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en appel, Brice Hortefeux, déclaré coupable d’injure raciale, bénéficie d’une relaxe

Le ministre de l'intérieur Brice Hortefeux a été condamné, vendredi 4 juin 2010, à 750 euros d'amende et 2 000 euros de dommages et intérêts pour injure à caractère racial, suite aux propos qu'il avait tenus, en 2009 à l'université d'été des jeunes UMP à Seignosse, dans les Landes. Le ministre a aussitôt fait appel. C'est la première fois en France qu'un ministre en exercice est condamné pour injure raciale. La question se pose : un ministre condamné pour un tel délit peut-il rester en poste ? Ci-dessous un enregistrement vidéo des propos de Brice Hortefeux, suivi de larges extraits du jugement prononcé le 4 juin 2010 par les magistrats de la 17ème chambre du tribunal de Paris. Dernière minute – La Cour d'appel de Paris s'est prononcée le 15 septembre 2011 : l'ancien ministre s'est bien rendu coupable d'injures au sens pénal – il a commis une infraction sanctionnable qui est une contravention –, mais, la procédure suivie n'étant pas bonne, il a bénéficié d'une relaxe (voir les explications de Michel Huyette).
[Mise en ligne le 5 juin 2010, mis à jour le 16 septembre 2011]

Communiqué LDH

Paris, le 7 juin 2010

Le ministre de l’Intérieur condamné pour injure raciste : une « République irréprochable » ?

La Ligue des droits de l’Homme a pris acte de la condamnation de Brice Hortefeux pour « propos outrageants » envers les personnes d’origine arabe par la 17ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. Ainsi donc, les « Auvergnats » qui posent « des problèmes » parce qu’ils sont trop nombreux en France étaient bien, dans la bouche du ministre de l’Intérieur, ce que chacun avait compris : des Maghrébins.

A l’évidence, l’exercice des fonctions de ministre de l’Intérieur par un citoyen raciste, le fût-il « en privé », n’est pas compatible avec le respect des devoirs constitutionnels du gouvernement. Nicolas Sarkozy lui-même, venant d’être élu président de la République, n’avait-il pas promis de « faire de la France une République irréprochable et une démocratie exemplaire » ?

« Je ne tolèrerai jamais que des propos racistes ou discriminants soient tenus dans notre pays, d’autant plus par un représentant de l’Etat, quel qu’il soit. Ces comportements sont indignes des valeurs de la République ». Parce que la LDH approuve ce jugement sévère émis par Brice Hortefeux lui-même le 23 août 2009, elle ne doute pas que, si la condamnation du ministre pour injure raciste est confirmée en appel, il aura à cœur de ne pas attendre que les autorités constitutionnelles en tirent les conséquences qui s’imposent. Comme ce serait le cas dans tout autre pays démocratique.

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Brice Hortefeux condamné pour injure raciale1

Le ministre de l’intérieur plaisantait, le 5 septembre 2009, avec Jean-François Copé, le président du groupe UMP à l’Assemblée, et un groupe de militants dont Amine Benalia-Brouch, qui voulait être pris en photo avec lui. « Il est catholique, il mange du cochon et il boit de la bière », dit une dame sur la vidéo tournée par des journalistes de la chaîne Public Sénat. « Ben oui », dit mollement le jeune homme, Brice Hortefeux répond, « Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspondant pas du tout au prototype alors. C’est pas ça du tout ».

C’est la première phrase attaquée par le Mrap le 16 avril devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris. La même militante dit au ministre, « C’est notre… c’est notre petit Arabe ». Brice Hortefeux répond : « Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes », avant de prendre congé, avec un « Allez, bon courage, hein ».

C’est la seconde phrase attaquée. « En dépit de la médiocre qualité de cet enregistrement, note le tribunal, où Brice Hortefeux se trouve toujours de trois quarts dos, ignorant manifestement la caméra, l’enchaînement des propos échangés, comme la teneur de ceux qui sont proférés par les différents acteurs de la scène, ne sont susceptibles de contestation ni sur leur matérialité ni sur leur imputabilité », comme l’avait prétendu la défense.

Une affirmation “incontestablement outrageante”

 » L’emploi du mot  » prototype  » appliqué à une personne (…), déjà malheureux et incongru en lui-même, relève le tribunal, laisse entendre que tous les Arabes de France seraient semblables, nécessairement musulmans et qu’ils se conformeraient tous aux prescriptions de l’Islam, seul le jeune Amine faisant exception ». Le propos, selon les juges « peut surprendre » ou « choquer, au regard du principe républicain de laïcité » et est « à tous égards contestable », mais il ne saurait être regardé comme outrageant pour les Arabes.

