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Édition du 1er au 15 décembre 2024
Affrontements, le 17 janvier 2008, à Nouméa, entre 500 militants de l'USTKE et la police (Marc Le Chelard/AFP)

climat politique et social très tendu en Nouvelle-Calédonie

Vingt ans après les accords de Matignon et dix ans après celui de Nouméa, deux textes qui organisent l'évolution institutionnelle de l'archipel et prévoient la tenue d'un référendum d'autodétermination à partir de 2014, l'épreuve de force se poursuit entre l’Etat et le principal syndicat (indépendantiste) du territoire, l’USTKE (Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités).

La Nouvelle-Calédonie

Institutions.

La Nouvelle-Calédonie est une collectivité d’outre-mer bénéficiant d’une très large autonomie. Ses institutions sont organisées par les accords de Matignon (1988), par l’accord de Nouméa (1998). Le pays est divisé en trois provinces (Nord, Sud et îles Loyauté). Le congrès, élu tous les cinq ans, désigne un gouvernement local, à la proportionnelle. Ce système oblige les indépendantistes et les non-indépendantistes à travailler ensemble dans un exécutif collégial.

Compétences.

Le gouvernement local est compétent en matière de fiscalité, droit du travail, protection sociale, enseignement primaire. Le congrès vote des « lois de pays ». L’Etat, représenté par un haut-commissaire, conserve les prérogatives régaliennes (justice, défense, maintien de l’ordre, monnaie, relations extérieures). L’accord de Nouméa prévoit le transfert de plusieurs compétences (enseignement secondaire, droits civil et commercial) et l’adoption de « signes identitaires » : drapeau, hymne, devise. Aucun de ces dossiers n’a encore abouti.

Economie.

La principale ressource est le nickel. L’envol de son cours et la construction de deux usines de traitement du minerai dopent l’économie, qui connaît une croissance de l’ordre de 6 % et atteint le plein-emploi. Mais l’inflation menace, et cette croissance reste inégalement répartie.

Une radicalisation menace le « fragile équilibre » de la Nouvelle-Calédonie

par Xavier Ternisien, Le Monde du 2 avril 2008

Le climat politique se tend en Nouvelle-Calédonie, au moment où cette collectivité du Pacifique sud s’apprête à célébrer les vingt ans des accords de Matignon et les dix ans de l’accord de Nouméa, deux textes qui organisent l’évolution institutionnelle de l’archipel et prévoient la tenue d’un référendum d’autodétermination à partir de 2014.

Les indépendantistes du FLNKS se trouvent débordés sur leur gauche par le principal syndicat, l’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE). Cette organisation a créé en novembre 2007 une formation politique, le Parti travailliste, qui a obtenu de bons résultats aux municipales dans la province Nord, à majorité kanak, arrivant même en tête à Pouébo, au nord de Hienghène. L’USTKE rencontre un certain succès auprès des jeunes Kanaks, qui trouvent le FLNKS trop consensuel et vieillissant.

Le 17 janvier, des échauffourées ont opposé pendant douze heures les forces de l’ordre et 500 militants de l’USTKE. Depuis cette date, le syndicat s’estime victime de harcèlement de la part des autorités de l’Etat, représentées par le haut-commissaire de la République. «On n’a plus le droit de manifester aux abords des entreprises, on condamne nos militants !, proteste son président, Gérard Jodar. Si cela continue, dans dix ans, il n’y aura plus de syndicats dans ce pays.» L’avocat de l’USTKE, Me Laurent Aguila, accuse le haut-commissaire, Yves Dassonville, de «chercher l’affrontement avec le syndicat afin de l’affaiblir».

Le représentant de l’Etat reconnaît vouloir faire preuve de fermeté à l’égard de l’USTKE. Ce qu’il reproche au syndicat, outre ses méthodes violentes, c’est de ne pas soutenir l’accord de Nouméa, signé en 1998. Ce texte essentiel, qui sert de base à la vie politique calédonienne, organise les transferts de plusieurs compétences de l’Etat vers la collectivité, et cimente le consensus entre Kanaks et Calédoniens d’origine européenne (Caldoches) autour de la notion de «destin commun». «Nous ne sommes pas opposés à l’accord de Nouméa, rectifie Gérard Jodar. Mais nous constatons que les choses n’avancent pas en matière de transferts de compétences, parce que le système du consensus bloque tout.»

