Discours sur le colonialisme, d’après Aimé Césaire
Mise en scène Jacques Delcuvellerie,
interprête Younouss Diallo.
Le spectacle Discours sur le colonialisme1 est la mise en scène d’un texte qui n’était a priori pas destiné au théâtre, un pamphlet superbement écrit et dont le contenu n’a rien perdu de son actualité. La loi du 23 février 2005 qui stipulait à l’origine que «les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif» de la colonisation montre à elle seule à quel point le sujet reste polémique.
Écrit par Aimée Césaire en 1950, le Discours sur le colonialisme est un plaidoyer contre le colonialisme. Au-delà d’une simple dénonciation, Césaire décortique les mécanismes du système colonial, montre ses liens intrinsèques avec les sociétés occidentales et souligne à quel point il hypothèque l’avenir de ces sociétés et annonce leur déclin en ceci qu’il est un déni des valeurs que porte la civilisation européenne.
Césaire, tout comme à la même époque Frantz Fanon2 – autre grande figure martiniquaise -, se fait le porteur d’un nouvel humanisme, par opposition au “pseudo-humanisme“ qui a légitimé la colonisation au nom de la civilisation et de la modernité. Ce nouvel humanisme, héritier des Lumières, redonne au colonisé son statut d’homme : la dénonciation de ce qu’a d’inhumain et de déshumanisant le système colonial, s’accompagne de l’affirmation de la richesse et de la diversité des sociétés colonisées et de leur droit à exister sur un pied d’égalité avec l’Europe.
Pour faire écho à la force du texte de Césaire, Jacques Delcuvellerie a choisi une mise en scène très dépouillée : une table, une chaise, un verre d’eau et un acteur, Younouss Diallo, qui incarne un personnage à la fois captivant et intrigant, qui lit des extraits choisis du Discours, entrecoupé de chants wolof.
Produit par Groupov, un collectif d’artistes de différentes disciplines et nationalités basé en Belgique, le spectacle Discours sur le colonialisme à été créé en février 2001 au Festival de Liège et a ensuite entamé une longue tournée, française (Paris, Limoges, Bordeaux, Avignon, Liévin, Grenoble, Paris, la Roche sur Yon, Ivry, Givors) puis internationale, qui l’a conduit en Haïti, au Bénin, en Nouvelle Calédonie, en République Démocratique du Congo, en Suisse, au Maroc, au Rwanda et en Martinique où le spectacle fut présenté devant Aimé Césaire lui-même.
Scandale !… et pourtant. La paix était en effet loin de s’être installée partout après la défaite de l’Allemagne. Sur d’autres continents, la terre était toujours rouge du sang de ceux qui luttaient pour leur liberté et l’indépendance de leur pays. «Chaque fois qu’il y a au Viêt-nam une tête coupée et un oeil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, (…) il y a une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend.(…) Au bout de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et «interrogés», de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ ensauvagement du continent.» Or, ce nazisme-là était absout pour l’unique raison qu’il s’appliquait à des peuples non européens. Et la barbarie occidentale méritait ainsi d’être désignée par Césaire comme «une part constitutive de sa civilisation même».
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L’invisible, par Philippe Blasband
Au cœur du propos, l’émigration, l’éloignement du pays quitté, l’exclusion, l’indifférence et… l’absence dans le pays… d’accueil. Autant de blessures que Philippe Blasband traque dans les plis de la langue, en recourant à un langage riche, un « français cassé » dense et poétique.
Tu sais pas.
Tu crois tu sais. Tu sais pas.
Mon visage, tu regardes: lèvres grosses
comme femme accouche, oeil de nuit,
peau olive, nez-serpent.
Et tu dis: étranger.
Mais tu sais pas.
Juillet je retourne chez mon pays !
Là où sorti de ma mère et crié!
Je retourne le village qui est mon village.
(« Mon » village je croyais…)
Et me regardent, les gens. Pas moi,
ils voient, quand me regardent, les gens.
Non. Ils voient comme toi: vêtements
de synthétique. Corps courbé.
Accent dans paroles.
Ils me regardent et ils disent:
étranger.
Mais savent pas ! personne sait…
L’auteur, Philippe Blasband, est iranien et vit en Belgique.
La metteuse en scène, née à Kinshasa en 1975, Astrid Mamina est aussi
comédienne.
Le comédien, Dieudonné Kabongo est congolais et vit à
Bruxelles.
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« …Un hommage bouleversant à tous les déracinés Erwan Benezet, Le Parisien, août 2005 «… L’Invisible, texte assez inouï que la metteure Mathilde La Bardonnie, Libération, août 2005 |
- Quelques extraits du Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire.
- Sur Frantz Fanon, voir 515.