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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

des Israéliens anticolonialistes face à BDS

Une conférence internationale se tiendra à Paris le 30 mai 2016, avec les ministres des affaires étrangères d’une vingtaine de pays, supposée relancer un processus politique entre Israéliens et Palestiniens et préparer une nouvelle rencontre avec eux. Mais sans pressions internationales fortes, comment amener l’État d’Israël à suspendre sa colonisation de la Cisjordanie, à se conformer au droit international et aux résolutions des Nations unies ? C’est dans ce but que, le 9 juillet 2005, 172 organisations non gouvernementales palestiniennes ont lancé la campagne BDS (boycott, désinvestissement, sanctions). En Israël même, ceux qui font partie de la minorité anticolonialiste demandent aussi que des pressions soient faites de l’extérieur pour obliger le gouvernement à cesser la colonisation, même s'ils ne soutiennent pas tous BDS, notamment en ce qui concerne le boycott des produits israéliens par les consommateurs d’Europe ou d’ailleurs. « Trop, c’est trop ! » publie sur son site trois points de vue d’Israéliens anticolonialistes à ce sujet : Gideon Levy, Shlomo Sand et Uri Avnery : Les israéliens anticolonialistes face au boycott d'Israël. Tous trois se rejoignent pour dénoncer les accusations d’antisémitisme à l’encontre de cette campagne, mais Avnery la juge contre-productive en raison des craintes et des préventions que le boycott des produits israéliens par les consommateurs suscite dans la société israélienne. Il nous incite à réfléchir sur la manière la plus efficace d’opérer des pressions sur Israël. En matière de « sanctions », la mesure la plus redoutée par le gouvernement Netanyahou est la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël. C’est elle qui est la plus susceptible de susciter des soutiens en Israël et c’est cette suspension que le gouvernement français et les gouvernements européens représentés à la conférence de Paris doivent mentionner explicitement si le gouvernement israélien refuse d’arrêter sa colonisation de la Cisjordanie.
Gilles Manceron, Fabienne Messica et Bernard Ravenel 2

Des Israéliens anticolonialistes face au boycott d’Israël

[27 avril 2016. Référence : Trop c’est trop.]

La campagne BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) a été lancée le 9 juillet 2005 par 172 organisations non gouvernementales palestiniennes, un an après l’avis de la Cour internationale de justice déclarant contraire au droit international le mur construit par Israël en territoire palestinien et « le régime qui lui est associé ». Cette campagne s’est développée dans différents pays dans le but d’amener l’État d’Israël à se conformer au droit international et aux résolutions des Nations unies. En Israël même, elle a rallié des soutiens au sein de la minorité anticolonialiste de l’opinion. Mais, parmi elles, tous ne l’appuient pas, notamment pour ce qui concerne le boycott des produits israéliens par les consommateurs d’Europe ou d’ailleurs.

Voici trois points de vue :

  • L’historien Shlomo Sand, auteur de nombreux ouvrages dont Comment le peuple juif fut inventé (Fayard, 2008), et La fin de l’intellectuel français ? : De Zola à Houellebecq est devenu favorable au boycott en 2015 quand il a pris conscience que la société israélienne ne pourra condamner la politique de colonisation que si elle ressent l’effet de sanctions internationales.
    Voir le débat avec Dominique Vidal organisé le 9 octobre 2015, à Paris – dans le cadre des Midis de l’Institut de recherches et d’études Méditerranée Moyen Orient (iReMMO) – sur le thème « Pourquoi la radicalisation d’Israël ? ».
  • L’écrivain et journaliste Uri Avnery, fondateur et l’un des responsables du mouvement pacifiste et anticolonialiste Gush Shalom, considère la campagne BDS comme légitime – contrairement aux accusations d’antisémitisme portées contre elle par le gouvernement Netanyahou et, en France, par le Crif et le Premier ministre Manuel Valls –, mais il la juge contre-productive en raison des craintes et des préventions que le boycott des produits israéliens par les consommateurs suscite dans la société israélienne.

