Résultats des enquêtes réalisées pour le rapport 2010
Perceptions du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie en 2010
A l’occasion de son rapport consacré à l’année 2009, la Cncdh soulignait qu’à l’inverse de conceptions largement partagées, les préjugés racistes diminuaient. Pourtant, l’analyse des résultats des enquêtes réalisées pour le rapport 2010 laisse craindre que ce mouvement soit interrompu. Il semble en effet que, pour la première fois depuis plusieurs années, nous constations une augmentation de l’intolérance.
Il est impossible d’en tirer pour l’instant des conclusions définitives. En effet, seuls les résultats de l’année prochaine (et des années à venir) permettront d’affirmer avec certitude que cette augmentation est conjoncturelle ou interrompt de manière durable le mouvement d’ouverture de la société française vers l’autre.
Les résultats du sondage 2010 appellent toutefois à renforcer notre vigilance, plusieurs éléments doivent être soulignés :
– Augmentation de la méfiance à l’égard des musulmans, comme l’année dernière, mais de manière plus marquée ;
- 48% des personnes interrogées estiment que les musulmans forment un groupe à part dans la société (+4 points par rapport à 2009)
- 74% des personnes interrogées pensent que les Français musulmans sont des Français comme les autres, (- 5 points par rapport à 2009)
- 68% des personnes interrogées pensent que le port du voile peut poser problème pour vivre en société
– Rejet croissant des étrangers, perçus de plus en plus comme des parasites, voire comme une menace ;
- 56% des personnes interrogées estiment qu’il y a trop d’immigrés en France (+9 points par rapport à 2009)
- et parmi eux, 61% estiment que cela rend plus difficile la situation des personnes comme eux qui vivent en France
- 67% des personnes interrogées estiment que de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale
– Constat d’échec de l’intégration et remise en cause de la possibilité d’un « vivre ensemble » dans la société française.
- 59% des personnes interrogées pensent que l’intégration des personnes d’origine étrangère fonctionne mal, voire très mal (14%)
Ces constats sont d’autant plus inquiétants qu’ils s’inscrivent dans un contexte plus général de perception globalement négative de la société française : préoccupations économiques et sécuritaires fortes, vision très segmentée de la société. Par ailleurs, on assiste à une dangereuse banalisation des propos racistes. Internet contribue grandement à cette banalisation. Mais elle s’alimente également de l’instrumentalisation dans le discours politique de certaines thématiques (identité nationale, immigration, religion-laïcité), ainsi que de certains dérapages et des polémiques qui ont suivi.
L’analyse des résultats des enquêtes réalisées pour le rapport 2010 : http://www.cncdh.fr/IMG/pdf/Perception_du_racisme_dans_l_opinion_publique.pdf
Le 13 avril 2011
Racisme : « Un verrou a sauté dans le discours politique admis ou admissible »
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui a rendu public, mardi 12 avril, son 20e rapport annuel sur le racisme, a mis en avant une nouvelle notion : « le racisme compréhensif ». Epais de 430 pages et consacré à l’année 2010, ce document pointe les personnes se déclarant « non racistes mais comprenant très bien que les autres le soient ».
Pour cela, la Commission se fonde sur un sondage et sur une enquête qualitative. Le premier a été réalisé par l’institut CSA entre les 11 et 14 janvier 2011, auprès de 979 personnes âgées de 18 ans et plus. L’enquête qualitative a, elle, été conduite par l’institut TNS-Sofres sur la base de 30 entretiens individuels semi-directifs en face-à-face d’une heure et demie, entre le 9 et le 14 décembre 2010.
D’après le sondage mené par l’institut CSA, si les préoccupations économiques constituent, comme en 2009, les premières préoccupations des Français, l’insécurité, le terrorisme et la drogue ont vu leur intérêt énormément augmenter. L’insécurité est le premier souci de 28 % des sondés (+6 points par rapport à 2009), le terrorisme, cité par 26 % des personnes interrogées, a augmenté de 15 points, et la drogue, citée par 15 % des sondés, a gagné cinq points.
LA « VISION COMMUNAUTAIRE » REGAGNE DU TERRAIN
Ce sondage, réalisé annuellement afin d’établir l’évolution du racisme sur le long terme, montre que la « vision communautaire » de la société française a aussi tendance à regagner du terrain alors qu’elle en perdait jusque-là. La quasi-totalité des « groupes » testés est perçue comme « constituant un groupe à part ». Les plus isolés sont les « gens du voyage » : 72 % des personnes interrogées les considèrent « à part » (+3 points par rapport à 2009). Suivent les musulmans (48 %, +4 points) et les maghrébins (35 %, +2 points).
