Fondée il y a près de quarante ans, l’Association des amis de Max Marchand, Mouloud Feraoun et leurs compagnons travaille à établir la vérité sur l’assassinat, le 15 mars 1962, à Alger, par les « commandos Delta » de l’OAS, à la veille des Accords d’Evian, de six inspecteurs des Centres sociaux éducatifs, Marcel Basset, Robert Eymard, Mouloud Feraoun, Ali Hammoutène, Max Marchand et Salah Ould Aoudia.
Un assassinat particulièrement emblématique de la fin de cette guerre puisque les terroristes de l’OAS ont tué en même temps ce jour-là trois enseignants venus de France et trois enseignants algériens, dont l’écrivain Mouloud Feraoun.
Cette association a fait un travail considérable, avec la publication régulière de son bulletin trimestriel intitulé Le Lien,


et aussi de plusieurs ouvrages : L’assassinat de Château-Royal Alger 15 mars 1962. Éd. Tirésias, 1992.

Deux fers aux feux Éd. Tirésias, 2014.

OAS Archives inédites Révélations Éd. Tirésias, 2024.

et elle organise chaque année, le 15 mars, devant la plaque apposée en 2001 au siège d’un ministère, au 101, rue de Grenelle, des hommages aux six inspecteurs victimes du terrorisme d’extrême droite des jusqu’au-boutistes de l’Algérie française.

Ci-dessous un article de Jean-Philippe Ould Aoudia, dont la version définitive paraîtra dans le n° 76 du Lien en décembre 2025. Il y complète son dernier livre OAS Archives inédites Révélation en faisant état d’une « Note corrective » qui, à la demande de la famille de Michel Levallois, figure dans la revue Le Lien, n° 75, page 33, décembre 2024. Et il explique aussi les recherches complémentaires que ça l’a conduit à faire, qui éclairent de manière décisive ce crime et le contexte de celui-ci.
Complément et fin d’enquête sur l’assassinat des six inspecteurs des Centres sociaux à Alger le 15 mars 1962
par Jean-Philippe Ould Aoudia, pour histoirecoloniale.net.
Dans une « Note corrective » à mon dernier livre, OAS Archives inédites Révélations, la famille de l’ancien préfet Michel Levallois a mis en doute la rigueur de mon travail et demandé que cette note paraisse dans Le Lien, n°75, revue de notre association inscrite au catalogue international des périodiques, consultable à la BnF et sur notre site Internet.
Cela m’a incité à poursuivre mes recherches qui ont confirmé une partie de l’enchaînement des faits, soupçonnée mais jusque-là difficile à démontrer, ayant conduit à l’attentat commis par l’OAS le 15 mars 1962 à Chateau-Royal et dont furent victimes six dirigeants des Centres Sociaux Éducatifs en Algérie. Avec ces dernières informations, l’enquête peut être considérée comme terminée.
Il m’est reproché d’avoir reproduit trois citations dont je cite trois fois la référence : « La mission C » Alger, décembre 1961-juin 1962 (Éd. Fauves, 2022, 556 p.) de Roger Le Doussal. Dans sa « Note corrective » madame Geneviève Levallois affirme : « Or je suis certaine que mon mari n’a jamais remis aucun document à Roger Le Doussal pour la bonne raison que ces supposées archives algériennes de Michel Levallois n’existent pas. »
Or, ces archives algériennes existent, librement consultables dans le fonds Le Doussal, déposé au Centre de Documentation Historique sur l’Algérie, cote 509 ARC 20 : Financement de la lutte contre l’OAS. Documentation (1962). Correspondance avec le préfet Levallois (2012). Elles contiennent cette invitation adressée par Michel Levallois à Roger Le Doussal le 22 mai 2012 : « Seriez-vous libre pour un déjeuner le jeudi 7 juin ? On se retrouverait […] vers 13 heures. D’ici là, j’aurai pris le temps de regarder ce qui me reste de mes archives algériennes du Rocher Noir. »
Roger Le Doussal, ancien commissaire principal aux Renseignements généraux de la Sûreté nationale en Algérie, ancien « directeur, chef de l’Inspection générale de la police nationale en France », ancien président de la délégation « Guerre d’Algérie » de la Société française d’Histoire de la Police, en homme poli et reconnaissant, écrit page 28 du livre, La mission C, note 31 : « Je remercie feu le préfet Michel Levallois, qui était alors au cabinet de Jean Morin un jeune énarque chargé des fonds spéciaux, de m’avoir remis quelques preuves écrites de leur importance. » C’est donc à bon droit que sont attribués à Michel Levallois les documents que publie Roger Le Doussal.
