Le cimetière oublié des enfants de Saint-Maurice
par Prisca Borrrel, publié par Mediapart le 11 août 2022.
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Entre 1962 et 1964, trente et un enfants de harkis ont été enterrés à même le sol sur un terrain militaire situé non loin du camp de Saint-Maurice, dans le Gard. Avant d’y être volontairement oubliés… Pour l’heure, les fouilles menées officiellement sont restées vaines.
Saint-Maurice (Gard).— Parfois, il est des documents d’archives comme des bombes. Ça explose au visage sans prévenir.
C’est ce qui est arrivé à Nadia Ghouafria lorsqu’elle a découvert par hasard la preuve qu’un cimetière d’enfants de harkis avait été créé par l’administration du camp de Saint-Maurice, dans les années 60. « Ça fait vingt ans qu’on le cherche, réagit Hacène Arfi, de l’association Coordination Harka. Nous, nous avions des témoignages, mais pas les documents. »
Début 2016, Nadia Ghouafria entreprend des recherches aux archives départementales du Gard pour le compte de l’association d’anciens combattants Aracan, dont elle est encore membre du bureau lorsque Mediapart la rencontre en mai 2022. « J’avais travaillé sur un projet de stèle, et je me suis prise de passion pour ces recherches, en me disant que je retrouverais peut-être un document concernant le passage de mes parents dans le camp », confie la jeune quinquagénaire.
C’est ainsi qu’elle tombe sur un dossier « non communicable ». Intriguée, elle rédige une demande d’autorisation qui ne sera validée que deux ans plus tard. En 2018, à la réception de l’avis favorable, elle se rue vers les archives, ouvre un carton et sort un premier fichier intitulé : « Cimetière provisoire du camp de Saint-Maurice. » À cet instant, il lui semble que le sol se dérobe sous ses pieds.
Entre ses mains, elle dispose alors d’un procès-verbal d’enquête préliminaire daté du 23 octobre 1979, et envoyé au préfet du Gard un mois après. Au fil de son récit, le gendarme raconte comment l’ancien directeur du camp de Saint-Maurice est venu à sa rencontre le 17 octobre 1979 pour « mettre de l’ordre dans ses affaires » avant de prendre sa retraite.
Ce jour-là, il lui transmet un document sensible retrouvé au fond d’une cantine : le registre d’inhumation de 71 harkis, dont 62 enfants, tous morts entre 1962 et 1964, dans le camp de Saint-Maurice pour la plupart. Parmi eux, 31 enfants en bas âge ont été enterrés « sur un terrain militaire appartenant actuellement au CIG [Centre d’instruction du génie — ndlr] no 7 », précise le gendarme, qui s’est rendu sur place au lendemain du signalement.
Cause du décès : « maladie » ou « mort-né », détaille le registre. À l’époque, sur les fosses rebouchées, seul un écriteau de bois numéroté et déposé à même le sol fait office de sépulture. « Certaines de ces tombes (neuf) ont été ouvertes il semble y avoir quelques années, constate aussi le gendarme. Dans les trous, aucun ossement n’a été découvert. Les tombes vides, dont certains ont encore les numéros, sont les numéros 11, 17, 18, 22, 24, 25, 26. La rangée des tombes est cachée de la route par une haie de chênes verts et est orientée est-ouest, les pieds des défunts sont dirigés vers le nord. Nous n’avons touché à aucune des autres tombes pour vérifier si ces dernières contenaient des restes humains », poursuit-il dans le P-V.
D’après le résumé du gendarme, l’ancien maire de Saint-Laurent-des-Arbres aurait refusé ces dépouilles par manque de place… « Les cimetières de Saint-Laurent-des-Arbres et de Laudun-l’Ardoise étaient trop petits pour l’apport de population. Les deux cimetières devaient être agrandis et la régularisation devait se faire alors, mais à la suite des événements [la révolte de 1975, qui a conduit à la fermeture du camp – ndlr], le cimetière provisoire est tombé dans l’oubli », résume le gendarme.