L’affirmation, en revanche – « c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes »« est incontestablement outrageante, sinon méprisante, pour les personnes concernées qui – à la différence du propos précédent – ne se voient pas seulement exclusivement définies par leur origine, indépendamment de ce que postule le libre arbitre ou de ce qui fait une individualité, la singularité d’un parcours, les qualités ou les défauts d’un caractère, mais sont présentées comme facteur du  » problèmes « , soit négativement, du seul fait de leur origine, laquelle révélerait une essence commune dans les limites de laquelle il conviendrait de les enfermer ».

Le propos vise ainsi indistinctement un groupe de personnes, seulement identifié par leur origine, leur appartenance, une ethnie, une race ou une religion déterminée, et tombe sous le coup de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881.

Le tribunal, estimant que Brice Hortefeux ne savait pas qu’il était enregistré et que ses propos allaient être rendus publics, a requalifié l’infraction en « contravention d’injure non publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine ».

Quand Hortefeux jugeait “intolérables” ce type de propos

Le 14 août 2009, un ministre expliquait : « Je ne tolèrerai jamais que des propos racistes ou discriminants soient tenus dans notre pays, d’autant plus par un représentant de l’Etat, quel qu’il soit. Ces comportements sont indignes des valeurs de notre République. » Il s’agissait de… Brice Hortefeux qui avait suspendu le préfet Paul Girot de Langlade après des propos racistes tenus à l’égard d’une fonctionnaire de police. Interrogé par Le Post, l’ancien préfet, suspendu après sa condamnation, ironise aujourd’hui : « 750 euros, c’est bien léger. J’ai eu droit à 2 000 euros et une inscription au casier judiciaire pour incitation à la haine raciale pour des propos que je n’ai même pas tenus. »

A l’UMP, Dominique Paillé, porte-parole du parti, dit sur France-Info « ne pas comprendre » la condamnation et espère que la décision d’appel sera différente, tout en ajoutant qu’il n’a « pas pour habitude de commenter des décisions de justice ». Pour Christian Vanneste, député UMP du Nord dont la justice a condamné des propos homophobes, cette décision « souligne à quel point la liberté d’expression est menacée dans notre pays ».

Extraits du jugement2

La scène filmée a lieu lors de la rencontre annuelle organisée par les « Jeunes du Mouvement Populaire », dénommée « Le Campus de l’UMP », le samedi 5 septembre 2009, à Seignosse dans les Landes.

Brice HORTEFEUX bavarde, sur le campus, avec Jean-François COPE, sans que la conversation entre les deux hommes ne soit audible. Quelques personnes s’approchent de ces derniers et un jeune homme se détache d’un groupe pour demander au ministre s’il accepterait de poser à son côté pour une photographie.

Brice HORTEFEUX répond plaisamment « Non, parce que passé vingt heures, je ne suis plus payé », ce qui provoque cette réflexion amusée de Jean-François COPE : « N’oubliez jamais un truc, il est Auvergnat », qui est suivie par l’échange suivant:

Brice HORTEFEUX : Je suis Auvergnat.

Jean-François COPE : Il est Auvergnat, c’est un drame. C’est un drame.

Brice HORTEFEUX : Enfin, bon, je vais faire une exception!

Le jeune homme prend alors place entre les deux hauts responsables de l’UMP, tandis que son prénom, « Amine », fuse à plusieurs reprises au sein du groupe, plusieurs personnes, munies d’appareils photos, profitant manifestement de l’instant pour prendre elles-mêmes un cliché de la scène.

C’est alors qu’un des participants s’exclame « Ah, ça Amine, c’est l’intégration, ça, c’est l’intégration » tandis qu’on entend une voix d’homme féliciter le jeune homme « Oh, Amine, bravo ! » et une voix de femme dire « Amine, franchement … »

Le ministre, de dos à la camera, fait une remarque sur la taille du militant (« Il est beaucoup plus grand que nous en plus »), puis un homme précise « Lui, il parle arabe, hein », déclenchant quelques rires qui font dire à Jean-François COPE, blagueur, « Ne vous laissez pas impressionner, ce sont des socialistes infiltrés ».

La caméra contourne le groupe qui paraît se disloquer, une fois les photographies prises, et donne à voir très distinctement, en un plan plus rapproché, une main de femme qui caresse affectueusement la joue du jeune hommes tandis qu’une autre, qui se trouve immédiatement à côté du ministre, ce dernier à cet instant de trois quarts dos à la caméra, précise : « Il est catholique, il mange du cochon et il boit de la bière », à quoi Amine BENALIA-BROUCH (c’est le nom du militant en question) réplique : « Ben oui », avant que Brice HORTEFEUX lance à la cantonade: « Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype alors. C’est pas du tout ça« , déclenchant à nouveau des rires.

