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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

“de quelle Algérie sommes-nous solidaires ?”, par Hubert Rouaud

L'Association des anciens appelés en Algérie contre la guerre et leurs amis – plus brièvement dénommée “la 4acg” – a été créée le 8 janvier 2004, avec pour objectif de témoigner et d’œuvrer pour la paix et la solidarité. En sont membres d'anciens appelés en Algérie qui reversent à l'association le montant de leur retraite de combattant (un peu moins de 600 € par an). Chaque année, l'assemblée générale de l’association choisit les projets que cet argent permettra de financer1. Un aspect important de l'engagement des membres de la 4acg consiste à témoigner dans les écoles. L'association est en plein développement avec, à ce jour, 126 adhérents et 149 “amis”. Les raisons qui ont pu inciter les uns ou les autres à adhérer sont extrêmement variées suivant les individus, mais cela a permis à chacun d'entre eux de « donner un sens à ce qui n’en avait pas». Les événements qui se déroulent actuellement outre-Méditerranée sont vécus de différentes façons suivant les personnes. Nous reprenons ci-dessous le témoignage que nous a adressé – à titre personnel – un membre de l'association.

De quelle Algérie sommes-nous solidaires ?

Le Maghreb, dans sa totalité, est traversé par un vent de révolte réclamant la fin du pouvoir d’autocrates qui:

  • s’appuient sur la corruption,
  • restreignent les libertés pour mieux accaparer les richesses,
  • développent les inégalités sociales sans combattre un chômage affectant une majorité de jeunes.

La majorité d’entre nous – je veux parler des anciens appelés en Algérie – au retour d’une participation à une guerre coloniale, a salué avec une grande satisfaction l’avènement des indépendances au Maghreb.

En effet nous espérions qu’elles seraient l’occasion pour les anciens colonisés de récupérer leurs richesses nationales, de développer la démocratie et l’éducation afin de mettre un terme à la misère tout en associant la population à son nouveau destin.

Au fil des années nous avons été plus souvent déçus que satisfaits en voyant des minorités confisquer petit à petit le pouvoir, reproduire certains errements du régime colonial et prendre parfois des mesures socialement rétrogrades pour donner des gages à l’intégrisme religieux.

Parce que nous avions été les complices involontaires de la domination coloniale, ou parce que nos sentiments étaient partagés entre repentance, réparation et réconciliation, comme le soulignait un article récent du site 4acg, nous conservions un silence pudique.

En outre certains étaient facilement séduits, comme les gouvernants français d’ailleurs, par l’argument du “danger islamique”, qui inciterait à une grande prudence. Mais aujourd’hui, on s’aperçoit, exemple tunisien à l’appui, que l’argument était en partie fallacieux. Il a surtout servi de prétexte pour fermer les yeux sur les privations de liberté. Et c’est justement en n’affichant pas ostensiblement notre soutien à un processus démocratique que nous avons contribué à ce que certains opprimés se réfugient dans un parti islamique, qui leur apparaissait comme le soutien unique contre un pouvoir corrompu. Tandis que la majorité, faute de perspectives, préférait rester silencieuse.

Pour paraphraser le célèbre poème écrit à Dachau en 1942 par le pasteur Niemöller:

lorsqu’ils ont restreint les libertés démocratiques et violé les droits de l’homme,

nous n’avons rien dit ;

lorsqu’ils ont falsifié des élections,

nous sommes restés muets ;

lorsqu’ils ont maintenu la femme en situation inégalitaire,

nous avons oublié de protester…

Bref, parce que nous ne voulions pas apparaître comme des donneurs de leçons, nous avons préféré garder un silence pudique et aujourd’hui nous nous réveillons avec une certaine gêne.

Mais peut-être ne devrais-je pas dire “nous”, car c’est une opinion personnelle, que certains partagent sans doute, et que je verse à un débat qui concerne tous les membres de 4acg, les anciens appelés en Algérie, dont je fais partie, qui reversent leur retraite d’anciens combattants au profit d’actions de solidarité, en particulier en Algérie.

Cependant, dans ce pays, la situation s’aggrave sans cesse. A peine la manifestation d’Alger a-t-elle été durement réprimée le 12 février que des milliers de jeunes chômeurs d’Annaba, le 13 février, assiègent le bâtiment de la Wilaya. J’estime que nous ne pouvons plus nous taire. Car nous avons l’obligation morale de nous montrer solidaires de ceux qui veulent promouvoir les libertés et mettre un terme à un pouvoir qui ne survit que grâce à la police, à l’armée et à la corruption. Une obligation qui s’impose même si elle risque de compromettre la possibilité de poursuivre nos actions de solidarité.

Mais, il n’est pas dit que l’usage de notre liberté de jugement nous empêcherait de poursuivre nos actions de solidarité concrète à travers nos dons. Et si jamais nous étions provisoirement “sanctionnés”, il y aurait encore, au Maghreb ou ailleurs, d’autres projets correspondant à nos objectifs qui seraient susceptibles d’être financés.

Quoi qu’il en soit, il me semble que le moment est venu de nous positionner sans ambiguïté.

Lorsque l’on compare la situation de la femme dans les Aurès en 1935 (film de la mission Germaine Tillion) et en 2010 (film La Chine est encore loin non projeté en Algérie) ou lorsqu’on voit le peu de réaction du pouvoir algérien devant le lynchage des femmes par les intégristes en avril 2010 à Hassi-Messaoud, nous avons le devoir de dire que nous ne sommes pas solidaires de cette Algérie-là…

Lorsque l’on connaît l’excédent de la balance des paiements algérienne, dû aux ventes de gaz et de pétrole, et que l’on constate l’étendue de la pauvreté face à une minorité de nantis sans scrupules, on ne peut qu’approuver les manifestants réclamant plus de justice sociale.

Lorsque le journal El Watan du 23 janvier présente les dépêches diplomatiques américaines (révélées par Wikileaks) montrant la détresse des jeunes algériens fuyant le pays dans des embarcations de fortune ou démontrant la fraude du président Boutefika lors de l’élection présidentielle, pouvons-nous rester insensibles aux protestations du peuple algérien?

Lorsque le même quotidien nous apprend que la répression actuelle des manifestations passe par la torture comme à M’Sila début janvier, peut-on détourner le regard au motif que nous aurions plus de difficultés à développer nos projets ?

En Algérie demain, comme en Tunisie aujourd’hui, la population saura faire la différence entre ceux qui se sont tus par crainte d’irriter le pouvoir en place…ou par opportunisme, et ceux qui ont joint leurs protestations et leurs efforts pour mettre fin à la situation actuelle.

Hubert Rouaud

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