Quelque 59 % des sondés considèrent, par ailleurs, que l’intégration des personnes d’origine étrangère fonctionne « très mal » et 45 %, « assez mal ». Mais ce résultat est lié, selon 54 % d’entre eux, « aux personnes d’origine étrangère qui ne se donnent pas les moyens de s’intégrer ». Seulement 39 % estiment que « c’est avant tout la société française qui ne donne pas les moyens aux personnes d’origine étrangère de s’intégrer ». De même, 56 % des sondés considèrent qu’il y a « trop d’immigrés en France », soit une hausse de 9 points par rapport à 2009.
L’enquête qualitative menée par TNS-Sofres affine l’analyse de ces résultats. La hausse de tous ces indicateurs est, en effet, en partie liée à l’essor du discours des « racistes compréhensifs ». Il s’agit de ceux qui rejettent la violence mais pas forcément les attitudes racistes. Ces personnes se distinguent de celles rejetant ces deux types de comportements racistes en bloc et d’un troisième groupe qui tolère l’ensemble de ces attitudes.
Le rapport de la CNCDH pointe aussi une baisse importante des actes et menaces à caractères racistes, antisémites et xénophobes, en 2010. Selon les données du ministère de l’intérieur, la somme de ces actes et de ces menaces s’est élevée à 1 352 en 2010 contre 1 841 en 2009, soit une baisse de 26 %. Mais cette baisse de la violence – dont les Maghrébins sont les principales victimes – a eu lieu en même temps qu’une hausse des préjugés et de « l’intolérance », selon la CNCDH.
LA RESPONSABILITÉ DES « NOMBREUX DÉBATS ET ANNONCES »
La plupart des personnes interrogées a une vision « sombre » de l’avenir. Beaucoup envisagent une « exacerbation des tensions qui viendraient cristalliser des évènements dramatiques » : attentat, révolte dans les cités… La vision « largement partagée » qui se développe aussi, selon la CNCDH, est que « les populations s’installant en France » le font pour « profiter des aides sociales » et que « l’islam est la principale difficulté liée à l’immigration et à la gestion de la différence dans la société française ».
Pour la commission, il semble, « aux yeux de la plupart des personnes rencontrées, qu’un verrou ait sauté dans le discours politique admis ou admissible » au sujet du racisme. Une situation qui les amène, pour une partie d’entre elles, à accueillir favorablement la « banalisation » des discours racistes, considérés comme « la fin d’une hypocrisie ».
La CNCDH explique en grande partie ces résultats par le « contexte actuel ». Les attitudes racistes et xénophobes « restent fortement liées aux inquiétudes socio-économiques », souligne-t-elle. Elle pointe aussi la responsabilité des « nombreux débats, annonces et questionnements sur l’identité nationale, la déchéance de nationalité, l’interdiction de la burqa ou la situation des Roms en France ».
«L’ethnicisation des problèmes sociaux a engendré une libération de la parole raciste»
- Comment analysez-vous le bilan annuel de la Commission nationale consultative des Droits de l’homme?
Je ne partage pas l’optimisme de ce rapport. Selon moi, il ne faut pas comparer 2010 à 2009 en ce qui concerne le nombre d’actes et de menaces à caractère raciste et antisémite. Car l’année 2009 avait vu une très forte augmentation des violences antisémites en raison de l’offensive israélienne sur la bande de Gaza. Il est donc plus pertinent de comparer 2010 à 2008. Or, dans ce cas, on constate que les actes à caractère raciste ont augmenté de 23%.
- Le rapport montre aussi la montée en flèche des sentiments xénophobes en 2010, comment l’expliquez-vous ?
Tout d’abord, je pense que le discours à Grenoble Nicolas Sarkozy en juillet a été une rupture engendrant un risque de morcellement ethnique de la République. Les personnes d’origine étrangère ont été prises pour cibles. Cette ethnicisation des problèmes sociaux a engendré une libération de la parole raciste. Par ailleurs, 2010 a été l’année de la résurgence du Front national. Marine Le Pen a su imposer l’islam comme sujet de débat, ce qui a entraîne une stigmatisation des musulmans. Enfin, le politiquement incorrect est devenu une doctrine. Exemple: les députés n’ont pas hésité à recevoir et à applaudir Eric Zemmour à l’Assemblée, alors qu’il avait été condamné pour provocation à la discrimination raciale et qu’il a demandé à cette occasion l’abrogation des lois mémorielles. Tout cela participe à la banalisation du racisme.
- Quelles solutions préconisez-vous pour améliorer la situation ?
Il est important que les pouvoirs publics s’impliquent dans ce dossier. Le fait qu’un plan national d’action contre le racisme soit en cours d’élaboration est une bonne chose. Il est aussi essentiel qu’un comité interministériel soit réactivé sur ce sujet, car pour être efficaces, les politiques contre le racisme élaborées dans chaque ministère doivent être coordonnées.
Le 12 avril 2011