Au même moment, le camp non indépendantiste se trouve confronté à une surenchère à droite, de la part du président du Rassemblement-UMP, le député (UMP) Pierre Frogier. Celui-ci s’oppose au transfert de la compétence sur l’enseignement secondaire, pourtant prévu par l’accord de Nouméa au bas duquel il a apposé sa signature. François Fillon a réaffirmé à Paris, le 20 décembre 2007, que «les transferts de compétences sont le véritable moteur du processus de l’accord de Nouméa». Nicolas Sarkozy, dans une lettre qu’il a adressée en janvier aux signataires de l’accord, a affirmé que ces transferts n’étaient qu’une question de calendrier. M. Frogier est donc en rupture avec la position gouvernementale.

Cette radicalisation, à gauche comme à droite, s’explique par la proximité des élections provinciales de 2009. Elles désigneront les assemblées de trois provinces (Sud, Nord et Iles Loyauté) et le Congrès, c’est-à-dire l’assemblée territoriale, qui aura à se prononcer sur l’opportunité d’organiser un référendum d’autodétermination en 2014. A priori, l’issue de ce référendum paraît acquise, puisque les Kanaks, qui ne sont pas tous indépendantistes, ne constituent, selon les derniers recensements, que 44 % de la population. Mais personne ne prend le risque d’évoquer ce sujet, pour ne pas rompre le fameux « consensus » entre indépendantistes et non-indépendantistes, et éviter une explosion. M. Frogier a lancé le 28 mars son slogan pour les provinciales : «Pleinement français et calédonien en 2030». Il souhaite imposer sa «lecture» de l’accord de Nouméa, c’est-à-dire «le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France». Cette attitude va-t-en-guerre inquiète l’historien calédonien Louis-José Barbançon, qui rappelle que «la situation politique calédonienne repose sur un fragile équilibre».

Xavier Ternisien

Affrontements, le 17 janvier 2008, à Nouméa, entre 500 militants de l'USTKE et la police (Marc Le Chelard/AFP)
Affrontements, le 17 janvier 2008, à Nouméa, entre 500 militants de l’USTKE et la police (Marc Le Chelard/AFP)

En Nouvelle Calédonie, une grève dégénère en affrontements violents

[AFP, 17 janvier 2008]

Une grève du syndicat indépendantiste USTKE a dégénéré jeudi en Nouvelle-Calédonie en affrontements violents avec les forces de l’ordre, faisant plusieurs blessés.

Les heurts ont commencé dans la nuit de mercredi à jeudi, lorsqu’environ 200 policiers et gendarmes sont intervenus à Carsud (service de bus de l’agglomération) à Normandie, à la périphérie de Nouméa, pour empêcher les syndicalistes d’investir le siège et le dépôt de la société.

En grève générale depuis neuf jours dans le cadre de ce conflit, l’USTKE (Union syndicale des travailleurs kanak et des exploités), deuxième syndicat du territoire, avait promis en début de semaine de «durcir le ton».

Quelque 400 syndicalistes se sont opposés toute la nuit aux forces de l’ordre, les jets de pierre répondant aux tirs nourris de grenades lacrymogènes. Lors des incidents, des véhicules de la police ont été incendiés ainsi que la voiture de Michel Delaisse, directeur de Carsud, qui a été vivement pris à partie par les grévistes.

Toute la matinée, les affrontements se sont poursuivis aux abords du lieu-dit Normandie, donnant lieu selon des témoins, à de véritables scènes de «guerilla urbaine» et provoquant d’importants embouteillages. Sept gendarmes et deux policiers ont été légèrement blessés, ainsi que plusieurs manifestants, selon un dernier bilan.

Jeudi après-midi, 44 personnes étaient en garde à vue dont 12 devaient être écrouées, a indiqué un porte-parole du haut-commissariat. «Ce sont des méthodes de voyous que je traiterai en tant que telles. Il y a eu des constatations, des photos et des relevés de véhicules. Tout cela sera exploité et transmis au procureur de la République», a déclaré le haut-commissaire, Yves Dassonville.

