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Édition du 1er au 15 novembre 2024

Des historiens en guerre contre la colonisation « positive »

Des historiens expriment leur colère contre la loi du 23 février 2005, un texte de loi qui prévoit une réécriture du passé français. Ils sont plus d'un millier à avoir signé la pétition, « Colonisation, non à l'enseignement d'une histoire officielle ». Un autre appel dénonce le « mépris de l'histoire et des victimes ». Une conférence de presse s'est tenue à la Ligue des droits de l'homme. Nous reproduisons l'article de Didier Arnaud qui en rend compte dans "Libération" le 14 avril 2005.

Colère contre un texte de loi qui prévoit une réécriture du passé français

par Didier Arnaud, article publié dans « Libération » le 14 avril 2005.

Les historiens ont tiré les premiers. Car c’est leur discipline qu’on insulte. Ils sont plus d’un millier à avoir signé : « Colonisation, non à l’enseignement d’une histoire officielle ». La semaine dernière, l’appel s’est élargi et dénonce le « mépris de l’histoire et des victimes ». Hier, lors d’une conférence de presse à la Ligue des droits de l’homme, historiens et personnalités de la société civile sont venus redire tout le mal qu’ils pensent de ce « mépris ». Celui-ci est contenu dans la loi ­ du 23 février 2005 ­sur la « reconnaissance de la nation et la contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». Elle prévoit que «les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit».

« Activistes ». Ce rôle « positif » ne passe pas. Pour Henri Alleg, les époux Aubrac. Mais aussi pour Guy Bedos, Patrice Chéreau, le philosophe Etienne Balibar ou le syndicaliste Gérard Aschieri (FSU). Avec eux, des sommités comme Pierre Vidal-Naquet. « Cette loi apparaît comme un règlement de comptes, c’est une instrumentalisation et une exploitation du passé », explique l’historien Claude Liauzu, qui a beaucoup oeuvré pour que cette mobilisation prenne forme. « Derrière cet article, il y a un groupe d’activistes qui a réussi à imposer son point de vue sur la guerre d’Algérie. Cela nous annonce de nouvelles agitations qui vont jusqu’à la repentance. On trouve les relents des activistes de la guerre d’Algérie et un parfum de l’OAS. »

Ce texte contient aussi des dangers pour la société d’aujourd’hui. Gérard Noiriel évoque cette « confiscation » de l’histoire. Mettre l’accent sur les aspects positifs de la colonisation, c’est, pour lui, « contribuer au sentiment d’humiliation qui risque d’accentuer le repli sur soi. Cela va à l’encontre de la politique d’intégration ». Lui, il parle de «sauver la recherche scientifique ».

Un des dangers de cette loi « c’est de ne plus avoir besoin d’historiens, de les pousser à mettre la clé sous la porte», selon les mots de Gilbert Meynier. Cette loi «inepte et stupide » va susciter des «âneries symétriques». Et, en plus, elle brise la dialectique. « Toute injonction officielle est contraire à l’esprit historien », dit Meynier.

« Glaciation ». Avec Mohammed Harbi, le sujet s’est un peu élargi. «Depuis des années, on travaille à un dégel pour faire l’histoire ensemble, entre Français et Algériens. Cette loi vient au secours du parti de la glaciation», a-t-il simplement dit. D’un point de vue «strictement juridique», Thierry Le Bars a enfoncé le clou. Il a souligné combien cette loi posait le problème de la « compétence du législateur ». Ce dernier ne peut empiéter sur le contenu des manuels scolaires. « Il n’est pas là pour dire l’histoire mais pour poser des règles. » Le Bars cite la loi Gayssot sur le négationnisme, ou la loi Taubira sur la traite et l’esclavage. Ces faits ont « existé ». Mais, a-t-il conclu, « il n’est pas évident du tout que le rôle de la colonisation ait été positif ». Et dans un point de vue, il écrit : « Je repense à ce qu’a été la colonisation, au statut juridique indigne des musulmans d’Algérie, aux massacres de Sétif en 19451, à tous ces malheureux qui, jusqu’en 1848, ont vécu l’enfer de l’esclavage pour assurer la prospérité de nos îles à sucre. »

  1. Le 27 février dernier, la France, par l’intermédiaire de l’ambassadeur de France à Alger, a reconnu pour la première fois sa responsabilité dans ce drame.
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