Grâce aux soutiens financiers reçus suite à son texte collectif du 11 mai dernier, le collectif « Trop, c’est trop ! » vient de lancer le 1er septembre 2015 un site Internet : trop-cest-trop.fr/.
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Si vous souhaitez nous aider à développer ce site et à produire d’autres outils de communication (publications, flyers, badges, etc.), vous pouvez nous adresser des chèques à l’ordre de « LDH-Trop, c’est trop! » à l’adresse postale suivante : Ligue des droits de l’homme, 138, rue Marcadet, 75018 Paris.
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Trop, c’est trop !
Le 31 juillet en Palestine occupée, dans le village de Douma près de Naplouse, des colons israéliens ont lancé des cocktails Molotov dans la maison d’une famille palestinienne qui avait laissé les fenêtres ouvertes à cause de la chaleur. Le petit Ali, 18 mois, est mort brûlé vif, son père, Saad, a succombé à ses blessures, sa mère Riham, 26 ans, et son frère Ahmed, 4 ans, ont été brûlés au troisième degré. Ce crime est un produit direct de la colonisation des territoires palestiniens occupés par Israël après la guerre de 1967.
Pour faire cesser cette situation en imposant des sanctions contre Israël, le collectif « Trop, c’est trop ! », constitué en 2001, au moment où Yasser Arafat s’est trouvé enfermé à Ramallah, à l’initiative de Madeleine Rebérioux et Pierre Vidal-Naquet, et qui s’est exprimé quand de nouvelles menaces compromettaient encore davantage la paix dans la région, ouvre aujourd’hui un site internet. Son cap ? Dès le lendemain de la Guerre des Six Jours, Pierre Vidal-Naquet l’avait fixé. Dans son article du Monde intitulé « Après », du 13 juin 1967, il expliquait qu’après avoir pris la défense d’Israël quand son existence était menacée, il demandait désormais la « satisfaction des aspirations nationales des Arabes de Palestine » par la création « d’un Etat palestinien arabe à partir de la bande de Gaza et de la Cisjordanie ». Les élections de mars 2015 en Israël ayant tourné le dos à cette perspective, seules de réelles sanctions contre cet Etat peuvent faire bouger les choses. Engagés dans le combat permanent nécessaire contre l’antisémitisme, nous refusons l’instrumentalisation indue de cette cause pour tenter de discréditer la critique des politiques israéliennes et les demandes de sanctions économiques contre cet Etat.
Le gouvernement d’Israël soutient la colonisation
Le crime commis à Douma, qui mérite bien le terme de pogrom et est aussi révoltant que tous ceux qui ont jalonné l’histoire de l’antisémitisme en Europe, n’est pas un acte isolé. Les organisations palestiniennes et israéliennes de défense des droits de l’homme recensent chaque semaine bien d’autres agressions perpétrées en Cisjordanie par des colons contre des civils palestiniens, dont des enfants, et destructions de lieux de culte chrétiens ou musulmans, de cultures et de maisons, qui s’ajoutent aux humiliations et aux violences infligées par les soldats israéliens. Elles ont pour soubassement l’idéologie inculquée aux 600 000 colons installés en Cisjordanie, celle du « Grand Israël » qui les a persuadés que ces territoires étaient leurs. Leur doxa, que le discours des politiques qui ont accompagné leur implantation a édifiée, est que les Palestiniens sont des intrus, qu’ils doivent disparaître de leur regard, laisser la place aux colons; et que les crimes commis par des extrémistes colons ne doivent pas être réprimés, ils visent à « restituer » à Israël les terres de « Judée-Samarie », autrement dit toute la Palestine.
Telle est la situation. Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a feint de s’indigner en opérant quelques arrestations. Son utilisation de la détention administrative sans charge et pour une durée illimitée employée jusque-là contre les seuls Palestiniens – 401 sont actuellement emprisonnés selon cette procédure -, est non seulement une procédure arbitraire mais un leurre à destination de l’opinion internationale, puisqu’il continue à entretenir le terreau sur lequel se développent ces crimes en poursuivant l’implantation de nouvelles colonies à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Parmi les colons, les groupes terroristes comme Tag Mehir (« Le prix à payer »), qui considèrent comme un kadosh, un saint, un héros, Baruch Golstein, l’assassin de 29 Palestiniens en prière dans la mosquée d’Hébron, le 25 février 1994, bénéficient de l’indulgence du gouvernement comme des tribunaux de district. Les trois individus accusés d’avoir mis le feu le 18 juin à une église de Tibériade ont vite été libérés, quand, pour des faits semblables, un tribunal militaire aurait condamné des Palestiniens à au moins quinze ans de prison. A Beit El, près de Ramallah, le 29 juillet, quand Netanyahou a été contraint d’appliquer une décision de la Cour suprême à la requête de paysans palestiniens en détruisant deux petits immeubles illégaux construits par des colons, il l’a aussitôt compensé. Pour tenter de calmer les jeunes colons qui avaient lancé toutes sortes de projectiles sur les soldats – en toute impunité, quand, pour les mêmes actes, l’armée aurait tiré sur de jeunes palestiniens -, il a annoncé la construction de 300 logements dans cette colonie déjà peuplée de 6 000 habitants.