Dans la foulée, il assure que les maires du moment (ceux de 1979, donc), « héritiers de fait de leurs prédécesseurs », sont disposés à faire transférer les ossements dans leurs cimetières, mais « dans une fosse commune, aucune famille n’étant présente », précise le gendarme. Pas question de partir à la recherche des proches des défunts, ni de les prévenir, en somme…
Et le gendarme de poursuivre : « Messieurs les maires attendent pour cela une décision de justice ou préfectorale car il ne faudrait pas trop ébruiter l’affaire qui risquerait d’avoir des rebondissements fâcheux notamment si cela était porté à la connaissance des responsables du mouvement de défense des rapatriés d’Algérie, anciens harkis », conclut le P-V. En 1979, ce document avait été porté à la connaissance du préfet du Gard. L’État savait donc, mais il a laissé le cimetière tomber dans l’oubli pour la deuxième fois.
Des bribes de souvenirs
À l’époque, la question harkie est déjà un sujet très sensible. Le camp de Saint-Maurice a fermé trois ans plus tôt, en 1976, dans un contexte insurrectionnel. Ici, c’est Hocine Louanchi qui a mené la révolte sous l’impulsion de Mohamed Laradji, figure de proue du soulèvement du camp de Bias, en Lot-et-Garonne. Et malgré les dix ans passés à Saint-Maurice, Hocine Louanchi n’avait jusqu’ici jamais entendu parler de ce cimetière. « Mais cela ne m’étonne pas, souffle l’homme. Ce qui a été fait à Saint-Maurice a aussi été fait au camp de Rivesaltes et un peu partout. Non seulement l’État nous a abandonnés, mais il a aussi abandonné nos morts. »
En 1962, Hacina avait 7 ans lorsqu’elle est arrivée dans le camp de Saint-Maurice. Cette année-là, elle a perdu sa petite sœur Tassadit, emportée à l’âge de 4 ans par une maladie que jamais personne n’a su nommer. « On me disait qu’elle était malade, qu’elle allait à l’infirmerie. Je sais qu’on lui mettait des gouttes dans les yeux, et qu’elle a eu droit à une piqûre… »
Soixante ans plus tard, ne restent plus qu’un grand mystère, des bribes de souvenirs et l’image de sa grand-mère en pleurs au retour de « l’enterrement ». D’après le registre d’inhumation découvert dans les archives, Tassadit était dans la tombe 17. Exhumée, donc, mais pour aller où ?
Un destin similaire à celui du petit Saïd, officiellement « mort-né » cet hiver-là. Tombe 22, exhumé lui aussi… « Je n’ai appris l’histoire de mon frère qu’en 2019, par hasard. Deux militaires ont pris mon père dans une jeep, avec mon frère dans un drap, et ils sont allés dans un champ. Le trou était prêt… Ça m’a choqué. Autour du camp il y a énormément de villages, il y a des cimetières en pagaille. Comment peut-on faire ça ? », s’interroge Rachid.
Il a écrit à la ministre des armées en février 2022 pour demander réparation « suite à des conditions d’inhumation illégales » et « dissimulation manifeste et volontaire d’une faute ». Il compte désormais déposer plainte pour ces mêmes motifs devant le tribunal administratif de Nîmes. « Même dans la mort, ils n’ont pas été dignes », s’énerve Rachid.
D’après plusieurs témoignages, le terrain dans lequel sont déposées les dépouilles s’apparenterait presque à un marécage. « Ma grand-mère n’arrêtait pas de dire : qu’est-ce qu’on a fait pour en arriver-là ? Ma petite-fille a été enterrée dans un trou plein d’eau », se souvient Hacina, encore très affectée par ce drame familial.
Même type de souvenirs parmi les proches de Malika Tabti, qui a hérité du prénom de cette « grande » sœur morte à l’âge de 18 mois en 1962, et qu’elle n’a jamais connue. « Mon grand frère en a encore le souvenir, plus ils creusaient, plus l’eau montait, relate Malika. S’il faut porter plainte contre l’État pour faute grave, je le ferai. C’est scandaleux. Je veux les restes de ma sœur ! »
Les relevés météo en attestent, l’hiver 1962-1963 compte parmi les plus froids que le Languedoc ait connus. On avoisine les – 15 °C en bord de Méditerranée, et les harkis qui débarquent ici sont d’abord logés dans des tentes malgré d’importantes chutes de neige. Les résidents du camp de Saint-Maurice font face à une épidémie de rougeole et à un froid glacial, mêlés à des conditions d’hygiène déplorables.
