Amnesty International et Human Rights Watch stigmatisent la stratégie de Tsahal
Les dévastations de la guerre au Liban, loin d’être des dommages collatéraux, sont le résultat d’une oeuvre de destruction délibérée de l’infrastructure civile d’un pays. C’est ce qu’affirme Amnesty International au vu de l’ampleur «catastrophique» des dégâts causés par les bombardements israéliens au Liban. Le but des 7 000 frappes aériennes israéliennes n’était pas seulement d’essayer d’isoler ou d’éliminer le Hezbollah, mais également de «punir» le gouvernement et la population libanaise, estime Amnesty. «Beaucoup des violations examinées dans ce rapport sont des crimes de guerre qui relèvent de responsabilités criminelles individuelles.» L’organisation rappelle pour appuyer ses dires une déclaration de Dan Haloutz, le chef d’état-major israélien : «Rien n’est à l’abri [au Liban], c’est aussi simple que cela.»
En réponse à Amnesty, la chef de la diplomatie israélienne, Tzipi Livni, a déclaré : «Israël a attaqué les infrastructures au Liban qui étaient utilisées et qui servaient au Hezbollah. […] C’est vrai qu’un pont sert aussi aux habitants de la région. Mais, si par ce pont transitent des armes qui sont fournies au Hezbollah et dont il se servira afin d’attaquer Israël, nous n’avons pas d’autre choix que de le détruire.» Une argumentation que conteste l’ONG dans son rapport, en soulignant que le droit humanitaire impose aux factions combattantes de protéger les civils.
L’ONG américaine Human Rights Watch (HRW) a elle aussi à plusieurs reprises dénoncé la stratégie israélienne. Dans un article publié le 20 août par le Jerusalem Post, son directeur exécutif, Kenneth Roth, souligne qu’Israël rejette la responsabilité des pertes civiles sur le fait que le Hezbollah se cache au milieu des civils. «Ce n’est pas toute l’histoire», souligne-t-il car, «dans deux douzaines de cas de bombardements sur lesquels a enquêté HRW, impliquant un tiers des victimes civiles, le Hezbollah ne se trouvait nulle part à proximité au moment de l’attaque» . Les engins non explosés continuent par ailleurs de faire des victimes. Depuis l’arrêt des combats le 14 août, les bombes à fragmentation ont déjà tué 11 personnes et fait 43 blessés, dont plusieurs enfants, selon les derniers chiffres de l’armée libanaise. Ces victimes s’ajoutent au millier de morts de l’offensive (dont un tiers d’enfants).
Israël/Liban. Des éléments montrent que des infrastructures civiles ont été délibérément détruites1.
Amnesty International a rendu publics ce mercredi 23 août 2006 les résultats d’investigations montrant qu’Israël a mis en œuvre lors du conflit récent une politique délibérée de destruction d’infrastructures civiles libanaises, qui s’est traduite dans certains cas par des crimes de guerre.
Les dernières informations publiées par l’organisation montrent que la destruction par Israël de milliers d’habitations, ainsi que les frappes qui visaient de nombreux ponts et routes et des installations de stockage de l’eau et du carburant, faisaient partie intégrante d’une stratégie militaire au Liban et ne constituaient pas des « dommages collatéraux » résultant de la prise pour cibles légitime d’objectifs militaires.
Images satellites (© Digital Globe, Inc.)
Beyrouth, juin 2006 – zoomer
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Beyrouth, août 2006 – zoomer
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Liban sud, juin 2006 – zoomer
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Liban sud, août 2006 – zoomer
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Le rapport renforce la nécessité de l’ouverture urgente par les Nations unies d’une enquête exhaustive et indépendante sur les graves violations du droit international humanitaire dont se sont rendus coupables le Hezbollah et Israël pendant le conflit qui les a opposés un mois durant.
