Les manifestations se sont déroulées sur deux jours.
La commémoration a commencé dimanche matin 22 août, au cimetière de Thiaroye, dans la banlieue de Dakar, où le président Wade a déposé une gerbe de fleurs dans ce lieu chargé d’histoire.
Le massacre de Thiaroye. 1
Des tirailleurs sénégalais, libérés des camps de prisonniers de guerre allemands, et démobilisés, débarquent le 21 novembre 1944 à Dakar. Rassemblés au camp de Thiaroye, à quelques kilomètres de la capitale, ils attendaient de recevoir les arriérés de leur solde et de pouvoir échanger leurs marks. En France, malgré leurs réclamations, on le leur avait refusé sous divers prétextes, et on leur avait promis que tout cela se ferait au Sénégal. Mais ici non plus rien ne venait; ils recevaient seulement un nouvel ordre de départ … C’en était trop. Les tirailleurs protestèrent, manifestèrent sans doute. Aussitôt l’armée française intervint et ouvrit le feu. Combien de morts ? 25, 38, 60 ou plus ? En tout cas, un massacre, aisé de surplus puisque les tirailleurs n’avaient pas d’armes. Et pour avoir réclamé leur dû, quelques-uns de ceux qui n’avaient pas été tués passèrent en jugement et furent emprisonnés jusqu’à une grâce présidentielle en avril 1947.
Le massacre a pu être étouffé par la censure militaire parce qu’il avait eu lieu le 1-er décembre 1944, donc alors que la guerre durait encore.
Lundi matin, 23 août, les présidents Amadou Toumani Touré (Mali), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Idriss Déby (Tchad), Mathieu Kérékou (Bénin), et le Premier ministre mauritanien, Sghaïr Ould M’Bareck, étaient réunis à Dakar aux côtés du chef de l’État sénégalais pour l’inauguration de la journée.
S’exprimant au nom du président français Jacques Chirac, l’ancien ministre Pierre-André Wiltzer a évoqué la tuerie de tirailleurs sénégalais à Thiaroye en 1944, un évènement « tragique et choquant ».
« Ceux qui portent la responsabilité » de cet évènement « ont sali l’image de la France (…) », a déclaré M. Wiltzer.
La « Place du tirailleur » a été inaugurée, devant la gare Dakar-Niger, lieu symbolique puisque c’est d’ici que partaient nombre de tirailleurs, avec en son centre, le monument dédié au tirailleur africain (Demba) et à son frère d’armes européen (Dupont).
L’après-midi du 23 août, décrété » chômé et payé « , a été marqué par des manifestations populaires : un défilé de tirailleurs dans leurs tenues d’époque, un spectacle de la cavalerie de la Garde rouge sénégalaise. À 17 heures, le chef de l’État a présidé la cérémonie d’inauguration de la “Place du Tirailleur”.
Lu dans la presse sénégalaise
–Tirailleur : « de tir et ailleurs, ainsi appelé par raillerie parce que ratant souvent leur cible » (Cheikh Faty Faye, historien à l’ENS de Dakar). 2
–Revoilà Demba et Dupont … par Jean M. Diop 3
Revoilà Demba et Dupont, la célèbre sculpture qui décorait le rond-point de la place Soweto, juste devant l’Assemblée nationale.
La célèbre oeuvre d’art a repris du service sur la place de la Gare débaptisée pour s’appeler désormais place des Tirailleurs africains. Ceux qui ont de la mémoire et qui auront vu la statue se dresser de nouveau dans quelque coin de Dakar se seront frottés les yeux ou se piquer la peau pour s’assurer qu’ils ne rêvent pas. En effet, que de passion, de colère et de vexations clamées cette statue aura déclenchées durant toute sa présence sur ce rond-point de l’Assemblée nationale. Elle est injurieuse, avaient argumenté les détracteurs de Demba et Dupont allégorie de la fraternité d’armes entre le tirailleur africain et le soldat français. Le régime socialiste cédant aux cris outrés déboulonna la statue et la remisa dans quelque entrepôt et fit remplacer l’oeuvre d’art honnie par une sculpture de l’artiste dakarois Babacar Sédikh Traoré.