« Il y avait du vent, les bébés avaient froid. Lorsqu’on était dans les tentes, ma sœur était déjà tout le temps malade. Ils disent qu’elle est morte de maladie, mais je suis sûre qu’elle est morte de froid et de malnutrition. On ne mangeait pas à notre faim ! C’étaient les militaires qui cuisinaient, pas la maman. Ils ramenaient une gamelle, et il n’y avait rien d’autre », se souvient Hacina.
Une situation qui se répercute directement sur la santé des enfants, fréquemment atteints de « rhumes, de diarrhées, d’impétigo, d’anémie et de rachitisme », comme le souligne l’anthropologue Vincent Crapanzano dans Les Harkis, mémoires sans issue (Gallimard, 2013).
Sans compter les violences commises par une partie des militaires sur place. « Certains personnels, peu scrupuleux, ne se privent pas non plus d’exercer sur les harkis “abus d’autorité, brimades, vexations”, confondant “leur mission d’administrateurs avec celles de l’autorité hiérarchique, autorité qu’ils ne détiennent en aucun cas” », soutient en juillet 2018 le rapport parlementaire « Aux harkis, la France reconnaissante », citant le directeur de cabinet du préfet du Gard en 1975.
Dans cette confusion, plusieurs mères n’ont même pas été autorisées à assister à l’enterrement de leur enfant. À l’image de celle de Hacina, ou de celle de Rachid, à qui l’administration du camp a refusé l’accès aux sépultures. « Ma mère en a fait la demande quelques mois après le décès de mon frère Saïd. L’armée lui a dit non, qu’il n’y avait plus rien, que ce n’était pas possible », détaille Rachid.
Des fouilles, pour « faire avancer la vérité historique »
Après les premiers articles de presse et l’organisation d’une marche blanche le 15 juillet 2021, une vingtaine de familles contactent Nadia Ghouafria pour avoir la confirmation qu’un de leurs proches a bien été inhumé dans cet ancien champ, comme l’évoquait leur histoire familiale. Début 2022, la secrétaire d’État aux anciens combattants, Geneviève Darrieussecq, se saisit du dossier, se rend sur place et parle de « faute ». « Dans ces camps, la République n’a pas été à la hauteur de ses valeurs », a-t-elle déclaré à l’AFP, à l’occasion de la toute première campagne de fouilles, menée du 28 février au 4 mars 2022. Et si la démarche est inédite, les 400 m2 explorés n’ont rien révélé : l’endroit n’était pas le bon…
Néanmoins, le ton a changé. Désormais, impossible d’ignorer l’affaire. « L’ensemble des acteurs investis dans ces recherches sont des gens qui ont souffert d’une action de l’État. On leur a caché des choses, mais aujourd’hui, tout le monde souhaite retrouver ces tombes et faire avancer la vérité historique », assure Patrice Georges-Zimmermann, responsable du chantier de fouilles mené par l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives).
À présent, l’homme parie sur une nouvelle parcelle située plus au nord, et devrait en discuter avec l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre et la Direction régionale des affaires culturelles à la rentrée prochaine, avant de planifier de nouveaux sondages. « Nous allons vers la réhabilitation. Moi, j’ai confiance en la suite », assure Nadia Ghouafria, qui vient de fonder l’association Soraya, dédiée à la cause des cimetières perdus des camps harkis, et baptisée en hommage à l’un des multiples nourrissons morts à Saint-Maurice.
Au fil des mois, les oursons multicolores déposés en hommage aux enfants sur le site sondé sont restés là. Légèrement défraîchis, mais intacts, ils ornent encore les monticules de pierres qui avaient induit les familles en erreur. Nous sommes au beau milieu du mois de juillet, et, un peu plus au nord justement, Samia (prénom d’emprunt) arpente les bois de chênes et les tapis de ronces à la recherche d’éventuels indices. Au pied d’un arbre, un morceau de peluche au poil long et ancien émerge à peine, encore fermement ancré dans la terre. Tout près de là, une toute petite balle de plastique… Au moindre signe de vie glané au ras du sol, Samia se fige. Comme bouleversée à l’idée du dénouement qui vient.
