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Édition du 1er au 15 décembre 2024

Bernard Stasi demande le 11 janvier 2006 que l’alinéa controversé soit retiré la loi du 23 février 2005

Dans un article publié dans [Libération le 11 janvier 2006, Bernard Stasi, ancien ministre des Départements et Territoires d'outre-mer, président de l'Association France-Algérie, déclare qu'il ne s'agit pas de « réécrire » le texte mais de supprimer l'amendement qui a déclenché la colère des historiens, des enseignants et des populations d'outre-mer. Il juge « absurde pour ne pas dire plus » et « provocateur et blessant parce qu'il est préjudiciable à l'image et aux intérêts de la France », cet alinéa évoquant le « rôle positif de la présence française outre-mer ».

Il ne s’agit pas de « réécrire » le texte mais de supprimer l’amendement stipulant « le rôle positif de la présence française outre-mer », préjudiciable aux intérêts de la France

par Bernard Stasi, article publié dans Libération, le 11 janvier 2006.

À différentes reprises, au cours de l’année passée, les présidents Chirac et Bouteflika ont exprimé leur volonté de signer un traité d’amitié ayant pour ambition d’établir un partenariat d’exception entre la France et l’Algérie. Bien au-delà d’une simple réconciliation qui, quarante ans après la fin de la guerre d’Algérie, doit tourner la page des sanglants affrontements et des longues années de tension, de malentendus et de rancoeurs qui les ont suivis, ce texte solennel devait surtout nouer entre les deux pays des liens aussi forts que ceux qui unissent désormais la France et l’Allemagne. Et, de chaque côté de la Méditerranée, ce rapprochement, auquel Jacques Chirac avait consacré beaucoup de temps et d’énergie, semblait approuvé par une grande majorité de la population. Une avancée historique, positive et bénéfique pour les Algériens comme pour les Français, semblait ­ enfin ­ à portée de main. Mais, en dépit des messages de remerciements du président algérien à la France à l’issue de son hospitalisation à Paris, 2005 s’est terminée, hélas, sans que cette perspective se soit concrétisée.

Le vote, par le Parlement français, de la loi du 23 février 2005 n’est sans doute pas la seule raison de ce retard, mais l’absurde alinéa ­ pour ne pas dire plus ­ évoquant les « aspects positifs de la présence française » outre-mer a malencontreusement compliqué le réchauffement des relations entre les deux pays. En donnant le sentiment d’être inspiré par une nostalgie colonialiste, il a donné des gages à tous ceux qui, en Algérie, sont hostiles, précisément, à des relations plus étroites avec l’ancienne puissance coloniale, et trouvent dans ces quelques mots inutiles un prétexte supplémentaire à leurs campagnes antifrançaises. En France, il a conforté, chez certains, une vision condescendante, dépassée et passéiste de notre relation avec les Algériens, contradictoire avec les rapports adultes, d’égal à égal, que se proposent d’entretenir nos deux pays. Beau gâchis…

Que cent trente-deux ans de présence française en Algérie n’aient pas été entièrement négatifs, c’est une évidence, mais c’est aux Algériens d’en juger ! Devant tant d’arrogance, les plus réservés d’entre eux à l’égard de la France pourraient être tentés de rappeler des épisodes aussi douloureux pour eux, et peu glorieux pour nous, tels que les massacres de Sétif. Il apparaît donc étrange, voire choquant, aux yeux de tout démocrate qu’une loi française édicte souverainement ce qui est bon pour un pays désormais indépendant…

Cette régression intellectuelle ­et diplomatique ­, digne de certaines Républiques bananières, est un mauvais coup porté au prestige de la France et à son image internationale ! Un handicap pour le rôle qu’elle prétend légitimement jouer dans le monde méditerranéen et arabo-musulman. A côté d’un enjeu aussi important ­ dont le président de la République a fait une des grandes priorités de ses mandats ­, les petits calculs électoralistes ne devraient pas avoir leur place. Il ne s’agit pas de se complaire dans une stérile autoflagellation mais la «fierté» qu’invoquent les auteurs de l’amendement de la loi du 23 février révèle plutôt un complexe qui n’a rien à voir avec la grandeur d’une nation suffisamment sûre d’elle pour assumer sereinement les pages plus sombres de son histoire sans essayer de les réécrire à l’encre positive.

Comment, aussi, ne pas comprendre l’émotion qui a saisi l’ensemble des DOM-TOM ? Les Français d’outre-mer ont pu, légitimement, se sentir trahis par la maladresse d’un texte qui ne peut que réveiller de vieilles frustrations, d’autant plus qu’elles viennent se superposer au malaise identitaire qu’éprouvent, entre autres, nombre d’Antillais souffrant de ne pas toujours être reconnus comme des Français à part entière. Voilà maintenant qu’on voudrait ignorer les vraies blessures de l’esclavagisme, comme si elles n’étaient qu’un détail de l’histoire… De leur histoire. En laissant une impression de déni, la loi a donné un coup de canif au pacte non écrit entre la métropole et les DOM-TOM. Comme si la relation ne pouvait être qu’unilatérale ! Faut-il rappeler tout ce que ces territoires nous ont apporté, et nous apportent encore, en contribuant, notamment, au rayonnement de notre langue et à l’enrichissement de notre culture et de la diversité française. Dans ce contexte, la colère d’Aimé Césaire, unanimement reconnu comme l’un des plus grands poètes francophones contemporains, n’en est que plus éloquente. Et justifiée.

Le Président a raison lorsqu’il proclame qu’il faut laisser aux historiens et aux enseignants, et pas seulement français, la liberté d’analyser et de faire le bilan de la période coloniale. Mais, si la sincérité, la clarté et la force de cette déclaration doivent être saluées, la décision de créer une commission conduite par le président de l’Assemblée nationale pour réfléchir aux limites de la loi dans son approche de l’histoire apparaît comme une réponse insuffisante, inappropriée et en tout cas trop lente et trop faible. Les termes ont leur importance, et la « réécriture » de la loi du 23 février souhaitée par le chef de l’Etat lors de ses vœux à la presse, le 3 janvier, pourrait apparaître, aux yeux des Algériens ainsi que des Français des DOM-TOM, comme empreinte d’une précaution oratoire prolongeant l’ambiguïté en tentant de ménager certaines susceptibilités…

Afin d’éviter que cette prudence soit mal interprétée, il conviendrait sans doute d’être encore plus net pour éviter que la prolongation de l’attente ne fasse de plus amples dégâts. Il ne s’agit pas seulement de « réécrire » la loi du 23 février ­ nous n’en sommes plus là ­mais de supprimer sans délai l’alinéa provocateur et blessant parce qu’il est préjudiciable à l’image et aux intérêts de la France. Il faut faire vite. Pour la dignité de notre pays. Et pour son avenir.

Bernard Stasi

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