Il a en outre dénoncé «l’utilisation à des fins politiques» de ce conflit par l’USTKE, qui a récemment créé un parti, le Parti travailliste. «On aurait pu sortir de ce conflit mais l’USTKE a choisi la provocation», a également indiqué M. Dassonville. […]

Yves Dassonville est arrivé en Nouvelle-Calédonie le 9 novembre dernier, après la démission de son prédécesseur, Michel Mathieu, qui avait eu un différend avec le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, Christian Estrosi, au sujet de la gestion des conflits sociaux.

Misant sur «dialogue et fermeté», M. Dassonville s’est impliqué dans les relations sociales de l’archipel, où, malgré des initiatives de normalisation, les conflits dégénèrent souvent en violences. Il a notamment souhaité que syndicats et patronat «acceptent mieux les voies de la concertation».

Nouvelle-Calédonie : le retour du syndrome colonial ?

par Alban Bensa, Politis jeudi 25 octobre 2007

La récente visite du ministre de l’Outre-mer à Nouméa suscite l’inquiétude. Les Accords de Matignon de 1988 seraient-ils discrètement remis en cause par le gouvernement ? L’analyse d’Alban Bensa, anthropologue, spécialiste de la Nouvelle-Calédonie1.

Un équilibre relatif et fragile des forces se maintient en Nouvelle-Calédonie depuis la signature des Accords de Matignon et d’Oudinot en 1988 et de l’Accord de Nouméa en 1998, lui-même ratifié par un référendum local (72 % de suffrages favorables). En 2007, l’une des plus pressantes exigences indépendantistes (la limitation du corps électoral, pour les élections territoriales et provinciales, aux seules personnes ayant voté en 1998 et à leurs descendants) a fait l’objet d’une modification de la Constitution française, ratifiée en congrès à Versailles. Quelle mouche a piqué le ministre de l’Outre-Mer pour mettre en péril cette architecture institutionnelle patiemment construite et garante jusqu’à présent de la paix sur le « caillou » ? Christian Estrosi a, ces dernières semaines, renoué avec les pires attitudes coloniales lors d’une visite tambour battant à Nouméa et en quelques lieux phares de la Grande Terre et des îles Loyauté. N’accordant que quelques minutes à chacun de ses interlocuteurs, qu’il s’agisse de présidents des Provinces, de chercheurs ou de responsables politiques, il a préféré piquer une tête dans le lagon devant les caméras de télévision. Sur fond de climat social difficile en Nouvelle-Calédonie, M. Estrosi n’a rien trouvé de mieux que d’intimer l’ordre au préfet de Nouvelle-Calédonie de faire donner les gendarmes contre un barbecue bruyant organisé à Nouméa par l’USTKE (principale force syndicale) en contrepoint d’une réception officielle à laquelle il participait. Le préfet, Michel Mathieu, représentant de l’État dans l’archipel et à ce titre garant de l’ordre public, s’y est opposé et a démissionné le 13 octobre.

Pour toute analyse de la situation calédonienne, Christian Estrosi n’a cessé de répéter à la cantonade qu’avant tout la Nouvelle-Calédonie devait rester française. Multipliant les invectives et les rodomontades à l’encontre de toute la classe politique calédonienne, le ministre a brillé par sa méconnaissance totale du dossier, au point d’inquiéter vivement tous les partenaires de l’Accord quant à la politique que le président de la République entend mener en Nouvelle-Calédonie.

Les chefs de l’UMP locale lui avaient sans doute monté la tête en ce sens. Plus grave, Christian Estrosi s’est senti d’autant plus enclin à de telles gesticulations que Nicolas Sarkozy avait cru bon, en 2006, avant d’adopter durant sa campagne une position plus ambiguë, de lancer au président de la Province Nord, Paul Néaoutyine, qu’une fois élu il « remettrait tout à plat ». Le leader indépendantiste lui avait répondu : « Dans ce cas, nous saurons remettre les pendules à l’heure. » En reprenant le même ton, le ministre de l’Outre-mer sème un doute profond sur la volonté du gouvernement français de respecter l’Accord de Nouméa. Reviendrait-on à l’aveuglement d’un Bernard Pons, de triste mémoire, qui, il y a vingt ans, mit le pays à feu et à sang jusqu’à provoquer le drame d’Ouvéa ? Venant de l’État, tout propos partial en Nouvelle-Calédonie réveille le souvenir de cette période dramatique et ravive les tensions.