La même militante, qui se trouve face au ministre, celui-ci toujours de trois quarts dos à la caméra, lui dit en le regardant : « C’est notre… c’est notre petit arabe », ce à quoi Brice HORTEFEUX réplique, en regardant son interlocutrice : « Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes« , avant de prendre congé du groupe par ces mots « Allez, bon, courage, hein ».

Seuls les propos ci-dessus reproduits en caractères gras sont poursuivis.[…]

Sur le caractère injurieux à raison de l’origine des propos poursuivis

Il sera rappelé que l’injure est définie, par l’article 29 , alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait » et qu’elle est plus sévèrement punie lorsqu’elle est commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou encore, dans un autre registre, à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap.

La vidéo diffusée par la chaîne Public Sénat établit à l’évidence qu’en s’exclamant « Ali mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype alors. C’est pas du tout ça« , Brice HORTEFEUX réplique à une militante qui venait de préciser que le jeune Amine, dont il avait été précédemment indiqué qu’il parlait arabe, était catholique, mangeait du cochon et buvait de la bière.

L’emploi du mot « prototype » appliqué à une personne – en l’espèce le jeune militant de l’UMP dont le groupe qui entoure Brice HORTEFEUX souligne l’origine arabe supposée-, déjà malheureux et incongru en lui-même, laisse entendre que tous les Arabes de France seraient semblables, nécessairement musulmans et qu’ils se conformeraient tous aux prescriptions de l’Islam, seul le jeune Amine faisant exception.

Le propos peut surprendre par la généralisation à laquelle il procède et choquer, au regard du principe républicain de laïcité, par l’assignation qu’il opère entre un groupe de personnes défini par leur origine et telle religion ou telles pratiques religieuses déterminées, supposées constituer un élément d’identification du groupe en tant que tel et, nécessairement quoique implicitement, de différenciation de ce groupe du reste de la communauté nationale.

De nature à flatter le préjugé ou à favoriser les idées reçues, il est à tous égards contestable. Mais il ne saurait être regardé comme outrageant ou traduisant du mépris à l’égard des personnes d’origine arabe, auxquelles seule une pratique religieuse, de libre exercice, est imputée, le serait-elle abusivement ou inexactement.

S’agissant du second propos reproché, il n’est pas douteux, en dépit des premiers éléments d’ explication qui ont pu être donnés tant par Brice HORTEFEUX que par le jeune militant de l’UMP, Amine BENALIA-BROUCH, le premier ayant un temps soutenu qu’il évoquait les Auvergnats, le second que seuls les photographes de presse étaient visés, que la phrase « Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes«  se rapporte aux personnes d’origine arabe.

L’enregistrement de Public Sénat est sans ambiguïté sur ce point : l’échange provoqué par l’initiative du jeune Amine qui souhaite poser pour une photo aux côtés du ministre suscite depuis quelques instants les exclamations du groupe qui hèle son prénom, précise qu’il parle arabe, qu’il n’est pas comme les autres, jusqu’à ce qu’une militante s’adressant à Brice HORTEFEUX lui glisse la phrase « C’est notre… c’est notre petit arabe », laquelle suscite aussitôt la réplique du ministre, qui ne se rapporte à rien d’autre.

L’affirmation ainsi proférée, sous une forme lapidaire qui lui confére un caractère d’aphorisme, est incontestablement outrageante, sinon méprisante, pour les personnes concernées, qui -à la différence du propos précédent- ne se voient pas seulement exclusivement définies par leur origine, indépendamment de ce que postule le libre arbitre ou de ce qui fait une individualité, la singularité d’un parcours, les qualités ou les défauts d’un caractère, mais sont présentées comme facteur de « problèmes », soit négativement, du seul fait de leur origine, laquelle révélerait une essence commune dans les limites de laquelle il conviendrait de les enfermer.

Ainsi exprimé, le propos ne se réfère à aucun fait précis, il souligne sinon une menace, du moins une difficulté ou une préoccupation d’ordre général, en ne l’imputant à rien d’autre qu’à l’origine réelle ou supposée des personnes, et à leur nombre.

Il est punissable aux termes de la loi, dès lors qu’il vise indistinctement un groupe de personnes non autrement identifiées que par un des éléments énoncés par l’article 33, alinéas 3 ou 4, de la loi du 29 juillet 1881 : origine, appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou encore sexe, orientation sexuelle, handicap. Il le serait, sous cette forme (« Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes »), pour tout autre groupe de personnes défini par un quelconque des critères, énoncés par la loi, de détermination du groupe des personnes à protéger (les juifs, les noirs, les catholiques, les femmes, les homosexuels, les non-voyants, etc.). Il l’est, en l’espèce, pour toutes les personnes d’origine arabe, stigmatisées, à ce seul motif, comme créant des « des problèmes ».

  1. Sources :

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