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Édition du 1er mars au 15 mars 2025

Dossier : la Suisse et le colonialisme, histoire d’une contre-intuition

Pays sans colonies, la Suisse n'en fut pas moins partie prenante de l’histoire globale de l’essor des empires européens et de leur domination en dehors de l’Europe.

Quand on pense à la Suisse, on évoque avant tout la démocratie, le fédéralisme et l’image d’un petit pays isolé du reste du monde. Une nation forgée sur elle-même, à la fois modeste et dynamique, attachée à la paix et aux droits humanitaires, dont elle s’est faite promotrice depuis le XIXe et encore plus au XXe siècle. Mais quel lien peut-on établir entre cette identité et l’expérience coloniale, surtout lorsqu’on sait que la Suisse n’a jamais eu d’accès à la mer ?

C’est sur cette histoire contre-intuitive que s’est penché la table ronde publique organisée à Yverdon en novembre 2024, dans le canton de Vaud, par Solidarité & Ecologie et l’Association Djelbana. Un reportage de la presse locale a eu lieu.

Les orateurs Fabio Rossinelli et Philipp Horn, historiens, ont été interrogés par la modératrice de l’événement, Sarah Dekkiche, présidente de Djelbana. Paola Salwan Daher, juriste internationale et autrice-militante, n’a pas réussi à être présente à la table ronde. La discussion, qui a suscité une vaste participation des personnes présentes, s’est orientée tant sur l’énigme de savoir quelle a été l’histoire coloniale d’un pays sans colonies, la Suisse, que sur la manière dont son implication dans le colonialisme a façonné son développement, à la fois dans le quotidien des Suisses et dans le fonctionnement des institutions helvétiques. Car, contrairement aux apparences, la Suisse était partie prenante de l’histoire globale qui a caractérisé l’essor des empires européens et leur domination en dehors de l’Europe.

Il y a eu les acteurs privés, certes, actifs dans les secteurs de l’économie, de la mission, des sciences et du mercenariat. Mais il y a aussi eu le rôle de l’État qui, avec sa politique de bons offices, a arbitré un certain nombre de conflits géopolitiques outre-mer impliquant des empires européens, en en tirant des bénéfices et des concessions. Le partenariat public-privé étant très développé dans le système étatique suisse, les consuls du pays à l’étranger servaient souvent les intérêts du capital privé, souvent dans une optique de prédation des ressources et de la main-d’œuvre du monde colonisé. Cette participation de la Suisse au colonialisme, fondée aussi sur le credo tout-puissant partagé en Europe de la suprématie de l’homme blanc, a contribué à ancrer au sein du pays des logiques discriminatoires de race, de classe et de genre – qui persistent encore aujourd’hui.

De cette table ronde est née l’idée de constituer un dossier d’articles sur la Suisse coloniale. Plus largement, à travers le cas helvétique, il s’agira d’explorer la colonialité des pays sans colonies. Ce n’est qu’un début. Nous aborderons ici, grâce aux plumes de trois auteur-e-s, dont deux chercheuses afro-descendantes, quelques aspects de cette histoire contre-intuitive, qui comprend, comme nous le verrons, également la France.


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