Les corps de six Amérindiens exhibés dans les zoos humains à Paris ont fait l’objet d’un hommage chamanique et politique à Paris, les 16 et 17 septembre 2024.
par Dorothée Rivaud, pour histoirecoloniale.net
En 1892, 33 Kali’na et Awaraks originaires de la Guyane française et de la Guyane hollandaise (l’actuelle Surinam) s’embarquèrent pour Saint-Nazaire sans savoir qu’ils seraient exhibés dans les zoos humains du jardin d’acclimatation de Paris. Des hommes, des femmes, de tous les âges. Ceux qui rentreront ne seront jamais payés, malgré les engagements pris au départ. Huit ne retourneront jamais chez eux. Ils sont morts de froid, en quelques mois. Les restes de six d’entre eux sont conservés au musée de l’Homme. https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/09/18/le-musee-de-l-homme-accueille-en-presence-de-deputes-une-ceremonie-chamanique
Une délégation de descendants, accompagnée d’un chaman et de quatre chefs coutumiers, est venue parler à leurs ancêtres. Ils ont renoué les liens rompus d’abord au jardin d’Acclimatation puis, le lendemain, leur ont rendu hommage devant des coffrets symbolisant des cercueils. Ils sont venus leur dire qu’il est temps de rentrer dans leur pays, d’écouter leur langue qu’ils n’ont pas entendue depuis cent trente-deux ans, que leur place n’est pas dans les sous-sols obscurs du Musée de l’homme, voués à l’oubli.
En Guyane, la mémoire de leur tragédie s’est transmise. Une association a été créée par Corine Toka Devilliers, une descendante d’une Amérindienne exhibée à Paris, pour obtenir reconnaissance et réparation des traitements subis par ses ancêtres. Elle a donné à l’association, créée en 2021, le nom de sa grand-mère Moliko. La descendante de Moliko souhaite davantage de travail mémoriel et de travail d’histoire. Le travail mémoriel se traduirait par des plaques commémoratives, l’attribution de nom des rues, en métropole comme en Guyane…. Un travail d’histoire doit aussi être conduit pour mettre à jour le contrat passé entre le gouverneur de la Guyane hollandaise et l’aventurier français François Laveau. Celui-ci fut chargé par le directeur du Jardin d’acclimatation de recruter des habitants riverains du fleuve Maroni pour être exhibés dans les « spectacles ethnologiques ». Connus aujourd’hui sous le nom moins glorieux de zoo humains, ces spectacles organisés depuis 1877 dans ce site, rencontraient alors un grand succès.
La cérémonie qui s’est déroulée au Musée de l’Homme en présence de deux députés, le Kanak Emmanuel Tjibaou et le Guyanais Jean-Victor Castor, était aussi politique. Les restes humains transférés au Musée de l’Homme sont devenus des objets qui appartiennent aux collections publiques et leur retour au pays se heurte au principe d’inaliénabilité. Certes, des progrès ont été accomplis récemment avec, fin 2023, le vote d’une loi pour restituer aux Etats étrangers qui les demandent les restes humains détenus par les musées français. Mais cette loi-cadre ne s’applique pas pour l’Outre-mer ! Le gouvernement a promis une loi spécifique sur les restitutions en Outre-mer. Pour préparer cette loi, un rapport devait être remis au Parlement avant la fin de l’année 2024. Pour le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, le dossier a été mis de côté au ministère de la Culture, « une forme de mépris ». L’élu, avec la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly, entend bien ne pas laisser ce dossier moisir. Il a annoncé vouloir déposer rapidement une proposition de loi. C’est la condition pour que les restes de ces Amérindiens sortent de l’oubli et du mépris, reviennent chez eux.