La répression violente par l’armée française près de Dakar des tirailleurs africains à qui on avait fait appel à la veille de la Seconde guerre mondiale et qui avaient passé les années de l’Occupation en captivité en France dans des frontstalag est l’un des drames qui ont montré à l’orée de la Libération de la France que les responsables du pays n’étaient pas prêts à abandonner l’idée de maintenir l’empire colonial et de reconnaître aux peuples colonisés le droit à l’indépendance pour lequel nombre de Français avaient pourtant combattu quand il s’agissait de leur propre patrie. De ce point de vue, le massacre du 1er décembre 1944 à Thiaroye, près de Dakar, peut être rapproché de la répression en Algérie dans le nord-Constantinois en mai-juin 1945 ou du bombardement de Haïphong par la marine française le 23 novembre 1946 à l’heure où s’affirmait l’aspiration nationale du Viernam. Pourtant, la demande de ces tirailleurs africains démobilisés n’était pas politique, elle se limitait en l’occurrence à la demande de paiement des soldes qui leur avaient été promises.
En 2024, pour les 80 ans de cette répression sanglante, différentes commémorations et rencontres vont être organisées dans plusieurs villes françaises, dont Morlaix d’où ces tirailleurs se sont embarqués, ainsi qu’à Dakar et à Thiaroye où une fusillade meurtrière a eu lieu le 1er décembre 1944. Les prochaines éditions de notre site en rendront compte.
Là où tout a commencé
par Anne Cousin, autrice de Retour tragique des troupes coloniales, Morlaix Dakar 1944, L’Harmattan (2011).
C’est dans une ville libérée depuis quelques semaines que 2 000 prisonniers parviennent en gare de Morlaix le 27 octobre 1944. Les frontstalag où les Allemands les avaient détenus ont été évacués et un navire britannique, le Circassia, est affrété pour un retour vers Dakar.
Ils sont hébergés dans des bâtiments désaffectés ouverts à tous les vents, couchés sur la paille ou dans des familles impressionnées par leur état physique et moral. Certains ex-prisonniers retrouvent leurs marraines de guerre.
L’embarquement est prévu pour le 4 novembre, cependant la question du versement des primes de guerre et de captivité n’est pas réglée. Ils comparent les sommes reçues par les uns et les autres et le compte n’y est pas. Un vent de révolte souffle et 300 tirailleurs sénégalais prennent la décision de ne pas embarquer. Des promesses sont faites : « Vous serez payé au camp de Thiaroye ». Elles ne seront pas tenues. Un sentiment de déshonneur apparaît car rentrer chez soi avec les poches vides après avoir combattu pour la France et vécu des années de captivité est indigne. Ces 300 hommes sont transférés dans des baraquements à Trévé en Côtes du Nord le 11 novembre dans des conditions d’extrême brutalité.
A bord du Circassia des incidents se poursuivent depuis Morlaix « là où tout a commencé ». Le refus de s’incliner devant le drapeau français ajouté à un certain nombre d’autres contrariétés créent un climat de révolte. Le Circassia accoste à Dakar le 21 novembre. Les ex-prisonniers sont transférés au camp de Thiaroye. Ils rappellent les promesses faites par les autorités militaires et réclament les primes dues. Cependant la réponse est semblable : « Vous serez payés chez vous ». Ils ne sont évidemment pas dupes de cette supercherie et ressentent du mépris. Ils vont enjoindre le général Dagnan de régler la situation avant de retrouver leurs pays et leurs familles. Leurs revendications sont qualifiées d’actes de mutinerie. C’est avec des balles qu’ils seront payés à l’aube du 1er décembre, un nombre encore indéterminé d’hommes vont être tués. De lourdes condamnations seront infligées aux soi-disant mutins par le tribunal militaire.
Depuis quinze ans la ville de Thiaroye travaille sur cette mémoire. Le 80ème anniversaire de cette tragédie sera une nouvelle étape dans la demande de vérité sur ce drame.
Anne Cousin