Par ailleurs, madame Levallois estime que : « L’auteur [de OAS Archives inédites Révélations] a eu maintes occasions d’échanger [sur le crime de Château-Royal] avec mon mari décédé en 2018, adhérent fidèle et actif de l’Association pendant des années et avec lequel il entretenait aux yeux de tous des relations confiantes. »
Comment imaginer qu’en 1962 Michel Levallois était « chargé des fonds spéciaux » versés à l’important dispositif mis en place par la délégation générale pour combattre l’OAS ? Comment imaginer que monsieur Levallois aurait pu conserver de 2003 à 2018, pendant 15 ans de relations « confiantes », des informations et des documents de cette importance et ne jamais en informer l’association qui a pour but « de faire éclater, en toutes circonstances, la vérité sur les crimes commis pendant la guerre d’indépendance » (statuts : article 2 § 5) ?
Les archives algériennes du Rocher Noir concernent la fin de la guerre d’Algérie, la « Note corrective » n’est qu’une des réactions maladroites que provoquent des révélations très embarrassantes pour les responsables en poste à Rocher Noir, siège de l’administration centrale en Algérie depuis le 25 septembre 1961.
L’appareil répressif chargé de la lutte anti OAS en 1962 est dirigé par le préfet Louis Verger, directeur du cabinet civil et militaire du délégué général. En 1960, Verger était préfet d’Orléansville avec Levallois comme chef de cabinet. Les deux hommes s’estiment et en 1969, lorsque Verger est nommé Haut-commissaire de la France en Nouvelle-Calédonie, il choisit Levallois comme secrétaire général.
En 1962 les fonds spéciaux attribués à la délégation générale sont d’un montant très élevé. Pour les quatre mois de décembre 1961, janvier, février et mars 1962, l’équivalent de 5.788.323 € sont consacrés à la lutte anti OAS. Ils servent aux frais de mission des fonctionnaires de police de la Mission C, aux frais de « subsistance » des chauffeurs militaires mis à leur disposition ainsi qu’aux « bz » pour barbouzes. C’est Verger qui fournit faux-papiers, armes et laissez-passer à ces milices aux méthodes illégales : destructions par explosifs de biens privés, arrestations et détentions de membres de l’OAS sans aucun mandat.
Ainsi, sous l’apparence d’aventuriers livrés à eux-mêmes, on découvre que ces hommes de main sont en réalité placés sous la tutelle du directeur de cabinet du délégué général, devenant alors des supplétifs officiels du détachement de la police judiciaire en mission à Alger (DPJMA. Voir OAS archives inédites pp. 44-46). Roger Le Doussal, ancien chef de l’Inspection générale de la police nationale cherche à en savoir plus sur cette singulière collaboration entre la PJ républicaine et les « bz ». Il écrit en février 2012 à Michel Levallois, avant leur déjeuner du 7 juin dans un restaurant près de la bibliothèque de l’Arsenal : « Je suis très impatient de connaître ce que vous accepteriez de me communiquer sur la façon dont au Rocher Noir, le préfet Verger gérait et orientait l’action des barbouzes. […] Je suis très intéressé par l’action de la Mission C et par son articulation avec les barbouzes. »
Cette articulation contre nature traduit le manque de moyens légaux dont dispose l’État pour combattre le terrorisme français. Ne pouvant compter ni sur son armée tentée par le putsch, ni sur la police locale ostensiblement hostile à sa politique, l’État, en Algérie, en est réduit à acheter ses défenseurs avec les fonds spéciaux gérés par Levallois selon les directives de Verger.
Le Service de Formation de la Jeunesse en Algérie (SFJA) participe aussi à la lutte anti OAS. Sous le manteau. Il est dirigé par René Petitbon, nommé Commissaire général à la Jeunesse, titre qui était tout autant une couverture qu’une mission selon son chef de cabinet Pierre-Yves Cossé, dans Le Vermeil et la Vie (Éd. Sépia 1998, p. 97). La couverture consistait à encadrer les jeunes algériens pour éviter leur engagement dans le FLN et rattacher le SFJA aux Centres sociaux éducatifs.
La mission, quant à elle, consistait à chapeauter quelques 200 informateurs. Paul Henissart, dans Les combattants du crépuscule (Éd. Grasset, 1971, p.386), écrit : « La police française est on ne peut plus avare de détails sur la capture des principaux chefs de l’OAS, lesquels furent arrêtés presque toujours sur dénonciation d’agents doubles ou d’informateurs. » Les agents doubles et les informateurs n’étant pas des bénévoles, les fonds spéciaux servant à les payer grassement.
