le 16 octobre 2004 : 200 personnes au pont St-Michel
Environ 200 personnes se sont rassemblées samedi [16 octobre 2004] après-midi sur le pont Saint-Michel à Paris à l’appel de plusieurs organisations pour commémorer la répression policière du 17 octobre 1961 qui avait entraîné la mort de plusieurs dizaines d’Algériens.
Pour la première fois, des enfants de harkis, représentés par l’association « Harkis et droits de l’Homme », participaient à l’événement.
« Nous sommes satisfaits, car tout se passe bien », a témoigné Gilles Manceron de la LDH devant la plaque posée par la mairie de Paris il y a trois ans. « C’est important que les descendants des harkis soient là, car on se rend compte que eux aussi ont été très instrumentalisés et ont beaucoup souffert ».
De nombreux élus communistes, ainsi qu’Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte Ouvrière, avaient répondu dans le calme à l’appel du MRAP, de la LDH, de la Cimade, du Fasti, des Verts et de la LCR.
« Nous avons plutôt été bien accueillis, et c’est un joli geste de fraternité », s’est réjouie Fatima Besnaci-Lancou, présidente de l’association « Harkis et droits de l’Homme ».
[d’après AFP.]
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le 17 octobre 2003
Plusieurs centaines de personnes ont commémoré, hier sur le pont Saint-Michel à Paris, le 17 octobre 1961 : la police avait férocement réprimé une manifestation du FLN algérien contre les mesures d’exception visant les « musulmans » en France. Bilan : plus de 200 morts, selon des historiens. Cette année, des Algériens sont venus, seuls ou en famille, alors que jusque-là les associations, notamment Au nom de la mémoire, formaient le gros des troupes. L’an dernier, le maire de Paris avait apposé une plaque, première reconnaissance de ce massacre, occulté par l’histoire officielle.
« C’est la première fois que j’ose le dire : le 17 octobre 1961, j’ai été arrêté et battu pendant onze jours, raconte Amor. Quand ils m’ont libéré, j’étais tout cassé et sanglant mais j’avais si peur que j’ ai préféré aller me faire nettoyer chez un coiffeur que soigner à l’hôpital. Plus tard, quand mes enfants m’ont demandé, j’ ai nié. Comment j’aurais pu leur expliquer qu’après la libération de l’Algérie j’étais resté vivre ici, avec eux dans un Etat qui nous avait tant humiliés? »
Le 17 octobre 1961, la réalité d’un massacre face à un mensonge d’Etat
par Philippe Bernard [Le Monde – 16 Octobre 2001]
Après trente ans de silence, la dernière décennie a consacré un travail de mémoire afin de rétablir la vérité concernant les dizaines de manifestants algériens tués par des policiers à Paris.
LONGTEMPS, le 17 octobre 1961 a été une sorte de trou noir dans l’histoire de nos amnésies collectives. Refoulé, ce sanglant épisode de la guerre d’Algérie finissante se mêlait confusément au souvenir des huit morts du métro Charonne, en février 1962, et de l’immense cortège qui a accompagné leurs funérailles. Les dizaines, voire les centaines d’Algériens massacrés par la police de Maurice Papon lors d’une manifestation de protestation contre le couvre-feu imposé aux seuls musulmans, étaient ainsi éclipsées.
L’incroyable silence sur le 17 octobre 1961 a duré trente ans. La dernière décennie a consacré la redécouverte de cet épisode terrible, dont le souvenir enfoui nourrit encore les cauchemars des immigrés algériens et le malaise de leurs descendants français. Signes tangibles de cet intense travail de mémoire, une demi-douzaine de livres sont publiés à la veille du quarantième anniversaire de cette tragédie, qui doit être notamment marqué, mercredi 17 octobre, par la pose d’une plaque commémorative par le maire de Paris au pont Saint-Michel, l’un des endroits où des corps furent jetés à la Seine.
« PROPREMENT STUPÉFIANT »
Si l’occultation a pu durer si longtemps, c’est que l’événement a été « proprement stupéfiant », selon Pierre Vidal-Naquet, qui préface la réédition des deux livres de la journaliste Paulette Péju censurés à l’époque. Qu’en plein Paris, moins de vingt ans après la rafle du Vel’d’Hiv’, des autobus aient été réquisitionnés pour emmener dans des stades une partie de la population désignée par ses origines raciales sinon religieuses, que nombre des 11 500 « Français musulmans d’Algérie » arrêtés aient été tabassés parfois à mort par des policiers parisiens qui voulaient venger les dizaines de leurs collègues assassinés par le FLN… l’opinion française, lasse d’une guerre meurtrière de sept ans, a voulu l’oublier. D’autant que cette Saint-Barthélemy des musulmans, transposition à Paris des ratonnades d’Algérie, intervient alors que la perspective de l’indépendance algérienne a été tracée par le général de Gaulle et que des négociations avec le FLN vont aboutir cinq mois plus tard.
