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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

En finir avec les contrôles au faciès

Le ministre de l'Immigration Eric Besson a reconnu ce matin [mercredi 9 décembre 2009] sur RTL que les «contrôles au faciès» des jeunes étaient une «réalité» en France, soulignant cependant le «républicanisme» de la majorité des policiers, gendarmes et forces de sécurité. La prise de position d'Eric Besson survient au lendemain d'un colloque organisé par le collectif «Police + Citoyens» au cours duquel le témoignage d'un étudiant qui déclare avoir été victime d'injures racistes de la part de policiers le 18 novembre dernier a été évoqué – confirmant « la discrimination au faciès que subissent quotidiennement des milliers de Français ou de présumés étrangers, lors des contrôles de police». Le collectif demande au gouvernement d'«agir pour en finir» avec ces contrôles en instituant des attestations de contrôles policiers, et il lance une campagne en ce sens. En juin 2009, une étude sur les contrôles d'identité policiers à Paris, financée par l'Open Society Institute, avait montré que ces opérations se fondent principalement sur «le profilage ethnique» pour identifier des personnes suspectes, et non sur un comportement suspect. Un fondement non seulement discriminatoire, mais inefficace et contre-productif, selon de nombreux rapports.
[Mise en ligne le 9 décembre 2009, complétée le 10 décembre]

Le collectif « Police + Citoyens », mis en place à l’initiative du Conseil représentatif des associations noires (Cran), de la LDH, d’AC/Le feu, de Hui Ji et de Banlieues Actives, a organisé, en partenariat avec l’Open Society Justice Initiative et la Maison de l’Europe, une rencontre-débat, mardi 8 décembre 2009, sur le thème 1 :

Une police au service de tous les citoyens : les attestations de contrôle policier en Europe et aux Etats-Unis,

campagne nationale pour sa mise en œuvre en France

A cette occasion, une pétition a été lancée :

Pétition

Depuis trop longtemps, le dialogue entre la police et les « minorités visibles » est difficile.

Depuis trop longtemps, les enquêtes se succèdent, dont une étude récente du CNRS, pour dénoncer les contrôles au faciès, sans qu’aucune mesure ne soit prise.

Ces citoyens dont l’identité est systématiquement contrôlée, parfois plusieurs fois par jour, à cause de leur apparence ou d’une origine supposée, nous disons aujourd’hui que la République doit les entendre.

Car il ne faut pas s’y tromper. Notre cohésion nationale est en jeu. Les contrôles au faciès divisent la population, et donnent l’impression à certains que, quoi qu’ils disent, quoi qu’ils fassent, ils ne feront jamais partie de la communauté nationale. Ils seront, à vie, présumés irréguliers, présumés coupables.

Nous sommes profondément attachés à la police républicaine, et c’est au nom de ce lien, indestructible, qui doit exister entre la police et ses administrés, quels que soient leur âge, leur mode de vie, leur religion ou leur couleur de peau, que nous appelons à agir, pour en finir avec les contrôles au faciès.

Notre première proposition est simple, et efficace. Elle a été testée, avec succès, par le président américain Barack Obama, alors qu’il n’était encore que sénateur, dans son Etat de l’Illinois et déjà mise en œuvre dans des villes anglaises. Nous proposons qu’à l’issue de chaque contrôle d’identité, le policier délivre à la personne contrôlée une attestation, où figurent : le numéro de matricule du policier, le nom de la personne contrôlée, ainsi que la date, le lieu, et le cadre légal du contrôle effectué.

Un contrôle de police est un acte qui n’est pas anodin ; il est donc légitime que ces procédures soient enregistrées et que la personne contrôlée reçoive une explication écrite. Ainsi les personnes qui estiment à tort ou à raison être harcelées par des contrôles intempestifs auront les moyens de prouver leurs dires par ces documents officiels, de même, les forces de l‘ordre disposeront d’un outil d’évaluation de leur efficacité. En d’autres termes, les attestations permettront de garantir le cadre légal des contrôles et de limiter les abus éventuels de la part des contrôleurs ou des contrôlés.