Gard : des tombes d’enfants harkis découvertes
après des fouilles au camp de Saint-Maurice-l’Ardoise
par Fabrice Dubault, publié par France 3 Occitanie, le 29 mars 2023.
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Depuis 30 ans, les Français musulmans réfugiés d’Algérie du camp de Saint-Laurent-des-Arbres recherchaient le cimetière sauvage où des enfants harkis ont été enterrés entre 1962 et 1964. Grâce aux recoupements de plusieurs témoignages, le site a pu être identifié. Mi-mars, 27 sépultures ont été retrouvées.
Le camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, dans le Gard rhodanien, a accueilli des harkis de 1962 jusqu’à sa fermeture en 1976. Cette année-là, 800 familles rapatriées y vivaient toujours.
Parmi elles, celle d’Hacène Arfi. Le président de la coordination harka du Gard a passé sa jeunesse dans le camp.
« Je suis arrivé d’Algérie via Marseille à l’âge de 6 ans et j’ai quitté le camp à 20 ans. En 1962, ici, nous avions froid, nous avions faim, et il y avait une épidémie de rougeole. Des enfants sont morts. Mais les communes voisines ne voulaient pas inhumer les réfugiés musulmans dans leur cimetière. Alors jusqu’en 1964, les militaires enterraient les cadavres dans le camp, sans sépultures et souvent sans prévenir les familles » explique Hacène Arfi encore ému.
27 sépultures et des ossements d’enfants
Sur plusieurs dizaines de mètres, suivant un alignement légèrement oblique, les sépultures se devinent, sous une terre à l’aspect et aux couleurs modifiés « par un creusement antérieur et par la décomposition des corps », prévient Patrice Georges-Zimmermann, archéologue à l’Inrap.
Cette découverte historique est le résultat de fouilles sans précédent décidées pour la première fois par l’Etat français après la révélation de l’existence de ce cimetière par une enquête de l’AFP en septembre 2020 et le travail inlassable d’associations locales pour sortir de l’oubli ce pan tragique de l’histoire franco-algérienne.
Plusieurs piquets, oranges vifs, sont ainsi plantés signalant l’emplacement des tombes.
« Nous avons un certain nombre de fosses, ovales, assez étroites, dont la taille dépend de l’âge des individus placés dedans. Beaucoup sont des enfants, voire des bébés », poursuit l’expert.
Le témoignage d’un gendarme datant de 1979
C’est Nadia Ghouafria, fille de harkis, qui a découvert dans des archives le procès-verbal d’un gendarme rédigé en 1979, attestant que les autorités avaient eu connaissance de l’existence de ce cimetière mais n’en ont délibérément pas informé les familles des victimes.
Sur le registre d’inhumation des camps de Saint-Maurice l’Ardoise et Lascours, tombés longtemps dans l’oubli, tout comme le procès-verbal du gendarme, sont apposés 71 noms. 10 adultes et 61 enfants.
Dans ce cimetière sauvage enfin découvert, en contrebas d’une clairière à peine visible depuis la route, le registre annonce l’inhumation de 31 d’entre eux. Une première campagne de fouilles, menée en 2022, quelques centaines de mètres plus loin, n’avait rien donné.
La pelleteuse poursuit un méticuleux déblaiement. Sous la terre remuée, une dalle apparaît soudain. Le moteur de la machine est stoppé, les archéologues s’approchent. Patiemment, l’un d’eux dégage la surface à l’aide d’une rasette, un petit outil en fer. Deux pierres, plates, grises et rectangulaires, se révèlent.
« Ça ressemble vraiment à une pierre tombale », commente Patrice Georges-Zimmermann. A l’extrémité des autres fosses, seules quelques petites pierres avaient jusqu’ici été repérées, « probablement des stèles déposées au niveau de la tête du défunt », selon Bertrand Poissonnier.