Une situation bloquée
Sans pressions extérieures, une société enfoncée dans une situation coloniale ne peut trouver d’elle-même une solution pour en sortir. De telles sociétés connaissent des dissidences et des minorités lucides qui méritent notre soutien mais qui restent isolées au milieu de l’aveuglement majoritaire. Lors de la guerre d’Algérie, par exemple, dans la population européenne, ceux qui étaient favorables à la recherche d’une solution politique pour l’indépendance du pays se sont trouvés marginalisés par le courant dominant dont les faveurs allaient aux extrémistes de l’OAS. La paix n’a pu advenir qu’imposée de l’extérieur. La situation actuelle en Israël est comparable à celle qui aurait résulté de l’élimination du général de Gaulle, si les extrémistes de la colonisation avaient réussi à l’assassiner en 1961, comme Itzhak Rabin l’a été en 1995 en Israël, et si les auteurs du coup d’Etat d’avril, qui se réclamaient du vote massif des Européens d’Algérie en janvier contre l’indépendance et bénéficiaient d’un fort soutien de cette population, avaient pris le pouvoir en Algérie. En Israël, par l’assassinat décisif de Rabin, puis par les urnes, avec certes moins de violence contre les éléments minoritaires, c’est aussi l’aveuglement qui prévaut, et, pour gagner l’opinion, ce sont les surenchères qui sont payantes. L’opposition de Netanyahou à l’accord avec l’Iran, conclu à Vienne le 14 juillet, a eu beau être été un total fiasco diplomatique, elle lui a valu une hausse de sa popularité dans le pays et l’opposition travailliste tétanisée par ce climat lui a apporté son soutien. Sur les plages de Tel-Aviv, on ne veut pas entendre parler du sort des Palestiniens de Gaza pourtant à quelques dizaines de kilomètres de là. Dans une telle situation coloniale, le déni prévaut, le colonisé est devenu invisible, nié dans son existence même. A cet égard, l’idée d’une prise de conscience venant spontanément de l’intérieur d’Israël est illusoire, le droit ne peut être imposé qu’au prix d’une pression résolue de l’extérieur.
Chacun le constate : vingt ans après les Accords d’Oslo, la perspective de créer un Etat palestinien aux côtés d’Israël parait plus éloignée que jamais. Jérusalem-Est s’y trouve annexée de fait avec ses 300 000 habitants palestiniens — sans qu’ils en soient reconnus citoyens, sans droit d’y participer aux élections législatives. Des colonies de plus en plus nombreuses tendent à la séparer de la Cisjordanie. Les quelque 1 800 000 habitants de la bande de Gaza, isolés du monde, vivent au milieu des ruines provoquées par l’attaque de l’été 2014, leurs quelques activités économiques comme la pêche se voyant restreintes chaque jour davantage par les autorités israéliennes. Alors qu’ils appartiennent au même peuple palestinien que les habitants de Cisjordanie, que pendant de nombreuses années, des jeunes pouvaient aller y étudier à l’Université de Bir-Zeit, qu’une personne habitant Beth Hanoun à Gaza, par exemple, pouvait épouser quelqu’un de Ramallah, ils ne peuvent plus se rendre en Cisjordanie. Pourtant, comme l’a souligné l’anticolonialiste israélien Uri Avnery, les Accords d’Oslo reconnaissaient que la Cisjordanie et la bande de Gaza formaient un seul territoire, et Israël s’y engageait à ouvrir entre eux quatre « libres passages » sécurisés, jamais réalisés. L’objectif actuel d’Israël est d’approfondir la coupure entre ces deux morceaux de Palestine, quitte à renforcer l’emprise du Hamas sur Gaza en concluant avec lui un accord séparé et en lui octroyant même un port de haute mer sous son contrôle.
