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Édition du 1er au 15 novembre 2024

Bigeard aux Invalides : la justification du recours à la torture

Les cendres du général Marcel Bigeard, décédé en juin 2010, vont être transférées à l'Hôtel des Invalides à Paris1. Aux côtés des dépouilles de ses gloires militaires, la France honorera ainsi un général connu pour avoir couvert l'usage de la torture, notamment en Algérie – ce qui ne manquera pas de toucher nos amis algériens, à la veille du cinquantenaire de leur indépendance. Tout en se défendant de l'avoir personnellement pratiquée, Marcel Bigeard a en effet justifié le recours à la torture avec l'argument habituel – un «mal nécessaire» pour éviter les morts innocentes ... Mais, grâce aux amnisties successives, il n'a jamais eu à en répondre. Amnesty International avait rappelé dans un communiqué, le 24 novembre 2000, que «en application des Conventions de Genève et du droit coutumier international», «les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles» et que les responsables doivent être traduits en justice. Et l'organisation avait déploré « le manque de volonté politique des gouvernements français successifs [qui] a contribué à présenter la torture, les exécutions sommaires et les "disparitions" comme des maux nécessaires». Depuis lors, les gouvernements successifs n'ont pas considéré ce problème comme prioritaire. Heureusement qu'il s'était trouvé des “justes”, pour condamner ces “dérives” : le général de Bollardière, mais également Paul Teitgen dont nous reprenons ci-dessous un témoignage sur l'usage de la torture.
[Mis en ligne le 18 novembre 2011, mis à jour le 29]

Communiqué de presse d’Amnesty International 1

France/Algérie: Les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles

Le 24 novembre 2000

Amnesty International demande que les responsables des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis durant la guerre d’Algérie soient traduits en justice.

Des hauts responsables militaires français de la guerre d’Algérie (dont les généraux Jacques Massu et Paul Aussaresses) admettent aujourd’hui publiquement avoir ordonné ou pratiqué la torture et les exécutions extra judiciaires. D’autres continuent de se taire. Il s’agit de crimes qui continuent de bénéficier d’une impunité absolue.

Les crimes décrits par ces généraux constituent des crimes de guerre et peut-être même des crimes contre l’humanité qui doivent faire l’objet d’une enquête, et dont tous les responsables doivent être traduits en justice, et les victimes indemnisées.

En application des Conventions de Genève et du droit coutumier international, tous les États ont compétence universelle et doivent traduire en justice et punir les responsables des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. De tels principes doivent s’appliquer à la guerre d’indépendance d’Algérie (1954-1962) et pour toutes les parties.

Amnesty International rappelle que les aspects positifs du débat qui a lieu en ce moment en France se doivent d’être concrétisés par des mesures conformes aux principes internationaux qui régissent les crimes reconnus par ces généraux.

Reconnaître ces crimes ne saurait suffire. Le vrai débat porte sur l’impunité dont continuent de bénéficier leurs responsables et le déni de justice auquel continuent de faire face les victimes et leurs familles.

Les autorités françaises ont salué l’arrestation du général Pinochet en Angleterre. Il s’agit maintenant d’appliquer les principes qui ont gouverné leur attitude aux nouveaux développements qui se déroulent dans leur propre territoire à la suite des déclarations des généraux Massu et Aussaresses.

Les procédures judiciaires engagées ces dernières années en France (Barbie, Papon, et Touvier notamment) et ailleurs concernant des crimes perpétrés des décennies auparavant ont démontré que les impératifs de justice ne peuvent être effacés par le temps.

Le caractère imprescriptible de ces crimes est un fait reconnu par le droit international.

Amnesty International considère que le manque de volonté politique des gouvernements français successifs de traduire en justice les responsables de ces crimes a contribué a présenter la torture, les exécutions sommaires et les « disparitions » comme des maux nécessaires.

« La lutte contre l’impunité constitue la pierre d’angle de l’éradication de la torture et des crimes contre l’humanité » conclut AI.

Paul Teitgen : un “juste”

André Gazut a réalisé en 1974 un film sur Le général de Bollardière et la torture. Ce documentaire, qui demeure boycotté par toutes les télévisions françaises, a été programmé à Toulon, le 17 octobre 2001, en présence de Simone de Bollardière et d’André Gazut.

Voici un extrait (durée 4m 12sec) de ce film, accessible via le site de la 4acg2, qui comporte le témoignage contre la torture de Paul Teitgen, secrétaire général de la préfecture d’Alger, chargé de la police d’août 1956 à septembre 1957 : [cliquez et patientez].

Communiqué de presse d’Amnesty International 3

La France doit maintenant s’acquitter de ses obligations juridiques

Le 3 mai 2001.

