
Quand on pense à la Suisse, on évoque avant tout la démocratie, le fédéralisme et l’image d’un petit pays isolé du reste du monde. Une nation forgée sur elle-même, à la fois modeste et dynamique, attachée à la paix et aux droits humanitaires, dont elle s’est faite promotrice depuis le XIXe et encore plus au XXe siècle. Mais quel lien peut-on établir entre cette identité et l’expérience coloniale, surtout lorsqu’on sait que la Suisse n’a jamais eu d’accès à la mer ?
C’est sur cette histoire contre-intuitive que s’est penché la table ronde publique organisée à Yverdon en novembre 2024, dans le canton de Vaud, par Solidarité & Ecologie et l’Association Djelbana. Un reportage de la presse locale a eu lieu.
Les orateurs Fabio Rossinelli et Philipp Horn, historiens, ont été interrogés par la modératrice de l’événement, Sarah Dekkiche, présidente de Djelbana. Paola Salwan Daher, juriste internationale et autrice-militante, n’a pas réussi à être présente à la table ronde. La discussion, qui a suscité une vaste participation des personnes présentes, s’est orientée tant sur l’énigme de savoir quelle a été l’histoire coloniale d’un pays sans colonies, la Suisse, que sur la manière dont son implication dans le colonialisme a façonné son développement, à la fois dans le quotidien des Suisses et dans le fonctionnement des institutions helvétiques. Car, contrairement aux apparences, la Suisse était partie prenante de l’histoire globale qui a caractérisé l’essor des empires européens et leur domination en dehors de l’Europe.
Il y a eu les acteurs privés, certes, actifs dans les secteurs de l’économie, de la mission, des sciences et du mercenariat. Mais il y a aussi eu le rôle de l’État qui, avec sa politique de bons offices, a arbitré un certain nombre de conflits géopolitiques outre-mer impliquant des empires européens, en en tirant des bénéfices et des concessions. Le partenariat public-privé étant très développé dans le système étatique suisse, les consuls du pays à l’étranger servaient souvent les intérêts du capital privé, souvent dans une optique de prédation des ressources et de la main-d’œuvre du monde colonisé. Cette participation de la Suisse au colonialisme, fondée aussi sur le credo tout-puissant partagé en Europe de la suprématie de l’homme blanc, a contribué à ancrer au sein du pays des logiques discriminatoires de race, de classe et de genre – qui persistent encore aujourd’hui.
De cette table ronde est née l’idée de constituer un dossier d’articles sur la Suisse coloniale. Plus largement, à travers le cas helvétique, il s’agira d’explorer la colonialité des pays sans colonies. Ce n’est qu’un début. Nous aborderons ici, grâce aux plumes de trois auteur-e-s, dont deux chercheuses afro-descendantes, quelques aspects de cette histoire contre-intuitive, qui comprend, comme nous le verrons, également la France.
- Un Français déserteur de la guerre d’Algérie dévoile la Suisse coloniale, par Fabio Rossinelli et Lisa N’Pango Zanetti
- Patrimoine colonial : l’Angola derrière les vitrines des musées suisses, par Cindy Nsengimana