Tous les trois se rejoignent pour dénoncer ces accusations d’antisémitisme à l’encontre de la campagne BDS, mais ce troisième point de vue nous incite à réfléchir sur la manière de la mener. Il est essentiel, en particulier, tout en combattant fermement la pénalisation en France du boycott, de ne pas oublier dans BDS la demande du « désinvestissement » des entreprises françaises impliquées dans la colonisation de Jérusalem et de la Cisjordanie, et la demande de « sanctions ». A commencer par la mesure la plus redoutée par le gouvernement Netanyahou : la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël.

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Le grand débat BDS, par Uri Avnery


Dans un article intitulé « Le grand débat BDS », publié sur le site de Gush Shalom le 12 mars 2016, Uri Avnery explique que le boycott des produits israéliens est un combat politique légitime et que c’est abusivement qu’il est traité par certains d’antisémite. Mais il se souvient aussi avoir vu, à 9 ans, des nazis arborant des pancartes « N’achetez pas à des Juifs ! » et estime que certains pourraient s’y infiltrer en se servant du boycott pour propager l’antisémitisme sous couleur d’antisionisme et d’anti-israélisme. 1.

À l’aide ! Je marche dans un champ de mines. Je ne peux pas m’en sortir par moi-même. Le champ de mines a un nom : BDS – boycott, désinvestissement, sanctions.

On m’interroge souvent sur mon attitude à l’égard de ce mouvement international, qui a été lancé par des militants palestiniens et qui s’est répandu comme une traînée de poudre dans le monde entier.

Le gouvernement israélien considère maintenant ce mouvement comme une menace majeure, plus encore, me semble-t-il que Daech ou l’Iran. Les ambassades israéliennes du monde entier sont mobilisées pour le combattre.

Le principal champ de bataille est le monde intellectuel. Des adhérents fanatiques de BDS ont des discussions acharnées avec des partisans d’Israël tout aussi fanatiques. Les deux parties font appel à des gens passés maître dans l’art de la discussion, à diverses méthodes de propagande, à de mauvais arguments et à de vrais mensonges. C’est un débat répugnant, qui devient de plus en plus répugnant.

Avant d’exprimer ma position, je voudrais déblayer le terrain. Quel est l’objet de tout cela ?

Tout au long des 70 années passées, depuis l’âge de 23 ans, j’ai consacré ma vie à la paix – la paix entre Juifs et Arabes, la paix entre Israéliens et Palestiniens. Bien des gens des deux bords parlent de paix. Mais actuellement, pour paraphraser le Dr Johnson, “paix” est devenu le dernier refuge de ceux qui incitent à la haine. Mais que signifie la paix ? La paix se conclut entre deux ennemis. Elle présuppose l’existence de deux partenaires. Lorsque l’une des parties détruit l’autre, comme Rome a détruit Carthage, cela met fin à la guerre. Mais ce n’est pas la paix.

La paix signifie que les deux parties ne se contentent pas d’arrêter les hostilités entre elles. Elle signifie conciliation, vie ensemble côte à côte, et, il faut l’espérer, coopération et, finalement, en arriver même à s’aimer mutuellement.

Par conséquent, affirmer une volonté de paix tout en menant une campagne de haine mutuelle n’est tout simplement pas la vraie démarche. En tout cas, ce n’est pas un combat pour la paix.

Le boycott est un instrument légitime de combat politique. C’est aussi un droit humain fondamental. Chacun a le droit d’acheter ou de ne pas acheter ce qu’il veut. Chacun a le droit de demander à d’autres d’acheter ou de ne pas acheter certaines marchandises, quelle qu’en soit la raison.

Des millions d’Israéliens boycottent des boutiques ou des restaurants qui ne sont pas “casher”. Ils pensent que c’est Dieu qui le leur demande. Comme je suis un pur athée, je n’y ai jamais souscrit. Mais je respecte toujours l’attitude des religieux.

