre la mairie d’Aix-en-Provence et Michel Onfray, mettra finalement son logo sur l’événement !» Pour certains artistes marseillais, membres de MP 2013 et militants de gauche qui préfèrent garder l’anonymat, cela ne fait pas de doute : les dessous de ce débarquement sont politiques. Alain Hayot, délégué national du PCF à la culture, a ainsi publié un communiqué pour dénoncer «un acte de censure», «une chasse aux sorcières poursuivie avec ténacité par la mairie d’Aix-en-Provence, principale partenaire de MP 2013 pour ce projet»2.
«Benjamin Stora, après d’autres, est victime des forces occultes qui dans cette ville combattent avec acharnement tous ceux qui ont soutenu le peuple algérien dans son combat pour sa liberté et son indépendance.» Comprendre : la communauté des rapatriés de la ville, pas très portée sur Stora et suffisamment influente pour peser sur les décisions de la mairie. Horiya Mekrelouf, présidente de la fédération des Bouches-du-Rhône du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples accuse ainsi la maire UMP d’Aix (UMP) et présidente de la communauté du pays d’Aix Maryse Joissains-Masini, de vouloir «flatter une partie de son électorat, celle des anciens partisans nostalgiques de l’Algérie française et des anciens de l’OAS, mouvement qui a piétiné les valeurs de la République et qui 50 ans après, continue à exprimer la haine de l’autre.3» Maryse Joissains-Masini n’aurait, par ailleurs, pas intérêt à se fâcher avec Catherine Camus, propriétaire du fonds d’archives Albert Camus, qui reproche à Stora un manque d’assiduité.
Electoralisme
«Depuis un an, je n’avais plus de nouvelles. Or, nous sommes à une date limite. J’ai besoin de savoir quels documents il leur faut et ce que je pourrais proposer à d’autres», a-t-elle déclaré à l’AFP. Ce que Michel Onfray nous confirme : «C’est Catherine Camus qui a décidé de lui retirer son crédit – après avoir donné son accord dans un premier temps. Elle a ses raisons qu’elle ne souhaite pas donner publiquement – mais après avoir pris toutefois assez de gens à témoin pour qu’on sache qu’elle lui reproche de n’envisager dans cette exposition que la question des rapports entre Camus et l’Algérie.» Des accusations qui font sourire l’historien. «A partir du moment où Marseille-Provence m’a signifié qu’ils étaient pressés, Jean-Baptiste Peretié, avec qui j’ai travaillé sur le scénario, et moi même avons envoyé tous les documents dans les quinze jours qui ont suivi. Je reconnais avoir été très pris par l’année du cinquantenaire de l’indépendance mais nous n’étions vraiment pas en retard !»
Selon Michel Onfray en tout cas, il ne saurait être question de politique. «Pourquoi faut-il qu’aujourd’hui la couleur politique de la municipalité devienne problématique ? Sinon parce qu’on me fait personnellement le mauvais procès de prétendre que je serais le candidat, comme il est clairement dit ici ou là, de l’extrême droite, de l’OAS, des petits blancs, du colonialisme, de l’Algérie française !» Et le philosophe d’avancer que si l’exposition Camus organisée par Stora avait été maintenue, elle l’aurait été à Aix dont «la couleur de la municipalité n’a pas changé depuis que Catherine Camus lui a retiré sa confiance !» Faux, répond l’historien qui rappelle qu’au début, «l’exposition –commandée par MP 2013 et pas par la mairie d’Aix ! – devait se tenir à Marseille. Mais il faut bien comprendre que l’héritage de Camus fait toujours l’objet de disputes [le Centre de documentation Albert Camus se trouve à Aix, ndlr]. La mairie d’Aix s’est imposée au fur et à mesure jusqu’à ce qu’elle obtienne que l’expo soit hébergée chez elle». Et de conclure : «Onfray ne veut pas reconnaître qu’il y a eu éviction mais il doit s’expliquer avec sa propre conscience. Pas avec moi.»
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Chronologie :
- 2009 – Benjamin Stora signe un contrat avec Marseille-Provence 2013.
Il doit écrire un scénario pour une exposition sur Camus qui doit se tenir le 7 novembre 2013 à Marseille.
- 2010 – Dépôt du scénario, validé par Marseille-Provence 2013, la mairie d’Aix-en-Provence et Catherine Camus.
- Avril 2012 – Marseille-Provence 2013 annule l’exposition.
- Juillet 2012 – La maire (UMP) d’Aix-en-Provence et présidente de la communauté du pays d’Aix (CPA), Maryse Joissains Masini, demande à Michel Onfray, auteur de L’ordre libertaire : la vie philosophique d’Albert Camus, de devenir commissaire d’un nouveau projet d’exposition qui se tiendra finalement à Aix.
- Août 2012 – La ministre française de la Culture, Aurélie Filipetti, annonce qu’elle ne financera pas l’exposition.
- http://www.elwatan.com/culture/camus-n-a-jamais-dit-oui-a-l-ordre-colonial-10-08-2012-181498_113.php.
- [Note de LDH-Toulon] – Référence : http://www.mediaterranee.com/3042012-benjamin-stora-commissaire-indesirable-de-lexposition-camus-le-pcf-denonce-un-acte-politique.
- [Note de LDH-Toulon] – Référence : http://www.millebabords.org/spip.php?article21353.