Alors pourquoi cette décision du FLN de manifester en masse, pourquoi cette répression atroce ? Les livres de 2001 apportent des réponses. Octobre 1961, un massacre à Paris, de Jean-Luc Einaudi, véritable militant-défricheur du 17 octobre depuis plus d’une décennie, dresse un panorama étourdissant de la vague d’agressions anti-algériennes dans les semaines précédant le paroxysme d’octobre. Le constat a la froideur d’un interminable alignement de procès-verbaux, litanie de tabassages, d’humiliations, de cadavres jetés à la Seine et de non-lieux judiciaires. « Pour un coup rendu, nous en porterons dix » , prévient le préfet de police, Maurice Papon, le 2 octobre. L’exaspération des Algériens est à son comble, et lorsque le préfet les soumet à un couvre-feu (à 20 h 30) afin d’empêcher les réunions de militants, le FLN décide d’appeler à une manifestation pacifique et nocturne. Les documents interceptés par la préfecture de police et enfin sortis des archives témoignent des consignes de l’organisation : pas d’armes, pas de provocation. D’autres contributions, comme celle de la fille de Mohameddi Saddek, principal organisateur du défilé, publiée par l’association 17 octobre 1961 contre l’oubli, témoignent de l’enjeu interne au FLN que constitue la riposte parisienne. Côté policier, le déferlement de haine attisé par les attentats et l’assimilation de chaque Nord-Africain à un terroriste sourdent de toutes les archives.
Si le bilan chiffré de la répression est sujet à débat – 265 morts selon Jean-Luc Einaudi, là où Jean-Pual Brunet n’en admet qu’entre 30 et 50 -, d’autres enjeux surgissent : la monstrueuse stratégie de dissimulation de l’Etat et l’importance des dix dernières années de combat pour la mémoire. Page après page, s’étalent les mensonges policiers et administratifs : publication de bilans truqués, réponses fallacieuses aux interpellations des élus et de la presse, obstruction à la mise en place d’une commission parlementaire, interdiction de livres et de films, poursuites systématiques en diffamation, jusqu’à la prohibition de l’emploi du terme « arrestation »… A l’hallucinante construction d’un mensonge d’Etat répondra l’édification d’une autre mémoire par les partis de gauche autour de « Charonne », dont les martyrs feront oublier le soutien primitif à la guerre coloniale. Sans oublier l’amnistie et la disparition des archives sensibles. Côté algérien, le régime n’aura de cesse de gommer le rôle, notamment financier, des émigrés dans la lutte pour l’indépendance.
Pendant des années, une poignée de militants du MRAP ont maintenu la flamme en jetant des fleurs du haut du pont Saint-Michel à chaque anniversaire. La mémoire n’allait rejaillir qu’en 1991, sous l’impulsion de jeunes beurs dont les parents avaient défilé en 1961, et grâce au premier livre de Jean-Luc Einaudi, La Bataille de Paris, qui publia la première liste des victimes et mit en pièces la version de Maurice Papon d’un affrontement armé entre FLN et police.
L’histoire s’est faite ensuite presque facétieuse : l’ancien préfet de police va indirectement contribuer à dévoiler la vérité. Jean-Luc Einaudi rappelle comment sa propre déposition comme témoin, en 1997, au procès de Maurice Papon pour son rôle dans la déportation des juifs à Bordeaux sous l’Occupation a réouvert le débat et conduit l’Etat à amorcer un timide déverrouillage des archives. Et surtout comment l’ancien préfet a commis l’erreur de poursuivre l’écrivain en diffamation pour une tribune publiée dans Le Monde, où il mettait en cause sa responsabilité dans la nuit sanglante de 1961. Perdu par l’ancien préfet de police en 1999, ce procès s’est transformé en tribune de dénonciation du mensonge d’Etat. Pour la première fois, un magistrat a alors qualifié de « massacre » les événements de 1961, ouvrant la voie au geste de reconnaissance officielle de Bertrand Delanoë.
Il aura fallu dix ans de mobilisation et beaucoup d’encre pour que se lézarde la chape de plomb. Voilà tout juste dix ans, le préfet du Val-d’Oise avait encore cru bon d’envoyer la police desceller la plaque commémorative apposée au pont de Bezons, l’un des lieux du massacre, par l’association Au nom de la mémoire.
PHILIPPE BERNARD