Mais il est une autre mission confiée à René Petitbon, encore plus obscure que la précédente : celle consistant à négocier très secrètement avec des civils, membres actifs de l’OAS, une partition de l’Algérie l’une française, l’autre algérienne. Cette activité de l’ombre concerne directement l’enquête.
En effet, le mercredi 14 mars 1962 vers 14 heures, René Petitbon est averti par un de ses interlocuteurs civils que le clan militaire de l’organisation farouchement opposé à la partition, vient d’ordonner son assassinat. Il informe le délégué général car, condamné à mort, il ne peut plus poursuivre ses entretiens sur la partition et toute stratégie visant à diviser l’organisation est définitivement compromise. Il informe aussi les responsables des services chargés de la lutte anti OAS puisque sa mission cachée consiste précisément à leur transmettre les informations recueillies par ses réseaux et là, c’est l’OAS qui le tuyaute directement. Tous ceux qui, à la délégation générale, sont engagés contre les terroristes français disposent donc le 14 après-midi, et du jour, et du lieu, et de l’heure où le Commissaire général à la Jeunesse doit se rendre le lendemain. D’ailleurs René Petitbon téléphone à Max Marchand, le chef du service des Centres Sociaux Éducatifs et l’avertit qu’il n’assistera pas à la réunion prévue le 15 à 10 heures 30 au siège du service et lui recommande la prudence. Sans plus de précisions.
Si une partie des hauts fonctionnaires mis à l’abri à Rocher Noir, coupés de leurs services situés à Alger sont désoeuvrés, il est des fonctionnaires de l’Éducation nationale, restés à leur poste et qui travaillent, tels Marchand et ses collègues. Suivant les conseils de prudence donnés par Petitbon, Marchand déplace le lieu de réunion du bâtiment principal dans un baraquement un peu à l’écart.
Le septième nom appelé par l’un des terroristes ayant fait irruption dans la salle le 15 mars fut « Petitbon ». Absent, il eut la vie sauve mais pas les six autres, dont Max Marchand que le Commissaire général à la jeunesse avait eu la veille au téléphone.
Pourquoi l’information de première main fournie par celui qui en savait beaucoup sur l’OAS n’a-t-elle pas été exploitée ? Pour les besoins de mon enquête j’avais rencontré en 1991 Anne Loesch qui avait rencontré Petitbon dans la perspective d’une partition de l’Algérie. Quelques jours près notre entretien, elle m’écrivit ceci : « …Cet homme (Petitbon) était très informé. Nous ne pouvions pas nous déplacer sans qu’il fût au courant. Il a toujours su où nous trouver ! À la différence des six Inspecteurs de l’Enseignement assassinés, il exerçait des fonctions qui lui permettaient de disposer d’un excellent réseau de surveillance […]. »
L’enquête se termine ici sur la responsabilité de l’État dans l’assassinat de Château-Royal. Pierre-Yves Cossé, chef de cabinet de Petitbon, écrit en utilisant le nous collectif : « …sous-estimant le risque OAS, nous n’avions pas demandé l’annulation de la réunion […]. Nous préparions les obsèques en étant conscients d’avoir manqué de vigilance […]. Nous nous sommes sentis coupables de légèreté […]. Nous n’avions ni envisagé le risque, ni pris de mesures particulières de protection, ni interdit la réunion […]. »
Plus sévèrement, Paul Hénissart parle : « …de l’indifférence avec laquelle les milieux officiels considéraient les événements d’Alger ». Le manque de vigilance, la légèreté, l’indifférence, l’incompétence au sein de la délégation générale ont eu des conséquences tellement épouvantables que le secret sur cet énorme fiasco devenait un devoir de loyauté envers l’État, fût-ce aux dépends de la vérité due. « La vérité d’un homme, c’est d’abord ce qu’il cache » écrit André Malraux dans La condition humaine (Éd. Gallimard, 1972.
Pendant les quinze années au cours desquelles il fut pourtant un adhérent fidèle et actif de l’Association, Michel Levallois n’a rien dit de ce qu’il savait. Son épouse défend sa mémoire. Ce faisant, ils valident mes soupçons de toujours sur l’inaction fautive de la délégation générale, particulièrement celle des services engagés dans la lutte anti OAS au sein desquels l’ancien préfet exerçait.