L’élection présidentielle a déjà remis face à face les indépendantistes (soutenant Ségolène Royal) et leurs adversaires, qui se sont ralliés massivement à Nicolas Sarkozy. L’arrivée de France ces dernières années, en rangs serrés, d’une population qui ne rêve que d’argent et de soleil au mépris des spécificités politiques calédoniennes et le retard pris dans l’application des dispositions de l’Accord de Nouméa (transfert de compétences, choix de nouveaux signes identitaires, préparation à l’horizon 2012 d’une série de référendums d’autodétermination) accroissent encore le climat d’incertitude sur le caillou. Dans ce contexte où chacun est à vif, il est particulièrement dangereux de revenir en arrière et de s’opposer au processus prévu par l’Accord de Nouméa.

Mais les réflexes coloniaux sont, semble-t-il, bien ancrés dans l’entourage du président de la République. Les coups de menton de Christian Estrosi font tristement écho à l’amendement vichyste sur les tests ADN, à l’exaltation d’une « identité française » plus biologique qu’historique et au refus de toute repentance pour les crimes commis par la France vis-à-vis des Juifs et au sein de son ex-empire colonial. Le séjour tonitruant du ministre de l’Outre-mer en Nouvelle-Calédonie, loin d’être un épiphénomène, nous révèle la face la plus sombre du sarkozysme, celle qui unit la droite et l’extrême droite, dans un bonapartisme autoritaire qui n’entend rien aux droits des peuples à s’autodéterminer et veut imposer aux réalités locales de la Nouvelle-Calédonie et du Pacifique une logique française à sens unique.

Christian Estrosi en Nouvelle-Calédonie, le 11 octobre 2007.
Christian Estrosi en Nouvelle-Calédonie, le 11 octobre 2007.

La démission du haut-commissaire suscite des remous en Nouvelle-Calédonie

[AFP, 15 octobre 2007]

La démission inattendue du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, Michel Mathieu, après un différend avec le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, suscite des remous dans ce territoire où le FLNKS évoque «une crise politique».

En poste depuis juillet 2005, Michel Mathieu, 63 ans, a demandé à être relevé de ses fonctions en fin de semaine dernière, à l’issue d’une visite du secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, Christian Estrosi, et de discussions semble-t-il tendues, entre les deux hommes.

Tenu par un devoir de réserve, M. Mathieu n’a pas donné les raisons de cette décision. De sources concordantes, on indiquait lundi qu’elle serait liée à un désaccord avec M. Estrosi, sur le renforcement du rôle de l’Etat dans l’archipel, notamment en matière d’intervention des forces de l’ordre lors du blocage d’entreprises par les syndicats.

Interrogé sur la démission de M. Mathieu, le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer a déclaré qu’il ne souhaitait pas faire de commentaires.

Plusieurs sociétés sont actuellement paralysées par des conflits dans cet archipel où le dialogue social est laborieux.

La démission de Michel Mathieu intervient en outre dans un climat politique déjà ombrageux depuis la récente réconciliation du camp anti-indépendantiste, qui fait craindre aux indépendantistes une panne dans l’application de l’accord de Nouméa.

Le Front de libération kanak et socialiste (FLNKS) a vivement dénoncé, dans un communiqué, la visite de M. Estrosi, tout en qualifiant de «courageuse» la décision de M. Mathieu. […]

Les indépendantistes reprochent à M. Estrosi d’entretenir l’ambiguité sur l’accord de Nouméa, en affirmant vouloir le respecter fidèlement mais en souhaitant dans le même temps «plus d’Etat et plus de France, alors que cet accord est un processus de décolonisation».

L’USTKE (Union syndicale des travailleurs kanak et des exploités), à la tête de plusieurs conflits en cours, a de son côté indiqué ne pas bien comprendre les raisons de la démission de M. Mathieu, mettant en avant le discours à géométrie variable de Christian Estrosi. […]

  1. Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, Alban Bensa a récemment publié la Fin de l’exotisme. Essais d’anthropologie critique, Anacharsis, 2006.
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