Mais, même si l’unité de la Palestine, la construction d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza avec Jérusalem-Est comme capitale paraissent s’être éloignées sans cesse dans les faits, cet objectif reste la seule perspective pouvant, à moyen terme, mettre fin au conflit. Non seulement la France ne doit pas différer sa reconnaissance d’un tel Etat, mais elle doit militer activement pour des pressions qui amèneraient l’Etat d’Israël à accepter cette issue.
Des sanctions sont nécessaires
Seules des sanctions venues du reste du monde pourraient provoquer des évolutions en Israël. Cet Etat s’est souvent montré sensible aux menaces de sanctions économiques. En 1986, c’est en menaçant d’arrêter la coopération en matière agricole de l’Europe avec Israël que le commissaire européen Claude Cheysson a contraint cet Etat à autoriser les exportations palestiniennes de produits agricoles vers l’Europe, et l’année suivante, c’est en menaçant de supprimer la coopération universitaire de l’Europe avec Israël, qu’il l’a contraint à rouvrir les universités palestiniennes. En 1991, c’est en menaçant de supprimer leur important soutien financier pour l’installation des Juifs soviétiques en Israël que les Etats-Unis ont obtenu que le Premier ministre Itzhak Shamir vienne à Madrid discuter avec les Palestiniens. Aujourd’hui, la sanction la plus efficace et la plus légitime est la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, entré en vigueur en 2000, puisque, comme tous les autres accords d’association de l’Union avec des Etats non membres, son application est subordonnée au respect par eux des droits de l’homme. Cette mesure a déjà été votée par le Parlement européen en 2002, mais non suivie d’effet puisque la Commission européenne a refusé de l’appliquer et que l’opinion publique n’a pas fait assez pression à l’époque pour l’imposer. La dépendance de l’économie israélienne par rapport à son débouché européen rend très efficace cette sanction, à laquelle devrait s’ajouter l’arrêt de toute coopération sécuritaire et militaire.
En 2005, l’Union européenne a décidé de ne pas appliquer les « tarifs préférentiels » issu de cet Accord d’association aux marchandises issues des territoires palestiniens occupés et elle a commencé à travailler sur la « différenciation » entre les produits exportés par Israël et ceux venant des colonies. A l’été 2013, elle a adopté des « lignes directrices » visant à exclure les territoires palestiniens occupés de tous les accords conclus par l’Europe avec Israël. L’année suivante, le programme européen « Horizon 2020 », sur la recherche et l’innovation, dont Israël est partie, contenait des clauses excluant de tout financement les implantations dans ces territoires. Mais le fait est que, durant ces dix années, cette volonté de « différenciation » a eu peu d’effets. Malgré l’appel lancé en avril 2015 par seize ministres – dont ceux de la France, de l’Italie, de la Belgique, de l’Espagne – pour un étiquetage des produits provenant des territoires palestiniens occupés, rien de tel n’a vu le jour, en raison, semble-t-il, de l’opposition de pays comme l’Allemagne ou la Hongrie. Dans ces conditions, en l’absence d’une réelle traçabilité des produits des colonies – qui impliquerait la possibilité d’inspections internationales sur place -, les quelques décisions prises par l’UE – comme celle, le 1er septembre 2014, de cesser d’importer les volailles et produits laitiers issus des colonies – ne peuvent guère être considérées comme effectives. Plus sérieuse serait l’application du rapport que le Conseil européen des Affaires étrangères a transmis à l’Union européenne en juillet 2015, préconisant le boycott des banques israéliennes qui ont des succursales dans les territoires occupés, mais, pour l’heure, aucune décision n’a été prise.
Dans le même souci de distinguer les exportations des colonies de celles de l’Etat d’Israël, une campagne pour le boycott des produits provenant des colonies a été lancée conjointement par la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine – qui rassemble 40 associations membres ou observateurs – et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). Intitulée « Made in illegality / Stop aux relations économiques de la France avec les colonies israéliennes ! », elle demande à la France et à l’Union européenne d’interdire l’importation des produits des colonies.
Pour sa part, le collectif « Trop, c’est trop ! » a relancé le 11 mai 2015 la demande de suspension de l’Accord d’association de l’Union européenne avec Israël. Elle avait été au cœur, en novembre 2002, d’une réunion publique à la Mutualité organisée notamment avec l’Association France-Palestine Solidarité, qui n’a jamais cessé de la défendre depuis. Elle a été reprise par la Ligue des droits de l’homme dans la résolution adoptée au Mans, le 24 mai 2015, lors de son 88e congrès, « Soutenir les droits du peuple palestinien ». Une telle revendication pourrait faire l’objet d’une vaste campagne des citoyens européens à destination de leurs élus, pour que l’Union européenne ait le courage de prendre effectivement cette décision.
