Cesser toute forme de soutien à la colonisation israélienne
En 2002, le gouvernement israélien a décidé la construction d’un « mur de séparation » en vue, selon lui, de prévenir toute intrusion palestinienne sur le sol israélien. Le tracé de ce mur pose problème et il démontre que son objet est autre : situé à 85% sur le territoire de la Cisjordanie et non sur la ligne verte séparant Israël de la Cisjordanie, il place environ 10% du territoire de la Cisjordanie à l’ouest du mur. En réalité, son tracé a été dessiné pour inclure les colonies israéliennes de peuplement et contribuer à un contrôle militaire plus étroit de la population palestinienne.
A la demande de l’Assemblé générale des Nations unies, la Cour internationale de justice de La Haye a rendu le 9 juillet 2004 un avis déclarant la construction du mur en territoire palestinien occupé illégale – tout comme celle des colonies israéliennes – au regard du droit international.
Toutefois, l’avis ne se limite pas à cet énoncé et détaille également les conséquences résultant de cette situation illégale.
La Cour demande à Israël de cesser immédiatement les travaux d’édification du mur, de démanteler le mur et de réparer tous les dommages causés. En pratique, ces trois obligations fixées par l’avis de 2004 ont été totalement ignorées par Israël. Aucun démantèlement, même partiel, n’a eu lieu. Israël a poursuivi la construction du mur et la politique de colonisation n’a jamais cessé. Une accélération sans précédent de la construction des colonies s’est même produite depuis 2009. Il y a actuellement plus de 600 000 colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, contre moins de 380 000 en 2004. Aucune restitution des biens fonciers et immobiliers saisis n’a eu lieu. Aucune indemnisation des Palestiniens ayant subi un préjudice matériel n’a été effectuée.
Par ailleurs, la Cour dégage trois obligations à la charge des Etats membres de la communauté internationale : ne pas reconnaître la situation illicite créée par Israël ; ne pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation ; et faire respecter par Israël le droit international.
Qu’a fait la France depuis 10 ans pour se conformer aux trois obligations énoncées ?
La France a globalement respecté son obligation de ne pas reconnaître la situation illicite : elle continue dans ses déclarations publiques à rappeler le caractère illégal du mur et des colonies et à demander la fin de la colonisation.
S’agissant de ces deux autres obligations, elle n’a rien fait ou presque. Par sa passivité actuelle, elle contribue au renforcement de la viabilité économique, démographique et territoriale des colonies israéliennes de Cisjordanie et de Jérusalem-Est.
Quelques exemples suffisent à le montrer. Des entreprises françaises – y compris publiques – conduisent des activités commerciales ou financières dans les colonies: citons, parmi d’autres, Dexia, Orange, Veolia ou Alstom. La France importe chaque année plusieurs dizaines de millions d’euro de marchandises fabriquées et de produits agricoles récoltés dans les colonies. Sodastream, qui fabrique des machines à gazéifier les boissons dans la colonie de Maale Adoumim, fait la promotion de ses produits, notamment sur France 2, une chaîne de télévision pourtant de service public. Des associations françaises, ayant pignon sur rue en Israël, participent au financement des colonies. Plus de 8 000 Franco-israéliens vivent dans les colonies et y ont acquis des biens immobiliers. Certains commettent des actes violents contre les Palestiniens en tout impunité.
Tout récemment, sur le site du ministère des affaires étrangères, une information peu lisible mais réelle, précise que les activités d’entreprises françaises dans les colonies sont à déconseiller. C’est un petit pas à noter.
Il faut cependant aller plus loin pour que la France mette ses actes en conformité avec sa position publique et le droit international. Le dixième anniversaire de l’avis de la Cour internationale de justice en fournit l’occasion. Ainsi, avec de nombreuses associations, nous demandons donc à l’Etat français d’engager les mesures suivantes :
– exclusion des colonies de tous les traités bilatéraux et de coopération avec Israël : ils doivent inclure une clause territoriale claire limitant explicitement leur application au territoire israélien proprement dit.
– instauration d’un mécanisme effectif de vérification que les activités bilatérales ne profitent pas aux colonies.
– interdiction de toute activité publique de coopération, de recherche ou d’enseignement dans les colonies.
– interdiction de l’importation en France des produits manufacturés dans les colonies ou des biens agricoles qui y sont récoltés.
– interdiction faite aux entreprises françaises d’investir et d’entretenir des relations économiques avec ou dans les colonies.
– interdiction faite aux entreprises françaises de conserver ou de prendre des participations dans des entreprises israéliennes ayant des activités dans les colonies.
– exclusion des marchés publics de toutes les entreprises israéliennes, françaises et étrangères implantées ou opérant dans les colonies.
– adoption de directives à l’attention des voyagistes afin d’éviter toute forme de soutien à des entreprises et des sites touristiques dans les colonies.
– dissolution des associations françaises participant au financement des colonies.
– interdiction de toutes les transactions financières émanant de citoyens, d’organisations et d’entreprises à destination des colonies.
– adoption de mesures visant à prévenir l’installation de colons français et l’achat de biens immobiliers dans les colonies.
– déclenchement de poursuites pénales contre les citoyens français qui, comme colons ou comme volontaires dans les unités de l’armée israélienne déployées en Cisjordanie, commettent des actes de violence à l’encontre de la population civile palestinienne.
– abrogation de la circulaire Alliot-Marie de 2010 qui criminalise les actions citoyennes pacifiques exigeant le respect du droit international.
Il s’agit de mesures simples qui pourraient être mises en œuvre rapidement. Elles permettraient à la France de montrer qu’elle refuse toute forme de complicité avec une politique de spoliation des terres et de transfert de population civile qu’aussi bien le Statut de la Cour pénale internationale que le droit pénal français qualifient de crime de guerre.
Monique Cerisier ben-Guiga, sénatrice honoraire,
François Dubuisson, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles,
Jean-Claude Lefort, président d’honneur de l’Association France Palestine Solidarité,
Ghislain Poissonnier, magistrat,
Dominique Vidal, journaliste et historien.