8. Pour réunir et non diviser, définir une architecture institutionnelle appropriée
Le cas […] de Montredon Labessonie, comme l’exposition réalisée à Aix en Provence, ou encore la réalisation de la cité de l’immigration, suggèrent que les divergences d’interprétation et les conflits mémoriels peuvent être sublimés si un travail d’analyse rigoureux et honnête est associé à un dialogue constructif avec les acteurs, et qu’une éthique de la discussion puisse être définie et respectée. L’une des formes modernes de la dénégation est en effet de rejeter dans le camp des « révisionnistes », voir des « falso-révisionnistes », tous ceux dont la vision de l’histoire n’est pas conforme à celle que l‘on voudrait imposer. Vomir de tels propos fait partie des usages à proscrire si l’on souhaite sortir de la guerre des mémoires algériennes : d’abord parce que ce type d’injures alimente les conflits mémoriels que l’on souhaiterait dépasser, ensuite parce qu’elles n’ont pas leur place dans le cadre d’une discussion argumentée et raisonnée.
L’expérience du Conservatoire de la guerre d’Algérie réalisé dans le Tarn montre
qu’il est possible de travailler avec des représentants des anciens combattants dont les tendances politiques étaient très disparates, puisqu’elles allaient du parti
communiste à la droite républicaine traditionnelle. Bien entendu, la cas de Perpignan est plus complexe, puisque plusieurs types d’acteurs — la municipalité, le Cercle
algérianiste, et le collectif des opposants au Musée… — sont impliqués, et qu’aucun
chercheur ne voudrait individuellement servir de caution scientifique à un projet qui ne saurait faire consensus. C’est pourquoi, il convient aussi de définir une possible architecture institutionnelle appropriée, en s’appuyant sur des projets existant,
comme celui du Mémorial de Rivesaltes, où, parmi plusieurs autres commissions, deux
structures coexistent :
- une commission mémoire, où les associations sont représentées dans leur
diversité, débattent, formulent des revendications. L’enjeu est fondamental dans la
mesure où le projet a été impulsé au sein de la société civile, suite au refus, formulé en 1997, de voir disparaître un site qui permettait d’évoquer l’histoire croisée de l’Etat et de plusieurs groupes d’individus ayant séjourné, dans des conditions
diverses, dans le camp de Rivesaltes.
- un conseil scientifique, avec à sa tête un professeur réputé pour ses
compétences scientifiques, et d’autres universitaires dont la diversité des travaux autorise de s’interroger en détail sur un camp qui a tour a tour accueilli des
républicains espagnols, des juifs, et des harkis. C’est ledit conseil qui concentre
l’essentiel des pouvoirs de décisions, même s’il n’est pas le seul architecte ou maître d’oeuvre du projet.
Une architecture institutionnelle semblable pourrait être adoptée pour réaliser un site documentaire et muséographique sur l’Algérie à Perpignan. Elle permettrait en effet de concilier plusieurs exigences qui, faute d’une répartition adéquate des taches, risquent de demeurer contradictoires. On résume ici nos proposition à partir
de trois suggestions.
- Il s’agit d’abord donner la parole aux associations, qui, en tant que
représentants de segments de la société civile, doivent pouvoir formuler des
revendications. De la sorte, le Cercle algérianiste aurait bien entendu vocation à
participer à un projet auquel il demeure légitimement attaché. Mais, au delà, il
convient, d’une part, que d’autres associations représentants les pieds–noirs soient
invitées, pour ne point alimenter l’illusion d’une perception « univoque » ou
« moniste » à propos d’un groupe d’individus qui est aussi représenté par des
associations comme « Coup de soleil » (dont l’une des priorités est d’organiser le
salon « Maghreb des livres »), de façon à réunir, parmi d’autres, des auteurs français
et algériens ; et, d’autre part, il convient de consulter d’autres associations,
représentant les autres groupes d’individus impliqués par l’Algérie, ainsi que le collectif des opposants au projet. La fécondité du dialogue suppose de ne point
écarter la diversité des acteurs et des points de vue, qui pourraient s’exprimer au sein
d’une commission mémoire et société civile – parmi d’autres appellations possibles. - Il s’agit également d’utiliser les compétences de professionnels reconnus par leurs travaux, en formant un conseil scientifique présidé par un universitaire qui aurait pour mission de s’entourer des spécialistes de son choix, et en premier lieu de travailler, après avoir pris connaissance des différentes revendications mémorielles et civiques, à la réalisation d’une exposition permanente sur l’Algérie. Ce conseil
pourrait également travailler à proposer des expositions temporaires, des
conférences, à définir des pratiques de collecte et d’archivage, à proposer des
références bibliographiques et des documents destinés à nourrir un centre de
documentation multimédia. Seul un conseil scientifique dont la qualité scientifique est indiscutable, et dont l’autonomie comme les pouvoirs de décision, sont garantis,
peut, au côté de divers représentants du monde associatif et des administrations,
participer à la conduite de cette aventure périlleuse, en prenant des décisions
collégiales. - La communication entre ces deux instances et la réalisation pratique des travaux pourrait être assurée par une instance telle qu’une commission de pilotage,
composée de l’administration municipale élargie à d’autres experts, par exemple enpuisant dans le personnel investi dans le pilotage d’autres projets (on pense au Mémorial de Rivesaltes, pour des questions de proximité, mais sans exclusive), ou dans un autre cadre à définir. Cette commission pourrait recruter le personnel technique (infographiste, etc…) indispensable à la réalisation du projet — personnel dont le
travail devrait être défini et périodiquement supervisé par le conseil scientifique.
Signataires :
Raphaëlle BRANCHE, Jean Robert HENRY, Jean–Charles JAUFFRET,
Claude LIAUZU1, Gilbert MEYNIER, Valérie MORIN, Guy PERVILLE, Eric
SAVARESE, Yann SCIOLDO–ZURCHER, Benjamin STORA, Sylvie THENAULT.