Déjouer l’instrumentalisation indue de l’antisémitisme
Faut-il appeler au boycott de tous les produits israéliens par les consommateurs ? Nous n’avons pas repris un tel appel. En droit, tout Etat dont on dénonce la politique doit pouvoir être l’objet d’un boycott sans qu’on puisse considérer celui-ci comme une manifestation de racisme à l’égard de ses habitants. En cela, la « circulaire Alliot-Marie » émise le 12 février 2010 par la Garde des sceaux de l’époque, qui demande aux parquets d’engager des poursuites contre les personnes appelant ou participant à des actions de boycott des produits israéliens, qu’elle assimile à de la provocation à la discrimination ou à la haine raciale, doit être abrogée. Les militants qui appellent au boycott des produits israéliens en raison de la politique de colonisation pratiquée par cet Etat, tout en étant clairs sur la dénonciation de l’antisémitisme, ne doivent pas pouvoir être accusés de racisme ni relever des tribunaux. La Garde des sceaux Christiane Taubira a organisé à la chancellerie deux réunions de travail, les 17 décembre 2012 et 6 mars 2013, avec des parlementaires et des responsables associatifs, puis réuni le 13 mai 2014 un « conseil des sages » composé de la sociologue Dominique Schnapper, du philosophe Olivier Abel, du magistrat Pierre Lyon-Caen, de l’ambassadeur Yves Aubin de la Messuzière et du professeur au Collège de France, Henry Laurens. Une nouvelle réunion avait été convoquée en janvier 2015, mais son annulation du fait des attentats terroristes semble avoir repoussé aux calendes grecques l’abrogation de cette circulaire. Il est urgent qu’une telle directive contraire à la liberté d’expression, qui vise, en tentant de les criminaliser, à museler des actions non violentes contre un Etat qui viole en permanence le droit, soit abrogée.
Mais un appel général au boycott des produits israéliens par les consommateurs est-il pour autant un mot d’ordre approprié ? Du fait de l’ancienneté et de l’enracinement de l’antisémitisme en France et en Europe, en raison des confusions et connotations antisémites que cela pourrait comporter dans une partie de l’opinion, nous ne le pensons pas. Comme l’avait souligné encore Pierre Vidal-Naquet, Israël n’est pas « un Etat comme les autres ». Il faisait remarquer qu’« attaquer violemment la politique française, le gouvernement français, ne signifie pas mettre en cause l’existence de la France en tant que communauté nationale ». Boycotter les Etats-Unis à cause de la politique de ses dirigeants, brûler pour cela un drapeau américain, n’est pas perçu comme une négation du droit d’exister de cet Etat. La construction d’Israël s’est produite au confluent de deux histoires : elle a eu lieu dans un contexte où l’idéologie accompagnant l’expansion coloniale européenne, qui commençait à être remise en cause, niait les droits des peuples indigènes ; et elle est aussi indissociable de l’histoire de personnes qui ont quitté l’Europe pour fuir les persécutions antisémites qui y déferlaient. On ne peut pas faire abstraction de cette double histoire particulière.
Il faut prendre en compte également l’existence en Israël d’un courant, inévitablement minoritaire, mais significatif, favorable à l’existence d’un Etat palestinien. De nombreux secteurs de la société israélienne sont hostiles aux colons de Cisjordanie, pour des raisons variées, économiques, financières, idéologiques, et même militaires, puisque des jeunes Israéliens n’ont pas envie de mourir pour eux et leur sentiment est partagé par leurs familles. Le mouvement des « indignés », confus politiquement, a été traversé par cette hostilité, même si, malgré un début de dénonciation des budgets de guerre, il n’a pas débouché sur une remise en cause claire de la colonisation. Le parti communiste israélien a une analyse pertinente de ce problème : l’aggravation de la crise économique et sociale peut favoriser en Israël un mouvement critique intéressant. Sans parler de l’inquiétude de certains milieux financiers — et militaires — face à l’hostilité internationale grandissante à l’égard d’Israël. Et il ne faut pas sous-estimer le rôle politique grandissant que peut jouer la diaspora juive pour influencer positivement la société israélienne.
Le mouvement de soutien aux droits des Palestiniens doit faire preuve d’une vigilance particulière vis-à-vis de l’antisémitisme dont l’enracinement multiséculaire en France et en Europe fait qu’il a tendance à rejaillir sans cesse sous de multiples avatars. Et cet antisémitisme, largement enraciné dans l’histoire de l’Europe chrétienne, a tendance à se compliquer du fait de l’interférence de préjugés judéophobes et d’approches simplistes et ethnicisantes du conflit israélo-palestinien, issus des cultures populaires de pays musulmans et de l’immigration qui en provient. Sans reprendre les théories selon lesquelles un « nouvel antisémitisme » d’origine musulmane aurait remplacé en France le « vieil antisémitisme » européen, une réflexion précise sur ces phénomènes doit être menée avec les Français musulmans ou héritiers de cette culture, ainsi qu’avec l’ensemble des forces qui veulent faire triompher les droits des Palestiniens.