Lorsque les nazis sont arrivés au pouvoir en Allemagne, des Juifs américains ont organisé un boycott contre les produits allemands. Les nazis réagissant en proclamant un jour de boycott des boutiques juives en Allemagne. J’avais 9 ans et j’ai encore un souvenir très clair du spectacle : des nazis à chemises brunes postés devant des boutiques juives, agitant des pancartes “Allemands, défendez-vous ! N’achetez pas à des Juifs !”

Le premier boycott contre l’occupation a été lancé par Gush Shalom, l’organisation de paix israélienne à laquelle j’appartiens. C’était bien avant l’apparition de BDS. Notre appel s’adressait au public israélien. Nous l’appelions à boycotter les produits des colonies de Cisjordanie, de la bande de Gaza et des hauteurs du Golan. Pour faciliter la chose, nous avons publié une liste de toutes les entreprises concernées.

J’ai aussi participé à des pourparlers avec l’Union européenne, ici et à Bruxelles, demandant de ne pas encourager la construction de colonies dans les territoires conquis. Il a fallu du temps pour que les Européens décident que les produits des colonies devaient être étiquetés.

Acheter ou ne pas acheter, quel qu’en soit le motif, est une affaire privée. Par conséquent, il est très difficile de savoir combien d’Israéliens ont répondu à notre appel. Notre impression c’est qu’un nombre considérable d’Israéliens l’ont fait et continuent de le faire.

Nous ne demandions pas aux gens de boycotter Israël en tant que tel. Nous considérions cela comme contre-productif. Face à une menace contre l’État, les Israéliens s’unissent. Cela aurait conduit à jeter des citoyens honnêtes et bien intentionnés dans les bras des colons. Notre objectif était tout à fait contraire : séparer le public en général des colons.

Le mouvement BDS a un point de vue totalement différent. Il a été initié par des nationalistes palestiniens, il s’adresse à une audience mondiale et est totalement indifférent aux sentiments israéliens.

Un mouvement de boycott n’a pas besoin d’un programme précis. L’objectif général de mettre fin à l’occupation et de permettre aux Palestiniens de créer leur propre État dans les territoires occupés aurait suffi. Mais BDS a annoncé clairement dès le départ un programme politique. Et c’est là que le problème commence.

Les objectifs annoncés par BDS sont au nombre de trois : mettre fin à l’occupation et aux colonies, garantir l’égalité pour les Arabes d’Israël, favoriser le retour des réfugiés. Cela semble inoffensif, mais ce n’est pas le cas. Il n’est pas fait mention de la paix avec Israël. Il n’est pas fait mention de la solution à deux États. Mais le principal élément est le troisième.

L’exode de la moitié de la population palestinienne de ses foyers lors de la guerre de 1948 – une partie pour fuir les combats d’une guerre longue et cruelle, une partie chassée délibérément par les forces israéliennes – est une histoire compliquée. J’étais un témoin oculaire et j’en ai parlé abondamment dans mes livres. (La seconde partie de mes mémoires vient seulement de paraître en hébreu.) Le fait marquant est le refus qui leur a été opposé de rentrer après la fin de la guerre, et l’attribution de leurs maisons et de leurs terres à des immigrants juifs, dont beaucoup étaient des réfugiés de l’Holocauste.

Inverser maintenant ce processus est aussi réaliste que de demander à des Américains blancs de retourner vers les pays d’où venaient leurs ancêtres, et de rendre le territoire à ses propriétaires d’origine. Cela signifierait l’abolition de l’État d’Israël et la création d’un État de Palestine de la Méditerranée au Jourdain, un État avec une majorité arabe et une minorité juive.

Comment réaliser cela sans une guerre avec un Israël doté de l’arme nucléaire ? Quel rapport cela a-t-il avec la paix ?