Dans un livre intitulé Services spéciaux, Algérie 1955-1957, publié ce jour (jeudi 3 mai 2001), un ancien gouvernement français est directement impliqué dans les actes de torture et les exécutions sommaires dont ont été victimes des Algériens au cours de la guerre d’Algérie. Ces allégations ont été formulées par le général Paul Aussaresses, qui a participé à ce conflit en tant que militaire de haut rang au sein des forces armées françaises, et comme coordinateur des services de renseignements pendant la bataille d’Alger, en 1957.

Amnesty International n’est pas en mesure de se prononcer sur la véracité des allégations du général Aussaresses, selon lesquelles un gouvernement français a été directement impliqué dans des crimes contre l’humanité. Il n’en reste pas moins que ces affirmations sont d’une extrême gravité et qu’elles doivent faire l’objet d’une enquête exhaustive dans les plus brefs délais.

« Si la France est capable de traduire en justice des criminels de guerre ayant sévi sous le régime de Vichy, elle doit également être en mesure de s’acquitter de ses obligations juridiques en ce qui concerne la guerre d’Algérie », a souligné Amnesty International.

Dans son ouvrage, le général Aussaresses ne se contente pas de justifier le recours à la torture et aux exécutions sommaires, auxquelles il a personnellement participé, et de décrire avec précision ces pratiques systématiques. Il affirme en outre que le gouvernement français – notamment par l’intermédiaire du ministre de la Justice de l’époque, François Mitterrand, devenu par la suite président de la République – était régulièrement informé du recours à la torture, aux exécutions sommaires et aux déplacements forcés de population, et qu’il tolérait ces pratiques. Selon le général Aussaresses, le cabinet de François Mitterrand était directement renseigné par un juge, qui jouait le rôle d’émissaire du ministre de la Justice en Algérie.

Le 24 novembre 2000, après qu’un certain nombre d’officiers, dont les généraux Paul Aussaresses et Jacques Massu, eurent admis publiquement avoir été impliqués dans des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires, Amnesty International avait appelé les autorités françaises à traduire en justice les responsables présumés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. L’organisation avait déclaré qu’il ne suffisait pas de reconnaître que de tels crimes avaient été perpétrés, et que le véritable débat portait sur l’impunité dont bénéficiaient toujours les auteurs de ces agissements.

« Les procédures judiciaires engagées en France contre un certain nombre de criminels de guerre – notamment Barbie, Papon et Touvier – pour des faits ayant eu lieu sous le régime de Vichy, pendant la Seconde Guerre mondiale, ont démontré qu’aucun délai de prescription ne s’appliquait aux crimes contre l’humanité », a ajouté Amnesty International.

Pourtant, alors que les autorités françaises ont salué l’arrestation du général Augusto Pinochet en Angleterre, elles persistent à rejeter depuis lors toute initiative similaire, refusant même de créer une commission d’enquête sur le recours à la torture. Ainsi, le 14 décembre 2000, le président Jacques Chirac a opposé une fin de non recevoir à ceux qui demandaient que soient présentées des excuses officielles concernant la pratique de la torture par des soldats français pendant la guerre.

Au vu des allégations contenues dans le livre du général Aussaresses, il est plus urgent que jamais que la France s’acquitte des obligations juridiques qui lui incombent, non seulement aux termes des Conventions de Genève mais aussi de l’article 212-1 de son propre Code pénal. Celui-ci définit en effet les crimes contre l’humanité comme la pratique massive et systématique d’exécutions sommaires et de la torture, entre autres, inspirés par des motifs politiques, philosophique, raciaux ou religieux, et les déclare imprescriptibles.

« Étant donné les nouvelles allégations et révélations extrêmement graves formulées par le général Aussaresses, rien ne saurait justifier que les autorités françaises persistent à refuser de s’engager dans la voie judiciaire », a conclu Amnesty International.

Rappelons l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales de 1950 qui est la transcription de l’article 5 de la la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 :

«Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.»

La France aime à se dire fondatrice des Droits de l’Homme. A-t-on mesuré l’exemple qu’elle donne en honorant un de ses chefs militaires qui a couvert en toute impunité des faits de torture ?

  1. Référence : AI Index : EUR 21/007/2000 http://www.amnesty.org/fr/library/asset/EUR21/007/2000/fr/e6839a36-dcf7-11dd-bacc-b7af5299964b/eur210072000fr.html.
  2. Le site internet de l’ Association des anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre : http://www.4acg.org.
  3. Référence : AI Index : EUR 21/002/01
    http://www.amnesty.org/fr/library/asset/EUR21/002/2001/fr/c49af416-d93b-11dd-ad8c-f3d4445c118e/eur210022001fr.html.
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