Reste que nous refusons clairement l’invocation systématique de l’antisémitisme pour récuser toute critique à l’encontre des politiques mises en œuvre par l’Etat d’Israël. Il s’agit d’un procédé, d’une manœuvre, pour éviter d’y répondre qui, en prétendant les expliquer, permet en réalité d’éviter de les examiner. Quand Le Monde a publié a deux reprises, le 30-31 décembre 2001 et le 13-14 janvier 2002, le premier appel du collectif « Trop, c’est trop ! » : « Les dirigeants palestiniens, Yasser Arafat en tête, qui serra naguère la main d’Itzhak Rabin, sont aujourd’hui cernés à Ramallah par des tanks israéliens. Les bombes pleuvent sur le territoire où vit encore une partie du peuple palestinien. Rien, nous disons bien, rien – y compris les attentats inacceptables commis par des kamikazes – ne peut justifier de tels actes. Le peuple palestinien a le droit de vivre libre. Il a droit à un État véritable… », on a assisté dans le même quotidien à une étrange « réponse ». Alors qu’on pouvait s’attendre à lire un autre point de vue sur le sujet soulevé, un autre jugement que le nôtre sur les dirigeants palestiniens, un argumentaire sur l’impossibilité d’un Etat palestinien, les défenseurs des politiques israéliennes ont fait paraître dans le même quotidien un encart reprenant la même typographie intitulé « Trop, c’est vraiment trop ! », mais portant sur un autre sujet : sur la question de la montée des actes antisémites en France. L’alerte était légitime, mais cette publication est révélatrice d’une volonté d’éluder la question posée et de la remplacer par une autre. Comme si leurs auteurs n’avaient rien à répondre à l’interpellation formulée, comme s’ils n’avaient comme recours pour l’éluder que de porter l’attention sur un autre sujet – un sujet grave, et à propos duquel, en raison du passé, il est facile de réactiver des peurs, potentiellement porteuses d’angoisses et de réactions irrationnelles qui empêchent d’aborder spécifiquement et sereinement les problèmes politiques de la Palestine.
L’allégation d’antisémitisme est une arme récurrente à laquelle les défenseurs des politiques coloniales israéliennes ont constamment recours. Ainsi, en juillet 2004, le Premier ministre israélien Ariel Sharon en visite à Paris avait cherché à détourner l’attention des critiques contre sa politique coloniales en dénonçant un déferlement d’antisémitisme en France qui devait selon lui conduire les Juifs de ce pays à émigrer en Israël. Et cet argument n’a cessé d’être utilisé depuis par la propagande israélienne. Pour disqualifier comme antisémites les manifestations contre l’intervention israélienne à Gaza, le 13 juillet 2014, une provocation lors d’une d’entre elles, à Paris, du groupe raciste « Ligue de défense juive » a même réussi, comme l’a montré le site internet de l’Obs, à susciter un incident qui a permis d’accréditer cette thèse. L’accusation revient sans cesse dans la propagande de l’Etat d’Israël : les critiques contre sa politique seraient des incitations à « haïr le Juif ». Un argument que des responsables politiques français n’hésitent pas à reprendre ; ainsi Valérie Pécresse, lors de l’opération controversée de la Mairie de Paris associant la ville de Tel-Aviv à Paris Plages, le 13 août, déclarait sur RTL, à propos des critiques extrêmement mesurées émises par des élus du Conseil de Paris et des partis politiques : « derrière, on sent quand même des relents antisémites ».
Vigilants vis-à-vis de toute forme d’antisémitisme, nous ne céderons pas face à cette instrumentalisation indue de cette notion par les défenseurs des politiques coloniales d’Israël. Aujourd’hui plus que jamais, la France comme l’Europe se doivent de tout faire pour que le droit international soit imposé à cet Etat. Si elle ne veut pas être complice de la poursuite de ces crimes, la France doit reconnaître sans délai l’Etat de Palestine et demander que l’Europe suspende son accord d’association avec l’Etat d’Israël.
Eienne Balibar
Alice Cherki
Mohammed Harbi
Gilles Manceron
Bernard Ravenel,
Le 1er septembre 2015, (source)