Notre seconde proposition est que chaque policier puisse être identifié par un numéro de matricule, qu’il portera sur lui d’une manière visible par les usagers. Ce système est en vigueur dans un très grand nombre de pays, où il a fait ses preuves. L’anonymat des policiers est préservé. Et les droits des citoyens sont garantis.

Si cela s’avérait nécessaire, nous demanderons qu’un projet de loi sur les contrôles au faciès soit présenté au parlement, afin que la représentation nationale puisse enfin se saisir de cette question.

Premiers signataires : CRAN, Ligue des Droits de l’Homme, Banlieues Actives, HUI Ji, AC le feu, CFDT, FSU, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la Magistrature, GISTI, MRAP, ANGVC, ASAV, FNASAT Gens du voyage, ENAR France-réseau européen contre le racisme, Fédération des Associations Franco-Africaines de Développement-FAFRAD, Femmes et Contributions au Développement-FECODEV, Fédération Nationale des Associations Franco-Africaines-FNAFA, Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives-FTCR, Afrique Conseil, Amitié judeo noire, An Nou Allé, Association Oxygène Social, Association Football Club des Ecrivains, Association Club des Afro-Européennes et entreprenariat, AZEC, CAPDIV, Enfants d’Ici et d’ailleurs, Haut Conseil des Béninois de l’extérieur, Rafale, Zodo

Les limites de la chasse au faciès

par Jean-Pierre Stroobants, Le Monde du 28 mai 2009

Avant les attentats djihadistes qui firent 52 morts, à Londres, le 7 juillet 2005, Sidique Khan était connu des services de sécurité britanniques. Son nom figurait dans des fichiers, dans le cadre d’une autre enquête antiterroriste. Mais le leader du groupe des poseurs de bombes n’avait pas été considéré comme « prioritaire » dans les investigations sur de possibles attentats de la mouvance islamiste radicale. Pour la police, Sidique Khan n’entrait pas dans la catégorie des éventuels poseurs de bombes. Un nombre insuffisant de cases avait été coché sur la feuille de renseignements le concernant.

On sait aujourd’hui que les services britanniques de l’antiterrorisme s’étaient trompés. Pourquoi ? Parce qu’ils recourent d’abord au « profilage ethnique », cette technique qui consiste à tenir compte principalement de la race, de la religion et de l’origine pour identifier des personnes suspectes et, peut-être, les appréhender. A l’époque, des jeunes d’origine pakistanaise nés sur le sol britannique ne faisaient pas partie des suspects de premier rang.

Contrôler, fouiller, interroger et, parfois, arrêter, sur une base ethnique : aux Etats-Unis comme en Europe, c’est devenu la règle depuis 2001. Partout, le profilage ethnique s’est imposé, soit parce qu’il est le prolongement du comportement raciste de certains policiers, soit parce qu’il est devenu un moyen d’action institutionnalisé qui rassure l’opinion.

Dans un rapport de 200 pages publié mardi 26 mai, le projet Justice de l’Open Society (Institut société ouverte, ISO), une création du magnat George Soros, dénonce cette évolution. Ce programme vise à proposer des réformes fondées sur le respect des droits de l’homme. Il estime que le recours au profilage ethnique est non seulement discriminatoire, mais inefficace. Comme à Londres, il encourage les terroristes à recruter des individus qui ne correspondent pas au profil-type, et échapperont donc à l’attention des policiers. Il s’avère inefficace, parce que d’autres techniques – dont l’observation du comportement – ont un meilleur rendement, tout en évitant la stigmatisation de certaines catégories de personnes.