« Rendre leur dignité aux victimes et aux familles »
Depuis 30 ans, des associations se battent pour rendre hommage aux victimes et aux familles qui ont vécu dans les camps du Gard. Souvent dans des conditions indignes…
Au départ, c’était un camp militaire. Nous étions enfermés, comme en prison. Jusqu’en 1970, il fallait une permission de sortie pour mettre les pieds hors du camp. Ici, des Français ont souffert, ici des Français sont morts, un peu comme dans un camp de concentration. Cela fait 30 ans que l’on réclame un mémorial.
Hacène Arfi, président de la coordination harka du Gard.
« Nous savons que les conditions d’accueil et de vie des Harkis ont été indignes et malheureusement, on le constate sur ce site du camp de Saint-Maurice l’Ardoise, elles l’ont été jusque dans les conditions d’inhumation », a réagi le secrétariat d’Etat français chargé des Anciens combattants et de la Mémoire, interrogé par l’AFP à propos de la découverte du cimetière.
Ces recherches de tombes d’enfants harkis « étaient nécessaires, et répondaient aux demandes formulées par les associations. Nous continuerons d’accompagner les familles afin de leur rendre toute leur dignité, chaque fois que cela sera possible », a ajouté le secrétariat.
Vidéo de l’AFP montrant les fouilles du cimetière « sauvage »
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La lettre de
ENFANTS DE HARKIS, VÉRITÉ, JUSTICE ET RÉCONCILIATION
Mouvement citoyen
[/Paris le, 4 avril 2023. /]
A l’attention du coprésident et des membres de la commission mixte d’historiens franco-algérienne chargée de travailler sur la colonisation et la guerre d’indépendance.
Objet : les harkis dans la colonisation et la guerre d’Algérie.
Monsieur le coprésident, cher monsieur Stora,
Madame et messieurs les membres de la commission mixte,
Notre mouvement « ENFANTS DE HARKIS, VÉRITÉ, JUSTICE ET RÉCONCILIATION » souhaite approcher la commission mixte d’historiens, que vous coprésidez. Nous sommes un certain nombre de descendants d’anciens supplétifs de la guerre d’Algérie à vouloir œuvrer à l’apaisement des mémoires et à la réconciliation entre les peuples des deux pays concernés : l’Algérie et la France.
1 – Notre volonté affichée d’apaisement
Les nombreuses actions que nous menons, les rencontres organisées régulièrement avec les membres de notre groupe social pour mieux connaître et comprendre l’histoire de nos parents, nous permettent de inscrire dans une approche globale l’histoire franco-algérienne. Notre participation au dialogue avec les autres groupes porteurs de mémoire, sous l’égide notamment de l’association l’association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami(e)s contre la Guerre (4ACG) et de la Ligue des droits l’Homme (LDH), en témoignent.
Cependant, nous savons que de réelles difficultés existent avec certains des acteurs directs de l’ensemble ces événements ou leurs descendants qui continuent à vouloir imposer un discours unique sur leur vision de l’Algérie française. Cela vaut pour notre propre groupe où nous pouvons dire que les antagonismes sont toujours présents, plus de soixante ans après la fin de guerre d’Algérie.
Nous avons la volonté de dépasser ces clivages avec un autre discours qui intègre l’ensemble des problématiques qui nous concernent, en contribuant au dialogue serein et constructif ici, en France, mais aussi avec l’Algérie.
2 – La page doit être tournée
La page doit être tournée mais nous devons tous la lire au nom du devoir de Vérité.
Il est donc grand temps de sortir ces visions tronquées, fantasmées, mythifiées, contraires à la réalité des faits historiques, qui entretiennent une forme de névrose mémorielle.
Nous voulons ainsi nous inscrire dans le discours de Vérité voulu par Président Macron, tout comme nous soutenons les exigences portées par les historiens des deux pays qui demandent à pouvoir travailler sans aucune pression, d’où qu’elle vienne.
L’indépendance, les moyens et la rigueur scientifique attribués aux historiens qui composent la commission mixte chargée de travailler sur la colonisation et la guerre d’Algérie, conditionneront la réussite du travail de cette commission.
