Un juste, Francis Jeanson, vient de nous quitter
Maître de conférences à l’Université d’Alger-Bouzaréah
Dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 août Francis Jeanson vient de nous quitter à l’âge de 87 ans. Ce nom peut probablement ne pas évoquer grand-chose pour la nouvelle génération de nos compatriotes et une grande partie des lecteurs de la presse quotidienne en Algérie, mais pour beaucoup de ceux qui se sont battus pour que ce pays accède à l’indépendance, l’un des principaux responsables des réseaux de soutien au FLN en territoire français n’est pas ce que l’on pourrait appeler un parfait inconnu.
Engagé en 1943 dans les Forces Française Libres d’Afrique du Nord, il séjourne une première fois à Alger où il ne voit en fait, à 21, ans que la France en Algérie avec ses problèmes, son armée divisée et son administration vichyste. Revenu en Algérie en septembre 1948, il y séjourne plusieurs mois dans des conditions précaires pour se rendre compte définitivement qu’il existait bien « un problème algérien ». Au bout de six mois il arrive à la conclusion qu’ « il faut faire quelque chose, c’est trop énorme, c’est trop grave ! ». Il venait de passer par Sétif où le sous-préfet le recevant dans « sa » ville lui fait visiter une place publique où se dressait un monticule de chaux. « Ce tas de chaux c’était des cadavres qui avaient été brûlés, carbonisés ». C’est là qu’il se met à écrire un article pour la revue Esprit, «Cette Algérie conquise et pacifiée… ».
Ses engagements intellectuels et ses écrits dans Temps Modernes qu’il anime avec Jean-Paul Sartre le démarquent nettement de nombreux intellectuels français qui, comme Albert Camus, absurdifient le monde et n’arrivent pas à voir l’Etranger dans son épaisseur humaine, celle du colonisé et de l’opprimé.
Quand survient la lutte armée en Algérie, il est une des rares personnes vers lesquelles se dirigent les militants nationalistes pour y trouver une écoute, un écho et peut-être aussi une action solidaire. C’est le prélude à un engagement beaucoup plus conséquent aux côtés du FLN. Dans un de ses entretiens1, il raconte comment c’était à partir de juin 1955 qu’il s’était décidé d’y aller carrément dans l’implication concrète et sans équivoque au combat pour l’indépendance de l’Algérie. En automne 1955, il écrit en collaboration avec Colette Jeanson L’Algérie hors-la-loi qu’il fait paraître chez Flamand. Alors que Camus se met à distance en s’interrogeant sur le non-sens des problèmes de son époque, Francis Jeanson se met en jeu en prenant tous les risques. Il disait alors : « Héberger un Algérien, c’est peut-être soustraire un homme à la torture ».
Après un séjour en sanatorium, il revient de plus belle à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Fin mars 1956, il ouvre sa maison et met sa voiture à la disposition des militants du FLN. Il sollicite un grand nombre d’intellectuels, d’artistes, de femmes et d’hommes de lettres. C’est le début des réseaux de soutien au FLN, de ceux qu’on appellera plus tard « les porteurs de valises ». Début 1957, c’est Tayeb Boulahrouf, alors responsable par intérim de la fédération de France du FLN, puis Omar Boudaoud qui le rencontrent et discutent des modalités de l’aide des réseaux Jeanson au FLN. Le philosophe ne peut plus se contenter d’amener la question algérienne sur la place publique par ses conférences et prises de position médiatiques. Ahmed Boumendjel prend part aux prises de décision quant au passage à la clandestinité du travail d’aide au FLN d’autant que le réseau, et Francis Jeanson à sa tête, étaient en contact permanent avec la direction de la fédération de France du FLN dont ils assuraient l’hébergement et connaissaient les points de chute tout autant que les planques pour l’argent des cotisations venant de tous les coins de France.
Francis Jeanson qui n’était pas seulement un intellectuel engagé, mais aussi un homme politique avisé, tenait pour essentiel l’existence d’un réseau de soutien français « pour que l’Algérie puisse un jour ne plus identifier la France aux pires excès d’une certaine politique française ».
Espérons, pour terminer cette évocation, que l’Algérie d’aujourd’hui puisse se souvenir que des Français se sont battus, se sont exposés et ont mis en jeu leur liberté et parfois leur vie, pour l’indépendance de notre pays et une certaine idée de la France.
Francis Jeanson est mort
Le philosophe Francis Jeanson est mort samedi soir à l’âge de 87 ans. Collaborateur de la revue Les Temps modernes, proche de Sartre, Francis Jeanson était d’abord connu pour son engagement aux côtés des combattants algériens après le déclenchement de la guerre d’indépendance. Intellectuel mais également homme d’action, il créa le réseau des « porteurs de valise » qui permettait de collecter argent et faux papiers pour les militants du FLN opérant en France.
L’Algérie et la politique coloniale française ont marqué le parcours et la vie intellectuelle de Francis Jeanson. Il s’est certes passionné pour la cause algérienne, mais à travers elle, et ce que beaucoup n’ont pas compris en 1960 et bien après encore, il défendait les valeurs de la France, une France qui trahissait ses propres valeurs selon lui. En cause, la torture, le racisme anti-algérien, la main mise sur un pays.
Notre guerre, c’est le titre de l’ouvrage dans lequel Francis Jeanson explique son engagement. Publié en 1960, il sera immédiatement saisi. Pour son engagement, pour avoir créé le réseau des « porteurs de valise », Francis Jeanson est jugé par contumace et condamné à dix ans de prison ferme. Il sera amnistié en 1966.
Compagnon de route d’Albert Camus, de Sartre, il s’interrogeait dans le journal Le Monde en 2001 : pourquoi faisions-nous la guerre au peuple algérien ? au nom de quels intérêts ? Et la question essentielle que se posait Jeanson était de savoir, désormais, comment progresser, comment sortir des vieux débats, stériles, entre la France et l’Algérie ?