« L’affirmation par Israël que les attaques des infrastructures étaient légales est de toute évidence erronée, a déclaré Kate Gilmore, secrétaire générale adjointe exécutive d’Amnesty International. Nombre de violations décrites dans notre rapport, telles que des attaques disproportionnées et menées sans discrimination, constituent des crimes de guerre. Les éléments suggèrent fortement que la destruction massive de centrales d’eau et d’électricité et d’infrastructures indispensables au transport de la nourriture et de l’aide humanitaire était délibérée et s’inscrivait dans une stratégie militaire. »
Le gouvernement israélien a affirmé qu’il prenait pour cibles les positions et les installations auxiliaires du Hezbollah et que les autres dommages occasionnés aux infrastructures civiles étaient dus au fait que le Hezbollah avait utilisé la population civile comme « bouclier humain ».
« Le mode, l’étendue et l’intensité des attaques ôtent toute crédibilité à l’affirmation d’Israël selon laquelle il s’agirait de dommages collatéraux », a déclaré Kate Gilmore.
« Les victimes civiles des deux parties au conflit ont droit à la justice. La gravité des violations commises rend d’autant plus urgente la tenue d’une enquête sur la conduite des deux parties. Il faut que les auteurs de crimes de guerre rendent des comptes et que les victimes obtiennent réparation. »
Intitulé Deliberate destruction or ‘collateral damage’ ? Israeli attacks against civilian infrastructure, le rapport s’appuie sur des informations de première main que l’organisation a rassemblées lors des entretiens avec des dizaines de victimes, de représentants des Nations unies, des Forces de défense d’Israël (FDI) et du gouvernement libanais qu’elle a réalisés au cours de missions de recherche récentes au Liban et en Israël. Certaines informations du rapport proviennent de déclarations officielles et de la presse.
Le rapport contient des éléments faisant état :
- de la destruction massive par les forces israéliennes de quartiers et de villages civils ;
- d’attaques de ponts dans des zones n’ayant pas d’importance stratégique flagrante ;
- d’attaques de stations de pompage et de traitement des eaux et de supermarchés, en dépit de l’interdiction de prendre pour cibles des objectifs indispensables à la survie de la population civile ;
- de déclarations de responsables militaires israéliens indiquant que la destruction d’infrastructures civiles faisait effectivement partie des objectifs de la campagne militaire israélienne visant à dresser la population et le gouvernement libanais contre le Hezbollah.
Le rapport décrit un modèle d’attaques disproportionnées et menées sans discrimination, qui ont provoqué le déplacement de 25 p. cent de la population civile. Ce modèle, rattaché aux déclarations officielles, montre que les attaques sur les infrastructures étaient délibérées et non pas inhérentes à la poursuite d’objectifs militaires légaux.
Amnesty International lance un appel en faveur de l’ouverture de toute urgence par les Nations unies d’une enquête exhaustive, indépendante et impartiale sur les violations du droit international humanitaire commises par les deux parties au conflit. L’enquête devra porter en particulier sur les conséquences de ce conflit sur la population civile ; elle devra avoir pour objectif de déterminer la responsabilité des individus dans les crimes de droit international qui ont été commis et d’accorder des réparations aux victimes.
Quelques extraits du rapport d’Amnesty International2
Amnesty commence par un bilan humain et matériel de l’action de Tsahal : « L’aviation israélienne a lancé plus de 7 000 attaques aériennes contre quelque 7 000 cibles au Liban entre le 12 juillet et le 14 août, tandis que la marine effectuait 2 500 autres bombardements. Très nombreuses, les attaques ont été particulièrement concentrées sur certaines régions. Outre les victimes civiles directes – on estime que 1 183 Libanais, dont un tiers d’enfants, ont été tués, 4 054 autres blessés et 970 000 déplacés -, les infrastructures civiles ont été gravement endommagées. Selon le gouvernement libanais, 31 “points vitaux” (aéroports, ports, stations hydrauliques et d’épuration, centrales électriques) ont été totalement ou en partie détruits, de même qu’au moins 80 ponts et 94 routes. Plus de 25 stations-service et environ 900 entreprises ont été touchées. Plus de 30 000 habitations, bureaux et magasins ont été détruits. Deux hôpitaux publics – ceux de Bint Jbeil et de Meiss ej Jebel – ont été complètement détruits par les attaques israéliennes et trois autres ont été gravement endommagés.