L’idée de cette commission peut sembler peu originale. Elle est même jugée inutile par certains historiens français qui considèrent qu’un travail très important a été mené sur ces deux sujets ces dernières décennies. Cependant, l’ouverture de nouvelles archives nous permettra, tout de même, d’en savoir plus sur des faits jusque-là occultés, comme l’utilisation d’armes chimiques durant la guerre d’Algérie, par exemple.
3 – Les harkis : les boucs émissaire ?
Nous voulons croire, également, que l’histoire singulière des supplétifs enrôlés au côté de l’armée française sera traitée dans les travaux de cette commission car il ne doit pas y avoir de sujets tabous. Ainsi nous pourrons déconstruire les stéréotypes concernant ces acteurs de la guerre d’Algérie.
Nous sommes certains que ce travail d’historiens se fera dans une narration la plus objective possible, même s’il existe de réelles difficultés à relater des évènements lointains comme c’est le cas avec la colonisation puis la guerre d’Algérie ou avec la question harki (sujet toujours très sensible en Algérie).
Nous pensons que cette commission conjointe d’historiens des deux pays sera constructive dans la mesure où ce travail collectif rendra possible la mise en forme d’un discours plus en phase avec la réalité des faits : un discours partagé par tous les acteurs de cette commission conjointe.
Nous reprenons à notre compte les propos du philosophe Olivier Abel qui insiste dans un Olivier Abel qui insiste dans un de ses écrits sur la Mémoire et l’Histoire, sur le fait « qu’il faut les installer ensemble de telle sorte que chacune accepte la possibilité l’autre, dans un travail de concessions réciproques, narration à plusieurs voix ». Si la narration de cette histoire commune est avant tout l’affaire des historiens, nous ne pouvons imaginer qu’un groupe porteur de mémoire en soit exclu sous quelque prétexte que ce soit. Il serait incompréhensible que les « Harkis » soient occultés dans travaux qui ont débuté au sein de la commission mixte d’historiens que vous coprésidez.
En effet, Emmanuel Macron comme Abdelmajid Tebboune ont affirmé, à plusieurs reprises, vouloir « agir pour la vérité et la reconnaissance » et ne pas craindre de « regarder l’histoire en face ». Ils doivent, maintenant, acter ces déclarations, quitte à déplaire aux détracteurs.
L’exigence de Vérité, affirmée à intervalles réguliers, serait bafouée si la question Harki était occultée. Ainsi soixante ans après la fin de guerre d’Algérie, les dirigeants politiques de ces deux pays auront enfin le courage de sortir de l’amnésie collective, du déni, des histoires mythifiées et des fausses mémoires qui ont été fabriquées, bien souvent, au nom de l’unité nationale ou d’un patriotisme ou d’un patriotisme exacerbé. À notre avis, il nous semble impossible d’écrire cette histoire commune en continuant à ignorer certains acteurs de cette tragédie ou en les traitant comme quantité négligeable car ceux qu’on continue encore d’appeler les « Harkis » ne doivent plus être les prisonniers d’un piège historique. Nombre de nos aînés nous ont quittés et ne devons plus accepter que leur mémoire continue d’être bafouée.
4 – L’approche idéologique de notre mouvement
Nous assumons, sans fierté ni honte, que nous sommes tous des enfants de harkis. À ce titre, nous refusons les insultes dégradantes portant atteinte à la dignité de nos pères, comme nous refusons les insultes proférées à l’égard des Algériens.
Nous refusons que la question des harkis ne soit pas intégrée au contexte global de la colonisation qui pour nous, a non seulement divisé les « indigènes musulmans » mais a par ailleurs déstructuré la société traditionnelle algérienne, alors que guerre d’Algérie a quant à elle fait littéralement exploser le socle de cette même société traditionnelle, à savoir : la famille !
Nous affirmons qu’en Algérie, nos parents et grands-parents, malgré la brutalité et l’injustice du système colonial (qualifié par le candidat Macron en 2017, de « crime contre l’humanité ») ont été de valeureux combattants lors des campagnes d’Italie ou du débarquement de Provence pour libérer la France du joug nazi, alors qu’ils n’étaient même pas français.