A la fin des années 1990, les pratiques des douanes américaines ont été réformées. Les douaniers ont appris à privilégier le profilage comportemental : on ne tient plus compte du faciès ou de l’origine, mais de l’observation des personnes et de leurs attitudes. L’efficacité a augmenté : entre 1999 et 2000, les fouilles ont diminué de 25 % environ, mais le pourcentage de celles qui ont généré des prises d’objets de contrebande est passé de 3,5 % à 11 %.

En 2007, à Fuenlabrada, dans la grande banlieue de Madrid, le projet de l’Open Society a mené une expérience pilote avec la police municipale. Les enquêteurs ont abandonné le profilage ethnique, et adopté des méthodes faisant appel à l’usage des données, ainsi qu’à une meilleure coopération avec les diverses communautés de la ville. En quatre mois, le nombre de contrôles mensuels est passé d’environ 1 000 à 400 mais, mieux ciblés, ils ont donné des résultats très positifs : pour 6 % de contrôles qui permettaient, auparavant, de détecter une infraction ou un acte criminel, la proportion est passée à 28 %.

Cette coopération avec les minorités est devenue « un des facteurs incontournables d’une bonne administration de la police », note le rapport. Le profilage ethnique, quant à lui, menace le contrat social entre la police et les communautés, « gaspille les ressources policières, est discriminatoire à l’encontre de groupes entiers d’individus, et nuit à la sécurité de tous ». Orientant les enquêteurs sur de fausses pistes et leur aliénant de possibles collaborations, la pratique signale aussi à la société que tous les membres d’un groupe déterminé représenteraient une menace. A terme, diagnostique le rapport, les diverses communautés se replieront sur elles-mêmes, et la xénophobie croîtra encore, tandis que la police ne se préoccupera pas des individus dangereux échappant au profil qu’elle a établi.

Depuis septembre 2001, 32 % des musulmans britanniques affirment avoir été victimes de mesures discriminatoires dans les aéroports. En Allemagne, les données personnelles de 8,3 millions d’individus ont été analysées dans le cadre d’une mission dite de « forage » : on extrait des caractéristiques et des tendances à partir d’énormes quantités d’informations. L’opération, qui ciblait (notamment) des musulmans, n’aurait pas permis d’identifier un seul terroriste. En Italie, le gouvernement a, quant à lui, mis au point un programme de profilage ethnique des Roms.

La France fait l’objet d’une attention particulière. Le rapport l’accuse de viser les minorités ethniques et religieuses. « Trop de responsables gouvernementaux y confondent la sécurité avec un contrôle policier sévère des communautés minoritaires », affirme James Goldston, directeur du projet Justice. Le recours aux stéréotypes ethniques et religieux a provoqué, selon lui, une dégradation des relations entre la police et les communautés visées, et la lutte, au niveau régional (avec les pôles de lutte contre l’islam radical), aurait pris délibérément pour cible les commerces musulmans. M. Goldston appelle le gouvernement à surveiller plus attentivement les forces de l’ordre, « pour identifier les pratiques discriminatoires et y mettre fin ». Selon lui, les émeutes des banlieues françaises, en 2005, ont été causées en grande partie par le profilage ethnique de l’action policière et l’hostilité croissante qu’elle aurait engendrée.

La situation, plus ou moins comparable dans d’autres pays européens, pousse les auteurs du rapport à réclamer une réglementation communautaire sur le profilage ethnique. Actuellement, la législation de l’Union a l’allure d’une mosaïque très imparfaite. La compétence de l’UE ne s’étend pas, en fait, aux pratiques du maintien de l’ordre sur le territoire national. Les Etats ont signé entre eux divers accords de coopération en vue de l’échange automatisé d’informations. L’Union constitue, quant à elle, de grandes bases de données concernant le contrôle des frontières et l’immigration. Des responsables entendent permettre aux forces de police d’accéder à ces fichiers au prétexte de la lutte antiterroriste. Les questions de la surveillance des systèmes et de la protection contre les discriminations semblent, elles, plus difficiles à régler.

  1. Référence : http://www.snes.edu/Colloque-pour-une-police-au.html.
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