Les fils de René Petitbon, un moment tentés par l’ouverture d’une procédure contre moi, ont finalement reconnu en 1992 que leur père avait bénéficié d’un tuyau qui lui avait sauvé la vie. Et pourtant Pierre-Yves Cossé, son ancien chef de cabinet n’hésite pas à écrire en 1998 : « …Dans un court livre, Jean-Philippe Ould Aoudia, kabyle, soutient que Petitbon a été informé de l’opération par l’intermédiaire d’un agent double avec qui il était en relations. Je suis intimement convaincu du contraire ». Plus tard, il ment encore : « René Petitbon était malade, ainsi qu’en témoigne formellement son chef de cabinet P.-Y. Cossé, dont j’ai en 2014 recueilli le témoignage », écrit Le Doussal. Tout est délibérément faux.
À la dénégation, au silence et aux mensonges avec un brin de suffisance et de racisme, il y eut d’autres obstacles pour étouffer la vérité. Le 16 mars, le procureur général près la cour d’appel d’Alger écrit au ministre de la Justice : « …Je ne manquerai pas de vous tenir informé ». Il répond à une demande du ministère formulée le jour même de l’assassinat collectif qui s’avère une affaire très délicate pour le gouvernement.
En effet, un haut responsable de la délégation générale dialogue avec une organisation terroriste qui mitraille six fonctionnaires de l’Éducation nationale. D’autre part, cette même personnalité est reçue début janvier 1962 par Louis Joxe, ministre d’État chargé des Affaires algériennes, pour l’informer de ses entretiens avec des membres de l’OAS sur la partition de l’Algérie, en pleines négociations du même Joxe avec les Algériens sur l’indépendance de leur pays.
Le parquet, placé sous l’autorité du garde des Sceaux, décide de contrôler l’avancée de l’enquête et désigne Jean-Charles Puech comme juge d’instruction « …envoyé de métropole à Alger pour prendre en charge l’instruction d’affaires sensibles qu’elles concernent les partisans de l’Algérie française ou la torture. »
Exfiltré d’Alger, René Petitbon est envoyé à 500 kilomètres pour assurer l’intérim du préfet de Bône, sous une fausse identité, « …cas sans doute unique dans les annales de la République » selon Le Doussal. Il échappe ainsi aux enquêteurs dont il n’avait rien à craindre puisque l’officier de police judiciaire chargé des investigations écrit le 17 mars au procureur militaire : « …Les recherches très activement poussées […] n’ont abouti à ce jour à aucun résultat positif ». Enquête bâclée en 48 heures !
Grâce au courage, à l’engagement du directeur des éditions Tirésias, un peu de lumière a été arraché aux ténèbres au fond desquelles beaucoup a été entrepris pour que Château-Royal y reste définitivement plongé.
Quid quid labet apparebit : Tout ce qui est caché apparaîtra
(Dies Irae).
La demande de reconnaissance de ces enseignants comme « Victime du terrorisme »
Extraits de la demande au Garde des Sceaux d’attribution de la mention « Victime du terrorisme » déposée le 24 avril 2025 à laquelle aucune réponse n’a été donnée.
Le Secrétariat général du service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (SADJAV) a accusé réception du dossier que maître Laurent Péquignot, avocat de Ludovic Eymard, Paule Morain et Jean-Philippe Ould Aoudia, a fait parvenir au ministre de la Justice, de demande d’attribution de la mention « Victime du terrorisme », à Robert Eymard, Max Marchand et Salah Henri Ould Aoudia. Le chef de cabinet de Laurent Marcangeli, ministre de la Fonction publique, de la Transformation et de la Simplification a été rendu destinataire par courriel du même dossier (par transparence, le garde des Sceaux en a été informé).
La base légale de la demande
En droit, l’article L. 514-1 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre dispose :
« Le ministre de la Justice peut décider, avec l’accord des ayants-droits, que la mention “Victime du terrorisme” est portée sur l’acte de décès de toute personne victime d’actes de terrorisme commis sur le territoire national ou des personnes de nationalité française victimes à l’étranger d’un acte de terrorisme.
Lorsque, pour un motif quelconque, la mention “Victime du terrorisme” n’a pas pu être inscrite sur l’acte de décès au moment de la rédaction de celui-ci, elle est ajoutée ultérieurement dès que les éléments nécessaires de justification le permettent. »
[…]
Dès lors qu’aucun élément ne s’oppose juridiquement à l’attribution de la mention « Victime du terrorisme » sur l’acte de décès des six victimes de l’assassinat de Château-Royal, il vous appartient la décision de la leur accorder, par égard à leur sacrifice et leur mémoire.
Je vous prie de bien vouloir croire, Monsieur le garde des Sceaux, en l’assurance de ma très haute considération.
Laurent Péquignot,
Avocat à la Cour.