Nous affirmons que nos parents ont fait l’objet d’une stratégie de recrutement massif de supplétifs autochtones, pensée et mise en œuvre par les autorités militaires et politiques françaises pour contrôler la population et faire croire au soutien des indigènes musulmans et faire croire au soutien des indigènes musulmans à l’Algérie française, provoquant une guerre fratricide. Ceci a été fait au mépris des lois et coutumes de la guerre et en violation certaines dispositions prévues par les Conventions de Genève (Livre IV, Article 51).
Nous affirmons que ce recrutement, de paysans analphabètes, a été facilité par la terreur que certains éléments du camp adverse ont fait subir à des civils.
Nous affirmons que les Harkis ont été :
– enrôlés sans consentement libre et éclairé.
– désarmés, et abandonnés alors que personne ne pouvait ignorer les grands risques qu’ils encouraient.
– victimes d’exécutions sans procès ni jugement par les « indépendantistes incontrôlés de la dernière heure ».
Nous affirmons qu’en France :
– Nos parents ont été enfermés et relégués dans des lieux d’exclusion, pour certains militarisés et disciplinaires. Ils ont été parqués dans des « camps de la honte » dont le plus tristement célèbre, véritable « espace totalitaire » pour reprendre l’expression d’Hannah Arendt, reste celui de Rivesaltes, haut lieu la Mémoire des camps en France.
Dans ce terrible camp furent également internés, avant nos parents, des réfugiés espagnols fuyant le franquisme, les tziganes dont la communauté fut stigmatisée de facto et nos compatriotes juifs avant leur tragique déportation vers les camps de la mort.
– Nous, descendants de harkis, avons été discriminés et bafoués dans nos droits fondamentaux de citoyens. Victimes traumatismes psychiques hérités nos parents fondamentaux de citoyens. Victimes traumatismes psychiques hérités nos parents fondamentaux de citoyens. Victimes traumatismes psychiques hérités nos parents en raison des violences vues et subies, nous avons été en plus stigmatisés, déscolarisés et empêchés dans notre intégration avec pour conséquences l’exclusion socio-professionnelle et la relégation spatiale.
– Toute une génération a été mise au ban de la nation engendrant des difficultés identitaires liées à une inculturation forcée, organisée, imposée par l’enfermement dans les camps.
De manière consciente et éclairée, nous témoignons que :
– Les « Harkis » ont été eux aussi victimes du système colonial qui les a enfantés.
– Les mots de « traîtres » ou collabos , qui s’appliquent à la France occupée de 1940 à 1945, ne s’appliquent pas ce qu’ont vécu nos pères, car nous savons quelles ont été les conditions dans lesquelles ils prirent armes au côté de l’armée française.
– Nos pères ont été les victimes d’évènements qu’ils ne pouvaient contrôler et ils furent, avant tout, des hommes de devoir pour leurs familles.
– Nos parents ont enduré, eux-aussi, les violences coloniales, comme tous nos aïeux et aussi, les violences coloniales, comme tous nos aïeux et comme tous les autres Algériens.
– Nos parents étaient sûrement favorables à l’idée d’indépendance ou en tout cas à plus de droits et justice sociale.
– Nous, descendants de ces hommes, voulons défendre cette idée de réconciliation globale pour apaiser enfin les cœurs et esprits de part d’autre. La première étape de cette réconciliation commencera pour ceux de nos pères encore vivants, par la liberté de se rendre en Algérie retrouver leur famille et le cas échéant être inhumés dans terre natale.
Nous souhaitons que cette lettre soit communiquée à chacun des membres de la commission mixte d’historiens.
Nous vous demandons, pour toutes ces raisons invoquées dans cette lettre, cher monsieur, à être entendus par cette commission et nous restons votre entière disposition, pour des échanges ouverts, constructifs et apaisés dans un respect mutuel.
Veuillez accepter, monsieur le coprésident, cher monsieur Stora, madame et messieurs les membres de la commission mixte, nos sincères salutations.
ENFANTS DE HARKIS, VÉRITÉ, JUSTICE ET RÉCONCILIATION
Abdelkader Mokhtari ()*
Amar Assas ()*
*toute correspondance doit être adressée à ces deux adresses mail.