Plus de 25 % de la population de ce pays, qui compte moins de quatre millions d’habitants, a pris la route. On estime que 500 000 personnes se sont réfugiées dans la seule ville de Beyrouth ; beaucoup d’entre elles sont restées dans des parcs et autres lieux publics, sans eau ni possibilité de se laver. »
Amnesty arrive ainsi à la conclusion suivante : « On a de bonnes raisons de penser, d’après les éléments disponibles, que, loin d’être des “dommages collatéraux” – c’est-à-dire des dommages aux civils et aux biens de caractère civil causés incidemment par des attaques contre des objectifs militaires -, la destruction de grande ampleur des ouvrages publics, des installations et réseaux électriques, des habitations et des équipements industriels était délibérée et faisait partie intégrante de la stratégie militaire. » Et d’expliquer : « Les destructions de grande ampleur d’appartements, de maisons, d’installations électriques et de distribution d’eau, de routes, de ponts, d’usines et de ports, s’ajoutant à plusieurs déclarations de responsables israéliens, portent à croire qu’Israël avait pour politique de punir le gouvernement libanais et la population civile dans le but de les amener à se retourner contre le Hezbollah. Les attaques israéliennes n’ont pas diminué et leur forme n’a pas semblé se modifier même lorsqu’il est apparu clairement que les victimes des bombardements étaient essentiellement des civils, ce qui a été le cas dès les premiers jours du conflit. »
« Si affaiblir la volonté de lutte d’une population était considéré comme un objectif légitime, la guerre ne connaîtrait pas de limites »
Amnesty procède ensuite à l’analyse de ces attaques au regard du droit humanitaire international : « Dans un conflit armé, les forces militaires doivent établir une distinction entre les biens de caractère civil, qui ne peuvent être attaqués, et les objectifs militaires qui peuvent l’être sous certaines conditions. Le principe de distinction est un fondement des lois de la guerre. Les objectifs militaires sont ceux qui “par leur nature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution effective à l’action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offre en l’occurrence un avantage militaire précis”. Les biens de caractère civil sont “tous les biens qui ne sont pas des objectifs militaires”. Les biens qui sont normalement considérés comme des “biens de caractère civil” peuvent, dans certaines circonstances, devenir des objectifs militaires légitimes s’ils sont “utilisés en vue d’apporter une contribution effective à l’action militaire”. Toutefois, en cas de doute quant à une telle utilisation, le bien doit être présumé de caractère civil. »
Sont également définies les expressions « attaques indiscriminées » et « attaques disproportionnées » : « Les attaques directes contre des biens de caractère civil sont prohibées au même titre que les attaques menées sans discrimination, lesquelles frappent sans distinction des objectifs militaires et des biens de caractère civil. (…) S’il est établi que deux édifices d’un quartier résidentiel abritent des combattants, le bombardement de tout le quartier n’est pas légal. Les attaques disproportionnées, qui sont également prohibées, sont celles dans lesquelles les “dommages collatéraux” sont considérés comme excessifs par rapport à l’avantage militaire direct qui est attendu. »
Amnesty cite les justifications avancées par Israël : « Israël prétend que, dans cette optique, l’avantage militaire “n’est pas celui retiré de l’attaque particulière mais de l’opération militaire dans son ensemble”. » Mais le rapport rappelle : « Cette interprétation est trop large. Il arrive souvent que la notion d’avantage militaire soit interprétée de façon trop large, ce qui permet de justifier des attaques visant à affaiblir l’économie d’un État ou à démoraliser sa population civile. De telles interprétations mettent à mal l’immunité des civils. Un avantage militaire légitime ne peut se résumer à un “avantage indéterminé ou éventuel”. Si l’on considérait comme un objectif légitime des forces armées le fait d’affaiblir la volonté de lutte de la population ennemie, la guerre ne connaîtrait pas de limites. »