C’est la même contestation des symboles de la colonisation française qui par son résultat provoqua la disparition de la maison militaire des statues de Faidherbe 4 et du gouverneur Van Vollenhoven dont le socle de l’une supporte un fier guerrier ceddo alors que celui de l’autre reste encore vide dans cette ancienne Maison militaire devenue primature. Dans le sillage furent débaptisés nombre d’établissements scolaires. Mais voilà que moins de deux générations après, Demba et Dupont est de retour, astiquée, repeinte, débarassée de sa patine et objet de toutes les attentions. La statue n’est plus injurieuse, ou alors ce qui était valable dans les années 80, ne l’est plus. Nous sommes au XXIè siècle !
–Demba et Dupont : honte d’hier, honneur d’aujourd’hui 5
Demba et Dupont, la statue qui surplombe la nouvelle place du Tirailleur à Dakar, n’aurait plus jamais dû se retrouver dans une avenue de Dakar. Tout comme les statues et médaillons de Van Vollenhoven et trois autres anciens gouverneurs. L’article que nous reproduisons ci-dessous date de 1983. Aujourd’hui, il pourrait aider à juger de la pertinence ou non de réhabiliter la sculpture jadis combattue et honnie. Une manière de relancer le débat, après le billet précédent.
Dans la nuit du 13 au 14 août 1983 6, les autorités sénégalaises ont fait enlever, à Dakar, deux grands monuments de la colonisation. Le premier est la statue de Faidherbe, qui fut gouverneur du Sénégal de 1854 à 1865. Ce monument se trouvait en face du palais de la présidence de la République, dans le jardin du bâtiment qui abrita successivement le Grand Conseil de l’Aof (1947-1957) et la chancellerie provisoire de l’ambassade de France avant de devenir la Maison militaire de la présidence.
Le second est le monument qui se trouvait en face de l’Assemblée Nationale, au centre de la place Tascher. A son sujet, le professeur Iba Der Thiam, ministre de l’Education nationale du Sénégal, écrivait le 7 septembre dans le quotidien Le Soleil : «Désirant célébrer à la fois la grandeur de l’œuvre «civilisatrice» de la France incarnée par certaines figures, dont l’action au service de la colonisation avait été jugée exemplaire, et l’expression de la fidélité et du loyalisme des populations africaines à la Mère Patrie, comme on disait alors, le gouvernement (français) avait d’abord marqué d’un éclat particulier la pose de la première pierre du monument du Souvenir Africain, le 11 novembre 1923. Le 30 décembre, il avait procédé à l’inauguration d’un autre monument dédié, cette fois-ci, «A la gloire des troupes noires et aux créateurs disparus de l’Afrique occidentale fançaise».
Deux statues, représentant un tirailleur sénégalais et un soldat français (surnommés, par les Dakarois, Demba et Dupont) marchant ensemble vers la victoire, se dressaient sur un piédestal. Sur celui-ci, étaient fixés cinq médaillons représentant Faidherbe et quatre gouverneurs généraux de l’Aof : Noël Ballay (1900-1902), William Ponty (1908-1915), François Clozel (1916-1917), Joost Van Vollenhoven (1917).
Après vingt ans d’indépendance, ces deux monuments placés, l’un en face du siège du pouvoir exécutif, l’autre en face de l’Assemblée législative, semblaient opposer deux périodes, deux systèmes politiques, deux destins nationaux. Leur symbolisme originel était mort, et leur présence blessait l’orgueil national de nombreux citoyens. Les autorités sénégalaises ont décidé de les transférer dans le futur musée d’histoire que l’armée se propose de créer. Ils y seront les témoins d’une période importante de l’héritage national, celle de l’occupation coloniale. L’exemple sénégalais pourrait être suivi par d’autres pays de l’Afrique libre, indépendante et maîtresse de son devenir.
- Yves Benot, Massacres coloniaux, éd. La Découverte.
- Wal Fadjiri, le 22 août 2004.
- Wal Fadjri, le 24 Août 2004.
- Louis Faidherbe (1818-1889), général et colonisateur français ; il créa les premiers bataillons de tirailleurs sénégalais, en 1857.
- Wal Fadjri, le 25 Août 2004. Le chapeau de Wal Fadjiri a été abrégé pour éviter les redites.
- Décolonisation culturelle, in revue Afrique histoire (n° 9 page 63, année 1983).