Question de Nicole Borvo Cohen-Seat
Monsieur le ministre, je souhaite aujourd’hui attirer votre attention sur la disparition, en 1957, à Alger, de Maurice Audin, jeune mathématicien français.
Maurice Audin était un opposant, membre du Parti communiste algérien, interdit en septembre 1955. Il était père de trois enfants.
Maurice Audin a organisé en septembre 1956, avec d’autres membres de sa famille, l’exfiltration à l’étranger de Larbi Bouhali, premier secrétaire du PCA. Pour cette raison, il a été arrêté à son domicile, le 11 juin 1957, par le capitaine Devis, le lieutenant Philippe Erulin et plusieurs militaires du 1er régiment étranger de parachutistes. Depuis, plus personne n’a eu de nouvelles de Maurice Audin !
Les pouvoirs publics ont jusqu’à présent laissé entendre que Maurice Audin se serait, par la suite, évadé. Pourtant, de nombreux éléments, dont l’enquête de l’historien Pierre Vidal-Naquet, établissent qu’il est mort sous la torture. Or, jusqu’à ce jour, la République n’a pas reconnu l’assassinat et, sur le plan judiciaire, l’affaire s’est terminée en 1962 par un premier non-lieu, puis en 2002 par un second.
Néanmoins, l’exigence de vérité sur la disparition de Maurice Audin n’a jamais cessé de s’exprimer. Il est en effet plus que jamais nécessaire de révéler la vérité sur les atrocités commises pendant cette guerre coloniale qui a fait des centaines de milliers de morts.
C’est la raison pour laquelle je vous demande de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour contribuer au rétablissement des faits. Cela comprend notamment la levée du secret défense concernant les documents en lien avec cette affaire, point sur lequel achoppe aujourd’hui la manifestation de la vérité.
Je crois que la France, cinquante-cinq ans après les faits, doit la vérité, ne serait-ce qu’à la femme et aux enfants de Maurice Audin.
Réponse de Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants
Madame Borvo Cohen-Seat, vous interrogez le Gouvernement sur une affaire très grave, présente dans la mémoire de tous ceux qui, dans notre pays, souhaitent mieux comprendre ce qu’a été, pour l’ensemble de nos compatriotes, la guerre d’Algérie.
Universitaire, militant pour l’indépendance de l’Algérie, Maurice Audin a été porté disparu en 1957, à la suite de son arrestation à Alger par des militaires français. Une plainte a été déposée par son épouse dès le 4 juillet 1957. Cette plainte a conduit à un non-lieu, prononcé en avril 1962, pour insuffisance de charges.
Si les proches, la famille, les amis politiques de Maurice Audin ont soutenu de façon constante que ce dernier était décédé au cours d’une séance de torture – appelons un chat un chat – conduite par des officiers du renseignement de l’armée française, il semble que les pouvoirs publics aient au contraire considéré à l’époque que Maurice Audin s’était évadé durant un transfert de son lieu de détention et qu’il n’avait plus donné de signes de vie depuis cette évasion.
En 2001, l’épouse de Maurice Audin a souhaité déposer une nouvelle plainte pour séquestration et crime contre l’humanité après les révélations d’un général sur cette affaire. Un nouveau non-lieu a toutefois été prononcé par la justice française en juillet 2002.
Dans le cadre de cette dernière procédure judiciaire, et c’est la précision que je tenais à vous apporter, le ministère de la défense n’a, à aucun moment, été saisi par le magistrat instructeur d’une quelconque demande de déclassification ou de communication d’informations éventuellement liées à cette affaire qui seraient protégées par le secret de la défense nationale.
Mes prédécesseurs et moi-même n’avons jamais eu à nous prononcer sur une telle demande, pas plus d’ailleurs que la Commission consultative du secret de la défense nationale, dont l’avis est requis, en pareil cas, aux termes de l’article L. 2312-1 du code de la défense.
Madame la sénatrice, je tiens à vous assurer, et je vous prie de croire à ma forte conviction personnelle, que, si des faits nouveaux qui justifieraient la réouverture de l’information judiciaire devaient être portés à la connaissance de la justice, il va sans dire que le ministère de la défense et des anciens combattants, qui ne peut que souscrire à l’exigence de vérité que vous avez évoquée, étudierait avec bienveillance, dans le respect des procédures prévues par la loi, toute éventuelle demande de déclassification de documents protégés qui lui serait adressée.
En effet, plus de cinquante ans après les faits, il semblerait raisonnable que la France mette enfin sa conscience en paix avec le souvenir de la tragédie algérienne, sous tous ses aspects, et l’affaire Maurice Audin est l’un de ceux qui méritent d’être totalement connus.
La parole est redonnée à Nicole Borvo Cohen-Seat
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais vous comprendrez sans doute qu’elle ne puisse pas me satisfaire.
Je souscris bien évidemment à votre constat – aucune procédure judiciaire n’a véritablement abouti -, mais je tiens à préciser que Mme Josette Audin avait écrit au Président de la République, en juin 2007, pour lui demander que le mystère incompréhensible, vous l’avouerez, de la disparition de son mari soit éclairci, sans que l’on ait jugé bon de lui répondre…
Pourtant, des faits nouveaux ont été versés au dossier : le général Aussaresses a notamment avoué avoir ordonné au lieutenant Charbonnier d’interroger Maurice Audin au moment de son arrestation. L’hypothèse selon laquelle l’interrogatoire se serait achevé par la mort de la personne interrogée paraît donc tout à fait plausible, et le contraire n’a pas été démontré.
J’espère donc que l’existence d’éléments nouveaux pourra être prise en considération pour que la France et, en l’occurrence, votre ministère, accepte de lever le secret défense sur des informations qui, de toute façon, existent.
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Pendant ce temps…
L’activisme des nostalgiques de l’Algérie française n’a pas de répit : après Banyuls, on apprend que le conseil municipal de Béziers a donné le 18 avril dernier le nom d’une avenue au général Bigeard1.