Autre méthode de combat interdite par le droit humanitaire international : « Il est également interdit d’utiliser la famine comme méthode de guerre ou d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de mettre hors d’usage des biens indispensables à la survie de la population civile. Le choix de certaines cibles – par exemple des stations de pompage d’eau et des supermarchés – laisse supposer qu’Israël a probablement violé la règle qui interdit de viser des biens indispensables à la survie de la population civile. »
La présence de combattants du Hezbollah se servant de civils comme boucliers humains ne peut pas non plus être invoquée par l’armée israélienne pour justifier ses actes : « Israël a affirmé que les combattants du Hezbollah s’étaient mêlés à la population civile dans le but de créer des boucliers humains. L’utilisation de civils pour protéger un combattant contre une attaque constitue un crime de guerre, mais le droit international humanitaire prévoit que cet acte ne délie pas l’adversaire de son obligation de protection de la population civile. »
Amnesty conclut, sur la question du droit humanitaire, à une responsabilité pénale individuelle pouvant être invoquée n’importe où à travers le monde par l’exercice d’une juridiction universelle : « Bon nombre des atteintes aux droits fondamentaux exposées dans le présent rapport constituent des crimes de guerre entraînant une responsabilité pénale individuelle. C’est notamment le cas des attaques visant directement des biens de caractère civil et des attaques disproportionnées ou menées sans discrimination. Les personnes à l’égard desquelles il existe de fortes présomptions de responsabilité dans de tels crimes peuvent être amenées à rendre compte de leurs actes devant des juridictions pénales du monde entier en vertu de l’exercice de la compétence universelle. »3
En plus des dégâts subis par les infrastructures civiles, les attaques ont également eu de graves conséquences environnementales :
« L’attaque contre la principale centrale électrique du Liban, à Jiyyeh, a eu des conséquences néfastes immédiates pour la population mais aussi des répercussions durables sur l’environnement et l’économie. Les forces israéliennes ont bombardé le 13 juillet, puis le 15 juillet, la centrale de Jiyyeh, située à environ 25 kilomètres au sud de Beyrouth, ainsi que ses réservoirs de carburant. L’incendie qui a fait rage pendant trois semaines a recouvert les régions voisines d’une fine poussière blanche de béton pulvérisé et rempli l’air de suie noire. Qui plus est, cette attaque a entraîné le déversement de 15 000 tonnes de fioul lourd dans la mer. La marée noire, qui a contaminé le littoral libanais sur plus de 150 kilomètres, s’étend vers le nord jusqu’aux côtes syriennes. Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), il s’agit d’un des pires désastres environnementaux jamais vus dans la région. Les opérations de nettoyage des côtes coûteront, selon les estimations, 120 millions d’euros et pourraient demander jusqu’à un an. »
Amnesty conclut son rapport en demandant au Conseil de sécurité et au Conseil des droits de l’homme des Nations unies d’inviter le secrétaire général de l’organisation à créer une commission d’experts indépendants, disposant des moyens nécessaires pour enquêter sur les violations du droit humanitaire international par chacune des parties du conflit, à savoir Israël et le Hezbollah.
- Index AI: MDE 18/007/2006 – le 23 Août 2006. Source (y compris les images) : http://www.amnestyinternational.be/doc/article.php3?id_article=8664.
- Le rapport complet d’Amnesty International, Deliberate destruction or ‘collateral damage’ ? Israeli attacks against civilian infrastructure (index AI : MDE 18/007/2006), est téléchargeable en anglais (138 kO au format DOC) :
http://www.amnestyinternational.be/doc/IMG/doc/Deliberate_destruction_MDE_18_007_2006_TEXT.doc.Les extraits que nous vous proposons ci-dessus en français proviennent de http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2006-08-25-Liban, sur le site du Monde Diplomatique.
- Souligné par LDH-Toulon.