Courriel de Nicole Ferrandis adressé à la section de Toulon de la LDH :
Le 21 juillet 2006.
Messieurs,
Parce que la douleur rapproche, je compte dans mon association (fusillade de la rue d’Isly) plusieurs familles de disparus en Algérie.
Je lis sur votre site1 que vous vous opposez à la construction d’un mur à PERPIGNAN destiné à graver le nom des personnes enlevées et jamais retrouvées.
Vous poursuivez votre idée, jamais vous n’essayez de penser à la souffrance des familles qui n’ont jamais pu faire le deuil de l’être aimé.
Des hommes, des femmes, des enfants de toutes conditions, catholiques, juifs, musulmans, protestants, athées, ont été enlevés. Voyez-vous, je connais une petite dame de 84 ans qui continue 44 ans après à mettre le couvert de son mari, «des fois qu’il rentre, on ne sait jamais…»
Grande est leur souffrance, grande est notre souffrance, pour nous qui avons perdu un être aimé; nous n’avons pas de cimetière pour nous recueillir. Ainsi, un simple mur avec des noms serait un crime à vos yeux ?
Étaient-ils moins que rien ceux qui ont été enlevés, ceux qui sont morts pour que, au delà de la mort, vous continuiez à vouloir les faire disparaître à jamais aux yeux de leur famille ?
J’aurais voulu qu’un gouvernement prenne cette initiative. Il n’en a rien été. L’idée émane donc d’une association, les rapatriés d’Algérie envoient un don pour cela.
Où est le drame ? Où est le crime ? Le drame c’est que des gens aient été enlevés et que rien n’a été fait pour les délivrer, les retrouver; le crime c’est d’avoir laissé faire et ainsi de s’être rendu complice. Et au drame et au crime il faut ajouter la conspiration du silence
(pour avoir une idée du nombre de disparus, consultez donc le site du ministère des affaires étrangères ;
je tiens également à votre disposition un listing avec l’âge et le lieu de naissance de chacune des personnes enlevées).
Je vous le dis, je reste abasourdie devant tant de méchanceté à moins qu’il ne s’agisse de méconnaissance du sujet.
Dans ce dernier cas, je me tiens à votre disposition pour vous éclairer.
Réponse de la section de Toulon de la LDH à Nicole Ferrandis :
Toulon, le 21 juillet 2006
Madame la Présidente,
J’ai bien reçu votre courriel du 12 juillet dernier.
Croyez bien que je comprends et respecte votre douleur toujours vive après le drame du 26 mars 1962 qui vous a personnellement touchée.
Vous réclamez que soit établie la vérité sur le 26 mars à Alger et le 5 juillet 1962 à Oran. La LDH et moi-même y sommes bien évidemment favorables et nous l’avons déjà écrit : “ La demande de vérité exprimée par les familles sur la disparition de leurs proches est légitime et nous la soutenons, en dehors de toute instrumentalisation politique ”2.
Nous comprenons parfaitement la souffrance de personnes qui ont perdu leurs proches sans avoir aucune information sur leur sort et sans pouvoir faire leur deuil.
Mais il est impossible d’isoler les événements du 26 mars et du 5 juillet du contexte de l’époque et, en particulier, des responsabilités de l’OAS. Les tentatives de réhabilitation de l’OAS et les manipulations de la mémoire des victimes dans ce but sont inacceptables3 .
Sur le 26 mars 1962, par exemple, j’ai relu ce qu’écrivent Rémi Kauffer4 et Georges Fleury5. Ainsi que je vous l’avais écrit, nous essayons de ne mettre sur notre site que des informations vérifiables. Je vous serais donc reconnaissant de me faire parvenir vos observations sur ce résumé du 26 mars 1962.
Le 23 mars, les hommes d’Achard tirent sur un camion d’appelés du contingent : 7 morts et 14 blessés parmi de jeunes Français venus défendre les Français d’Algérie. (G. Fleury p. 634).
Le 26 mars, l’OAS a distribué un tract T.Z. (toutes zones) numéroté 109, appelant les Algérois à “ …s’opposer jusqu’au bout à l’oppression sanguinaire du pouvoir fasciste… ”(G. Fleury p. 646).
C’est donc bien sous le sigle de l’OAS que des personnes ont participé à une manifestation interdite.
Bien entendu, cela ne justifie pas que l’armée ouvre le feu sur une foule désarmée6.
La volonté de conserver la mémoire de toutes les victimes est parfaitement légitime, qu’il s’agisse des victimes pied-noirs, métropolitaines et algériennes – n’oublions pas que ces dernières ont été de loin les plus nombreuses au cours de cette guerre.
Mais il n’est pas acceptable que des associations d’anciens de l’OAS – telle l’Adimad7 – utilisent la mémoire et le chagrin pour tenter de réhabiliter une organisation qui a voulu renverser la République par tous les moyens criminels, y compris l’assassinat (manqué) du Chef de l’Etat.
Sauf erreur de ma part, il ne me semble pas que votre association se soit publiquement désolidarisée de ceux qui tentent cette réhabilitation.
Dans l’espoir que notre échange pourra déboucher sur un progrès de la vérité et du respect de la mémoire de toutes les victimes, je vous prie, Madame, d’accepter l’expression de mes sentiments les meilleurs.
- Note de LDH-Toulon : Madame Ferrandis fait sans doute allusion à notre page 1376.
- Voyez notre page 1369.
- A ce propos, voyez nos articles 1374 ainsi que 1611.
- Rémi Kauffer, OAS, Seuil, 2002.
- Georges Fleury, Histoire secrète de l’OAS, Grasset, 2003.
- Dans le même registre, rien ne justifie la sanglante répression de Parisiens, ayant manifesté le 8 février 1962 (métro Charonne) contre les crimes de l’OAS.
- Voyez à nouveau notre page 1374.