« L’Afrique d’abord ! » : les nostalgies d’empire de Mitterrand
Par Frédéric Bobin. Publié par Le Monde le 14 janvier 2025
Le chercheur et essayiste Thomas Deltombe tord le cou au mythe de l’anticolonialisme de Mitterrand, alors jeune ministre de la IVᵉ République dont l’obsession fut plutôt de sauver la présence française sur le continent africain.

Cet essai est né d’une indignation et d’une lassitude. Indigné, Thomas Deltombe l’est assurément face à la légende dorée d’un François Mitterrand « décolonisateur »que l’ancien président de la République (1981-1995) a habilement bâtie pour servir son inscription dans l’épopée de la gauche française. Quant à la lassitude, elle lui est inspirée par la « bienveillance oublieuse »de la plupart des mitterrandologues qui n’en finissent pas de colporter paresseusement la mystification. Un exemple parmi tant d’autres : la fiche biographique de Mitterrand sur le site de l’Elysée le qualifie de « partisan résolu de la décolonisation » en évoquant son action au ministère de la France d’outre-mer en 1950-1951.
Rien n’est plus faux, démontre Thomas Deltombe au fil de son ouvrage, L’Afrique d’abord ! (La Découverte, 2024). Dans cette enquête historique fouillée, ce chercheur indépendant retrace scrupuleusement l’itinéraire de l’ancien patron du PS sur la question coloniale. L’intérêt du livre ne tient pas dans le rappel de ses positions sur la guerre d’Algérie (1954-1962), dans laquelle il fut doublement impliqué en sa qualité de ministre de l’intérieur (1954-1955) puis garde des sceaux (1956-1957) – l’affaire est connue. De sa fameuse formule « L’Algérie, c’est la France » à son inflexibilité – hors quelques exceptions – lors des exécutions des condamnés à mort du Front de libération nationale, la poigne répressive de Mitterrand est déjà abondamment documentée.
Plus novatrice et passionnante est l’exégèse par Thomas Deltombe du projet que l’étoile montante de la IVe République nourrissait pour le continent africain dans son ensemble. Après un premier contact empreint de dilettantisme exotique à la fin des années 1940, Mitterrand se découvre une véritable passion pour « le couple France-Afrique »,qu’il tient pour indissoluble.
« Ultime sauvegarde »
Son dessein est très cohérent, stratégique même : face à l’Amérique et l’URSS, il théorise le « bloc franco-africain » permettant à la France de se hisser au statut de « troisième nation-continent » faisant flotter ses couleurs « du Rhin au Congo ». « La France du XXIe siècle sera africaine ou ne sera pas », écrit-il en 1952. Et s’il faut lâcher l’Indochine pour préserver l’Afrique, qu’à cela ne tienne ! Mitterrand n’a pas de tabou dès lors qu’il s’agit de consolider le « domaine réservé » de la France en Afrique.
Là est né le malentendu, devenu ensuite un mythe, sur le prétendu « libéralisme » de Mitterrand dans les affaires coloniales. S’il se heurte à l’agressivité des plus archaïques des colons, c’est parce qu’il veut moderniser les méthodes et les modalités, et non capituler sur une présence française dont il cherche au contraire à assurer l’« ultime sauvegarde ». « Le réformisme colonial de M. Mitterrand n’avait pas pour objectif d’émanciper les peuples dominés, résume Thomas Deltombe, mais de sauver, par un délestage stratégique (…), ce qui pouvait l’être du projet impérial ». Mitterrand poussera la virtuosité jusqu’à gommer du récit collectif ses mélancolies d’empire, en tout cas jusqu’à ce que cet essai au scalpel en rafraîchisse la trace.
« L’Afrique d’abord ! Quand François Mitterrand voulait sauver l’Empire français », de Thomas Deltombe (La Découverte, 2024).
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La légende d’un Mitterrand anticolonialiste ruinée par Thomas Deltombe