Tous les négociateurs palestiniens sérieux ont jusqu’à maintenant tacitement concédé ce point. J’en ai parlé plusieurs fois avec Yasser Arafat. L’accord tacite est que, dans le cadre d’un accord final de paix, Israël s’engagerait à reprendre un nombre symbolique de réfugiés, et que tous les autres avec leurs descendants – maintenant au nombre de cinq ou six millions – bénéficieraient d’une indemnisation satisfaisante. Tout cela dans le cadre de la solution à deux États. C’est là un programme de paix. En réalité le seul programme de paix qui soit. Les objectifs de BDS n’en sont pas un.

L’autre aspect du furieux débat à Oxford et Harvard est encore moins orienté vers la paix. Des légions de “justificateurs” sionistes – dont beaucoup sont des professionnels rémunérés – se déchaînent pour réfuter et rejeter les attaques BDS. Ils commencent par nier les faits les plus évidents : que l’État d’Israël opprime le peuple palestinien, qu’une occupation militaire impitoyable fait de la vie des Palestiniens un supplice, que “paix” est devenu un juron en Israël.

Il y a quelques jours un journaliste d’extrême droite de la télévision israélienne annonçait, en ne plaisantant qu’à moitié : “Le danger de paix est passé !”

La façon la plus simple d’exorciser et de mettre hors-la-loi les militants BDS est de les accuser d’antisémitisme. Cela clôt toute discussion raisonnable, en particulier en Allemagne et en général à l’étranger. Les gens qui nient l’Holocauste ne sont pas des gens avec qui l’on discute.

Il n’y a pas la moindre preuve à l’accusation que la majorité des sympathisants de BDS sont vraiment antisémites. J’ai la conviction que la grande majorité d’entre eux sont de fervents idéalistes, dont le cœur penche pour les Palestiniens opprimés, comme des Juifs au cours des âges ont couru au secours de populations opprimées, qu’ils soient des noirs américains ou les moujiks russes.

Pourtant, et il faut le dire, il y a des adeptes de BDS qui font des déclarations au ton clairement antisémite. Pour un simple antisémite de la vieille école, BDS est de nos jours une tribune sûre de laquelle il peut prêcher son détestable évangile, sous couleur d’antisionisme et d’anti-israélisme.

Je voudrais (une fois de plus) avertir les Palestiniens et leurs vrais amis que les antisémites sont en réalité pour eux des ennemis dangereux. Ce sont eux qui poussent des Juifs du monde entier à s’établir en Israël. Ces antisémites n’ont rien à foutre des Palestiniens, ils exploitent leur souffrance pour s’adonner à leur propre perversion anti-juive ancestrale.

Et inversement : des Juifs qui s’associent joyeusement à la nouvelle vague d’islamophobie, avec l’impression erronée qu’ils aident ainsi Israël, commettent une grave erreur semblable. Les islamophobes d’aujourd’hui sont les antisémites d’hier et de demain.

Les Palestiniens ont besoin de paix pour se libérer de l’occupation et obtenir, enfin, la liberté, l’indépendance et une vie normale.

Les Israéliens ont besoin de paix parce que sans elle nous allons nous enfoncer de plus en plus profondément dans le marécage d’une guerre éternelle, perdre la démocratie qui fut notre orgueil pour devenir un État d’apartheid méprisable.

Le débat BDS peut attiser les haines réciproques, élargir l’abîme entre les deux peuples, les séparer encore davantage. Seule une coopération active entre les camps de la paix des deux bords peut obtenir la seule chose dont l’un et l’autre ont désespérément besoin :

LA PAIX.

Uri Avnery

le 12 mars 2016

  1. Référence : http://www.france-palestine.org/Le-grand-debat-BDS.

    Traduction de l’anglais de « The Great BDS Debate » pour l’AFPS par FL/SW. Cette traduction, comme celle de tous les autres articles d’Uri Avnery publiés sur le site de Gush Shalom depuis 2004, figure sur le site de l’AFPS.
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