Benjamin Stora : « Il faut affronter la guerre d’Algérie »
« Le refus d’assumer la guerre d’Algérie est très mal vécu par une part importante de la société française aujourd’hui : il faut donc l’affronter », estime dans un entretien à l’AFP l’historien Benjamin Stora qui dénonce la « campagne » menée contre le film Hors-la-loi.
La levée de boucliers suscitée, avant même sa projection en compétition au Festival de Cannes (12-23 mai), par ce long métrage où Rachid Bouchareb évoque la « guerre sans nom » n’étonne pas ce spécialiste qui a notamment publié La gangrène et l’oubli en 1991 – réédité en 2005.
M. Stora y jugeait que 30 ans après l’indépendance de l’Algérie, cette guerre était loin d’être finie « dans les têtes et dans les coeurs », faute d’avoir été « suffisamment nommée, montrée, assumée dans et par une mémoire collective ».
Pour lui « il y a toujours eu une très grande difficulté à faire figurer l’Autre, l’ancien indigène du temps colonial, dans le cinéma français ». « Cette absence est manifeste, tant dans le cinéma de divertissement où l’on reste dans une représentation exotique de l’Autre, que dans le cinéma de dénonciation du colonialisme des années 60 où l’on ne montre pas le combattant d’en face. Dès que celui-ci commence à agir par lui-même, cela devient problématique », relève l’historien.
« C’est là tout le problème du regard sur ce passé colonial, la difficulté de faire un travail de deuil sur la perte de l’Algérie française, qui reste une blessure dans l’histoire du nationalisme français », poursuit M. Stora. Bien plus proche qu’une lointaine colonie comme l’Indochine ou un simple protectorat comme la Tunisie, l’Algérie formait trois départements français et « était considérée comme la France », rappelle-t-il.
De ce fait la séparation « n’a quasiment pas été représentée à l’écran comme la résultante de la volonté d’indépendance des Algériens. Elle a plutôt été vue comme le produit d’une trahison ou d’un abandon par les Français ».
« Ainsi des évènements tels que les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en 1945 ne figurent pas dans le cinéma français, même de manière elliptique, c’est un véritable trou noir », souligne Benjamin Stora.
Toutefois ces dernières années, une poignée de films « ont fait surgir l’Autre, l’ont installé dans le cinéma français » : Vivre au paradis (1997) de Bourlem Guerdjou, Nuit noire, 17 octobre 1961 d’Alain Tasma ou encore La trahison de Philippe Faucon (2005). Et depuis 20 ans, enfants et petits-enfants d’immigrés algériens ont multiplié les recherches historiques, avec la volonté de « se réapproprier l’histoire de leurs pères ou de leurs grands-pères ».
Mais s’est aussi affirmée en France, « la thématique de l’anti-repentance » et la volonté de tourner la page du passé, pour regarder vers l’avenir. « Or ce refus d’assumer cette page d’histoire est très mal vécu par une part importante de la société française aujourd’hui : il faut donc l’affronter ».
Avec onze autres personnalités dont sept historiens, Benjamin Stora vient de signer un texte dénonçant la « campagne » contre Hors-la-loi menée par le député des Alpes-Maritimes Lionnel Luca (UMP) qui sans l’avoir vu, a taxé le film de « négationniste », l’accusant de « falsifier » l’histoire.
Des associations de harkis, d’anciens combattants, de pieds-noirs ainsi que l’extrême droite se sont aussi indignées. Le député s’est fondé sur un bref rapport rédigé par le service historique du ministère de la Défense qui relevait « erreurs » et « anachronismes » dans un scénario provisoire.
Pour les pétitionnaires, « le travail d’un réalisateur n’est pas celui d’un historien et n’a pas à être jugé par l’Etat ».
Pas de loi sur la criminalisation du colonialisme
Le gouvernement n’a pas répondu à l’initiative du FLN
La proposition de loi incriminant le colonialisme français (1830-1962) n’aboutira pas. Son sort serait définitivement scellé. Soumis au gouvernement pour examen et adoption, le projet, initié par 150 députés (de différentes tendances), est carrément ignoré. Ce n’est finalement qu’un coup d’épée dans l’eau. L’Exécutif n’a réservé aucune réponse à ce projet, alors que le délai réglementaire (deux mois après l’envoi de la mouture finale par le bureau de l’APN) a expiré à la fin du mois d’avril dernier. Il jette ainsi la balle au bureau de l’Assemblée populaire nationale (APN) qui, conformément à la loi, devrait déférer systématiquement la proposition à la commission juridique pour examen.
De son côté, le bureau de l’APN n’a rien entrepris. Ce qui fait croire aux initiateurs de cette proposition et aux députés de l’APN qu’il y a une volonté d’enterrer définitivement le projet. « Le ministre français des Affaires étrangères avait affirmé que le Parlement algérien n’adoptera pas cette loi. Ses dires sont en train de se concrétiser », déclare Mohamed Hadibi, député du mouvement Ennahda à l’APN et un des initiateurs du projet. Ce dernier s’en prend d’abord au gouvernement qui, dit-il, refuse « de prendre ses responsabilités de défendre l’Algérie et la mémoire de ses martyrs ». « La réponse de l’Exécutif n’aura aucun effet car le délai réglementaire est dépassé. Cela confirme que le gouvernement ne veut pas d’un affrontement direct avec son homologue français », soutient-il. Pour Boubekeur Darguini, chef du groupe parlementaire du RCD à l’APN, « il est clair que les tenants du pouvoir ne veulent pas d’une telle loi ». Dans le même sens, Moussa Abdi, député FLN, un des initiateurs de la proposition, déplore la frilosité de l’Exécutif par rapport « à une initiative capitale pour la défense de la mémoire du peuple algérien souillée par la loi française du 23 février 2005 ». […]